Ci-dessous un texte du chef de fil de la philosophie empiriste, fameux texte dans lequel il affirme l’âme à l’origine comme une table rase, « tabula rasa » en latin. Dans le cadre de notre cours, cet extrait est particulièrement intéressant dans le sens où il répond à notre question de savoir comment faut-il penser l’articulation entre perception et jugement. Selon, Locke, la perception, manière de sentir et manière d’accompagner de jugements nos sensations, est à l’origine de nos idées.
« Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. »
Réflexion en annexe d’un cours à propos du « mariage pour tous » et quelques éléments pour une tentative de problématisation
Qu’est-ce que ce projet de loi donne à penser ?
Si l’intention au départ est d’ordre juridique, afin d’établir davantage d’égalité sur un plan strictement matériel, le projet de mariage pour tous devient un problème moral et de société. Cette idée bouscule l’idée de mariage au sens traditionnel considérant la nécessité et la complémentarité de l’homme et la femme dans le couple et l’éducation des enfants, schéma traditionnel qui se considère bien fondé car fondé sur le bon ordre naturel des choses de la reproduction sexuée. La problématique pourrait alors s’énoncer comme suit : D’une part, le mariage homosexuel est-il amoral ou immoral en ce qu’il ne semble pas conforme à la nature ? Et d’autre part, qu’est-ce qui est essentiel à l’éducation de l’enfant ? Le partage masculin et féminin conformément au schéma traditionnel ou l’amour ?
Ceci n’est évidemment qu’une amorce de réflexion qui a été menée en cours et ne prétend évidemment pas épuiser le sujet. Bien au contraire, toute la réflexion reste à mener et il est tout à fait possible ci-dessous d’offrir ensemble cette réflexion, en amenant chacun sa pensée et en la soumettant à l’épreuve du jugement d’autrui.
Comment comprendre et juger l’autre culture ou la culture de l’autre ?
Est-elle une culture, une sous-culture ?
Nous avons tendance à juger les autres sociétés de manière ethnocentrique.
Tout d’abord qu’est-ce que l’ethnocentrisme ?
L’ethnocentrisme apparaît comme l’obstacle majeur à la compréhension et à l’étude des autres sociétés. Ce concept a été élaboré par Claude Lévi-Strauss par analogie avec celui d’égocentrisme. Nous savons que l’égocentrisme, attitude typique du jeune enfant, consiste absolument à tout ramener à soi, à voir « je » au centre. De la même manière, l’attitude ethnocentrique consiste à considérer l’ethnie, la sienne au centre. Il convient d’entendre l’ethnie comme société ou culture. On peut donc définir l’ethnocentrisme comme une attitude d’origine inconsciente consistant à prendre sa propre société comme le modèle même, la référence et ainsi à considérer toute différence culturelle par rapport à ce modèle comme un signe d’infériorité.
La notion de société primitive a-t-elle un sens ?
L’ethnocentrisme conduit à penser l’existence de sociétés « primitives », celles-ci étant restées à l’enfance de l’humanité, c’est-à-dire à un état premier, préhistorique, comparativement à la nôtre qui seule, par le progrès, est parvenue à ce qu’il y a de plus abouti, à l’état civilisé. Lévi-Strauss montre que, C’est parce que l’histoire de la culture occidentale est particulièrement caractérisée par le développement des sciences et des techniques et la puissance économique que nous l’imaginons supérieure, développée. Cette forme particulière de l’ethnocentrisme, appelé technocentrisme explique que nous nous imaginons ces sociétés dites primitives comme des sociétés n’ayant pas su progresser sur ces trois plans, scientifique, technique et économique, comme des sociétés sans histoire. Mais peut-on raisonnablement penser qu’il y existe vraiment des sociétés sans histoire et l’idée de l’existence de sociétés primitives est-elle pertinente ?
Une société sans histoire est-elle possible ?
En fait, ce n’est pas parce qu’il existe des sociétés différentes de la nôtre que celles-ci sont inférieures à la nôtres et qu’elles n’ont pas d’histoire. Toutes les sociétés sans exception ont une histoire, même si celle-ci est différente de la nôtre. En fait c’est le technocentrisme qui nous conduit à considérer la société occidentale comme la forme la plus aboutie de l’histoire humaine. Nous jugeons les autres sociétés en fonction d’un critère qui nous est avantageux. Que se passe-t-il si nous changeons de critère ?
Sur quel critère peut-on juger les sociétés ?
« La civilisation occidentale apparaît comme l’expression la plus avancée de l’évolution des sociétés humaines, et les groupes primitifs comme des « survivances » d’étapes antérieures, dont la classification logique fournira, du même coup, l’ordre d’apparition dans le temps. Mais la tâche n’est pas si simple : les Eskimo, grands techniciens, sont de pauvres sociologues ; en Australie, c’est l’inverse. On pourrait multiplier les exemples. Un choix illimité de critères permettrait de construire un nombre illimité de séries, toutes différentes. »
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, 1968.
Si nous prenons comme critère de développement la parfaite adaptation à un milieu particulièrement hostile, il est évident que cela ne serait plus les Occidentaux qui seraient considérés comme civilisés mais les Bédouins du désert saharien ou bien les Inuits de l’Arctique. Si nous prenons comme critère de distinction des sociétés, la solidarité et le bonheur d’être ensemble, ne serait-ce pas la société pygmée qui serait en tête et la société en occidentale, avec son individualisme en queue ? Si nous prenons comme critère la connaissance des ressources du corps humain, les plus civilisés seraient alors les peuples de l’Orient et de l’Extrême-Orient., et ainsi de suite. Ainsi, nous le voyons, toute culture peut se prévaloir d’une supériorité selon un critère qui lui est propre. La question est alors de savoir quel est le critère le plus pertinent ? Il est impossible de répondre à cette question sans établir des jugements de valeur se fondant sur l’ethnocentrisme. Donc, nous conclurons sur l’idée selon laquelle aucun critère ne peut se prévaloir d’être plus pertinent qu’un autre, ce qui signifie que nous nous interdirons à considérer une culture supérieure à une autre, ou, ce qui revient au même qu’aucune culture ne peut se penser supérieure aux autres.
L’ethnocentrisme est-ce le propre de la culture occidentale ?
Maintenant, ne tombons pas dans un anti-occidentalisme primaire, en pensant que seule la société occidentale est ethnocentrique. L’ethnocentrisme est une attitude spontanée et universelle. Lévi-Strauss, dans le texte ci-dessous, exprime l’universalité de l’ethnocentrisme de la manière suivante « Le barbare est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». L’homme, de manière générale a tendance de qualifier de « barbares » les peuples dits primitifs sans même voir que ceux-ci procèdent exactement de la même manière. C’est toujours l’autre culture qui est barbare. Par exemple, dans de nombreuses cultures, seuls les membres de la tribu sont qualifiés d’hommes, de « bon », d’ « excellents » ou de « complets », les membres des autres tribus étant appelés « mauvais », « méchants » voire « fantômes » ou « apparitions », dénominations conduisant ainsi jusqu’à leur priver de toute réalité. Force est de constater que l’idée d’humanité apparaît comme une idée tardive, idée qui n’est d’ailleurs pas elle-même dénuée d’ethnocentrisme. Lévi-Strauss souligne, par exemple, comment l’égalité naturelle entre les hommes et de la fraternité qui doit les unir sans distinction de races ou de cultures, proclamée dans la déclaration universelle des droits de l’homme, néglige la diversité des cultures et nie en réalité les différences qu’elle n’arrive pas à comprendre. Les cultures sont bien différentes mais non inégales pour autant. Ramener la différence à l’inégalité ou l’égalité à l’identité constituent deux formes d’ethnocentrisme. L’important pour nous étant de bien distinguer différence et inégalité.
Un texte pour réfléchir : Qui est barbare ?
« L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. […]Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. […] « L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion? – les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. […] En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »
C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, collection Médiations,1968.
Questions
Quelle est l’origine du mot « barbares » ? Que nous apprend cette étymologie ?
Le mot « sauvage » provient du latin « selva » qui désigne la forêt. En quoi les mots « sauvage » et «barbare » sont-ils proches ?
« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». Pourquoi un tel paradoxe détruit l’idée même de « barbarie » ?
Précisez le sens du mot « culture » dans ce texte.
Peut-on dire qu’il existe des peuples civilisés et d’autres pas ? Précisez les sens possibles du mot « civilisation ».
Dans l’histoire récente, des hommes ont considéré que certains peuples n’étaient pas civilisés. Quelles en furent les conséquences ?
Une belle leçon de civilisation
Un petit reportage qui donne à,penser sur notre culture, dès lors qu’on prend au sérieux le regard de l’autre différent sur notre civilisation.
D’origine Hongroise, Elisabeth (Ilona Weiss), jeune fille de 29 ans consulte Freud en 1892 pour des douleurs aux jambes (abasie). Freud attribue ces douleurs à des causes sexuelles. L’étude du cas d’Elisabeth est pour lui l’occasion de proposer une méthode d’analyse nouvelle, « la psychanalyse ».
« Je l’interrogeai donc sur les circonstances et les causes de la première apparition des douleurs. Ses pensées s’attachèrent alors à des vacances dans la ville d’eaux où elle était allée avant son voyage à Gastein et certaines scènes surgirent, que nous avions déjà plus superficiellement traitées auparavant. Elle parla de son état d’âme à cette époque, de sa lassitude après tous les soucis que lui avaient causés la maladie ophtalmique de sa mère et les soins qu’elle lui avait donnés à l’époque de l’opération ; elle parla enfin de son découragement final en pensant qu’il lui faudrait, vieille fille solitaire, renoncer à profiter de l’existence et à réaliser quelque chose dans la vie. Jusqu’alors, elle s’était trouvée assez forte pour se passer de l’aide d’un homme ; maintenant, le sentiment de sa faiblesse féminine l’avait envahie, ainsi que le besoin d’amour, et alors, suivant ses propres paroles, son être figé commença à fondre.
En proie à un pareil état d’âme, l’heureux mariage de sa sœur cadette fit sur elle la plus grande impression ; elle fut témoin de tous les tendres soins dont le beau-frère entourait sa femme, de la façon dont ils se comprenaient d’un seul regard, de leur confiance mutuelle. On pouvait évidemment regretter que la deuxième grossesse succédât aussi rapidement à la première, mais sa sœur qui savait que c’était là la cause de sa maladie supportait allègrement son mal en pensant que l’être aimé en était la cause.
Au moment de la promenade qui était étroitement liée aux douleurs d’Elisabeth, le beau-frère avait tout d’abord refusé de sortir, préférant rester auprès de sa femme malade, mais un regard de celle-ci, pensant qu’Elisabeth s’en réjouirait, le décida à faire cette excursion. La jeune fille resta tout le temps en compagnie de son beau-frère, ils parlèrent d’une foule de choses intimes et tout ce qu’il lui dit correspondait si bien à ses propres sentiments qu’un désir l’envahit alors : celui de posséder un mari ressemblant à celui-là. Puis ce fut le matin qui suivit le départ de la sœur et du beau-frère qu’elle se rendit à ce site, promenade préférée de ceux qui venaient de partir. Là, elle s’assit sur une pierre, et rêva à nouveau d’une vie heureuse comme celle de sa sœur, et d’un homme, comme son beau-frère, qui saurait capter son cœur. En se relevant, elle ressentit une douleur qui disparut cette fois-là encore, et ce ne fut que dans l’après-midi qui suivit un bain chaud pris dans cet endroit que les douleurs réapparurent pour ne plus la quitter.
J’essayai de savoir quelles pensées l’avaient préoccupée dans son bain ; je ne pus apprendre qu’une seule chose, c’est que l’établissement de bains l’avait fait se souvenir de ce que le jeune ménage y avait habité. J’avais compris depuis longtemps de quoi il s’agissait. La malade, plongée dans ses souvenirs à la fois doux et amers, paraissait ne pas saisir la sorte d’explication qu’elle me suggérait, et continuait à rapporter ses réminiscences. Elle dépeignait son séjour à Gastein et l’état d’anxiété où la plongeait l’arrivée de chacune des lettres; enfin lui parvint la nouvelle de l’état alarmant de sa sœur, et Elisabeth décrivit la longue attente, le départ du train, le voyage fait dans une angoissante incertitude, la nuit sans sommeil, tout cela accompagné d’une violente recrudescence des douleurs.
Je lui demandai si elle s’était représenté pendant le trajet la tragique possibilité qu’elle trouva réalisée à son arrivée. Elle me dit avoir fait l’impossible pour chasser cette idée, mais sa mère, croyait-elle, s’était dès le début attendue au pire. Suivit le récit de son arrivée à Vienne. Elle décrivit l’impression causée par les parents qui les attendaient à la gare, le petit trajet de Vienne à la proche banlieue où habitait sa sœur, l’arrivée le soir, la traversée rapide du jardin jusqu’à la porte du petit pavillon, la maison silencieuse et plongée dans une angoissante obscurité, le fait que le beau-frère ne vint pas à leur rencontre. Puis l’entrée dans la chambre où reposait la morte, et tout d’un coup, l’horrible certitude que cette sœur bien aimée était partie sans leur dire adieu, sans que leurs soins eussent pu alléger ses derniers moments.
Au même instant une autre pensée avait traversé l’esprit d’Élisabeth, une pensée qui, à la manière d’un éclair rapide, avait traversé les ténèbres : l’idée qu’il était redevenu libre, et qu’elle pourrait l’épouser. Tout s’éclairait. Les efforts de l’analyste étaient couronnés de succès. À cette minute, ce que j’avais supposé se confirmait à mes yeux, l’idée du « rejet » d’une représentation insupportable, l’apparition des symptômes hystériques par conversion d’une excitation psychique en symptômes somatiques, la formation – par un acte volontaire aboutissant à une défense – d’un groupe psychique isolé. C’était ainsi et non autrement que les choses s’étaient ici passées. Cette jeune fille avait éprouvé pour son beau-frère une tendre inclination, mais toute sa personne morale révoltée avait refusé de prendre conscience de ce sentiment. Enfin, lorsque cette certitude s’était imposée à elle (pendant la promenade faite avec lui, pendant sa rêverie matinale, au bain et devant le lit de sa sœur), elle s’était créé des douleurs par une conversion réussie de psychique en somatique.
À l’époque où j’entrepris son traitement, l’isolement du groupe d’associations relatives à cet amour était déjà fait accompli ; sans cela, je crois qu’elle ne se serait jamais prêtée au traitement, la résistance qu’elle opposa maintes fois à la reproduction des scènes traumatisantes correspondant réellement à l’énergie mise en oeuvre pour rejeter hors des associations l’idée intenable. Toutefois, le thérapeute fut en proie à bien des difficultés dans le temps qui suivit. Pour cette pauvre enfant, l’effet de la prise de conscience d’une représentation refoulée fut bouleversante. Elle poussa les hauts cris, lorsqu’en termes précis, je lui exposai les faits en lui montrant que depuis longtemps, elle était amoureuse de son beau-frère. À cet instant, elle se plaignit des plus affreuses douleurs et fit encore un effort désespéré pour rejeter mes explications : « Ce n’était pas vrai, c’était moi qui le lui avais suggéré, c’était impossible, elle n’était pas capable de tant de vilenies, ce serait impardonnable, etc. »
Il ne fut pas difficile de lui démontrer que ses propres paroles ne laissaient place à aucune autre interprétation, mais il me fallut longtemps pour lui faire accepter mes deux arguments consolateurs, à savoir que l’on n’est pas responsable de ses sentiments et que, dans ces circonstances, son comportement, son attitude, sa maladie, témoignaient suffisamment de sa haute moralité. »
S. Freud et J. Breuer, Études sur l’hystérie (1895), PUF, p. 163.
Toujours dans le cadre de l’apprentissage à l’étude de texte, étude de texte qui sera le sujet du prochain devoir surveillé, nous proposons ci-dessous un exemple sur le texte d’Aristote, Ethique à Nicomaque.
Une remarque pour commencer : en aucun cas le devoir ne doit faire apparaître des titres. Ici, ils apparaissent comme repère.
Introduction
Nous préférons le plaisir au déplaisir. Et cela est bien normal. Pourtant Aristote semble nous dire dans cet extrait de l’Ethique à Nicomaque que le plaisir n’est pas le bien et que tout plaisir n’est pas désirable. Alors, le plaisir nous comble-t-il vraiment ? N’y a-t-il pas derrière lui, si ce n’est parfois une certaine amertume au moins toujours un sentiment d’insuffisance ? N’y a-t-il pas par exemple des plaisirs honteux, des plaisirs coupables ?
Il semble qu’il manque au plaisir une dimension, celle que nous accordons sans hésiter au bien. Celui-ci n’est-il pas plus avantageux que le simple plaisir ? Ne nous comble-t-il pas davantage ? Dans ce texte, Aristote opère une distinction conceptuelle importante : le bien diffère du plaisir. L’auteur analyse les désirs humains et montre que tous ne visent pas leur satisfaction dans le plaisir mais qu’ils peuvent aussi se porter vers des biens distincts du plaisir. Ainsi, on peut désirer non pas pour éprouver du plaisir mais pour d’autres motivations. Tout le problème est alors de savoir quelle place on doit accorder au plaisir. Doit-on y renoncer ? Doit-on l’exclure de notre recherche du bonheur ?
Dans ce texte, Aristote commence par différencier le plaisir et le bien pour ensuite montrer qu’il est possible, d’une part, de ne pas rechercher le plaisir, et, d’autre part, de rechercher autre chose que le plaisir relevant du bien. Cet extrait qui se termine par la nécessité de distinguer le plaisir du bien n’a finalement d’autre objectif que de démontrer que le bonheur que l’être humain doit désirer est à comprendre non comme plaisir mais comme bien moral. Et ce que nous allons étudier.
Développement
Partie 1
Tout d’abord Aristote prend un exemple, celui de la différence entre l’ami et le flatteur. Son but est de suggérer qu’il existe une différence entre le bien et le plaisir. Aristote commence par dire que « le fait que l’ami est autre que le flatteur semble montrer clairement que le plaisir n’est pas un bien ». Alors que l’ami recherche notre bien, il est bienveillant à notre égard, il est attentif, le flatteur, au contraire a pour but, par sa flatterie de nous procurer du plaisir. Précisons cette distinction entre l’ami et le flatteur parallèlement à celle du bien et du plaisir.
Pourquoi l’ami recherche-t-il notre compagnie, si ce n’est pour la raison noble tenant à son amitié pour nous. L’ami nous veut du bien, il ne nous veut que du bien. Son amitié pour nous ne provient pas de motivation tenant d’intérêts égoïstes, superficiels. L’amitié a pour finalité l’amitié elle-même, c’est-à-dire le bien pour l’autre, l’ami. Autrement dit, son amitié est bienveillante et cette bienveillance est désintéressée. En effet, derrière nulle arrière pensée, nulle utilisation de notre personne comme moyen pour une quelconque utilisation ou pour son plaisir. Cette bienveillance de l’ami à notre égard se caractérise par la recherche de ce qui est essentiel et profitable à long terme. En cela, l’ami peut être exigeant à notre égard.
Quant au flatteur, et son attitude apparaît diamétralement opposée à celui de l’ami, a pour but de nous procurer des plaisirs. Sa démarche est en cela bien plus superficielle. Nous savons que flatter c’est complimenter, et il vrai que les compliments que le flatteur peut nous adresser peuvent nous être agréables. La flatterie caressent dans le sens du poil, elle nous adresse des éloges, et cela nous plaît bien, même si elle n’a pas le caractère de la vérité, de la sincérité. Ce que touche la flatterie par ses compliments et ses éloges ne sont que des aspects plutôt peu essentiels de notre être. Par exemple, le flatteur saura nous complimenter sur notre apparence, comme si l’apparence était ce qu’il y a de plus fondamental dans la vie.
D’autre part, la flatterie se caractérise par un deuxième point : l’intérêt. Le flatteur flatte car il cherche quelque chose. Précédemment, nous disions que le flatteur a pour but de nous procurer des plaisirs, nous pouvons désormais ajouter qu’il agit pour son propre plaisir. Alors que l’ami, désintéressé, ne vise que l’autre ami dans la relation en voulant son bien, au contraire, le flatteur, intéressé, ne cherche qu’un gain pour lui. Flatter, faire des courbettes à son supérieur pour s’en faire bien voir. On peut aisément douter de la sincérité de la flatterie, souvent fausse ou hypocrite. Cependant, et cela est digne de remarque, quand bien même ces flatteries nous étant adressées seraient perçues de nous comme peu sincères, elle ne cesseraient pas d’exercer un pouvoir sur nous, une attraction plus forte que notre lucidité. La séduction opérée par le flatteur fonctionne grâce finalement à notre complicité. Et en cela, la flatterie peut s’avérer dangereuse en ce qu’elle peut être manipulatrice.
La célèbre fable de Jean de La Fontaine, « Le corbeau et le renard » est à cet égard particulièrement illustrative. Le renard, intéressé par le fromage tenu par le bec de Maître corbeau, par la ruse flatte ce dernier, qui, naïf, ne se sent plus de joie… et laisse tomber sa proie. La flatterie, on le voit est en fait moquerie, elle joue, elle se joue de l’autre. Quand le corbeau prend conscience que le renard s’est moqué de lui, il est trop tard, son plaisir disparaît. La flatterie laisse derrière elle, plus que la vexation, la déception et la désillusion. Et le renard de dire au corbeau confus par sa naïveté d’avoir été ainsi trompé de dire : « Mon bon Monsieur, apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». On constate qu’elle est vice dans le sens où elle n’avait pour but que de nous abuser, de se servir de nous, de se jouer de nous.
Rien de cela dans l’amitié. Elle ne déçoit pas. Nulle désillusion, elle ne joue pas avec nous, elle ne se joue pas de nous. Pas de flatterie, ni de séduction et de mensonge ! Pas d’intérêt ni d’artifice ; pas d’hypocrisie mais sincérité ! On comprend bien pourquoi Aristote rappelle qu’on adresse généralement au flatteur « des reproches et à l’autre (l’ami) des éloges. » Autrement dit, on condamne le flatteur alors qu’on valorise l’ami. Aristote nous suggère que derrière le plaisir issu d’une flatterie se cachent bien des désagréments, des déplaisirs.
Partie 2
Mais qu’est-ce qui caractérise le plaisir et qu’est-ce qui le rend incomplet comparativement au bien ?
Le plaisir se caractérise par l’agréable, mais il est agréable seulement au moment où il est ressenti. Le caractère agréable du plaisir n’est pas durable, il est éphémère et peut même parfois, dans certains cas, se convertir en souffrance. Par exemple si fumer apparaît agréable au fumeur, le plaisir cesse rapidement d’où la rapidité du désir de fumer de naître à nouveau ; et quand survient la maladie et son lot de souffrance, conséquences de la tabagie, il ne sera plus temps de regretter ces petits plaisirs successifs des cigarettes grillées. Le plaisir peut donc être un piège. Il sait piéger tout comme le flatteur ou le séducteur sait piéger.
Comme les cours ont été suspendus pour des raisons qui sont indépendantes de notre volonté et qu’il convient de préparer le prochain devoir surveillé qui portera sur un texte, je vous propose le cours du jour prévu en ligne ci-dessous.
Reprenons le texte d’Aristote, extrait de l’Ethique à Nicomaque, et au besoin relirele texte et le cheminement proposé dans le cours du 11 octobre 2012. Nous terminerons ici le travail préparatoire déjà commencé afin de pouvoir rédiger la version définitive de l’étude philosophique de ce texte.
Correction de l’exercice
A quelle thèse s’oppose Aristote dans ce texte ?
On ne voit pas dans ce texte, l’expression d’une thèse à laquelle s’oppose Aristote. Cependant, il semble évident qu’il s’oppose à l’opinion commune, à moins que cela soit l’opinion commune qui se heurte à la thèse d’Aristote. Quelle est cette opinion commune ? On considère comme évident l’idée du bonheur comme la satisfaction du désir, c’est-à-dire le bonheur comme l’équivalent du plaisir. Et pourquoi nous faudrait-il renoncer à des petits plaisirs, même éphémères et superficielles ? Ceux-ci n’agrémentent-ils pas nos vies ? Et pourquoi ne pas profiter de ces plaisirs dès lors qu’ils sont à portée de notre main ?
Que faut-il expliquer ?
Proposons-nous ici d’expliquer quelques concepts importants, bien et plaisir, désir et avantage. Nous donnerons une explication plus complète et détaillée ensuite dans un exemple d’étude rédigée.
Le bien est préférable au plaisir
On remarque que le bien, notion importante dans ce texte en ce qu’il est se présente comme terme d’une alternative concernant la vie heureuse et dont l’autre terme est le plaisir, n’est pas défini dans le texte. Tout au plus, Aristote en donne-t-il des exemples sur la fin du texte : « voir, se souvenir, savoir, posséder des vertus ». Aristote privilégie le bien au plaisir dans la quête du bonheur, il le valorise relativement au plaisir. Mais qu’est-ce qui fait selon Aristote cette valeur du bien ? Aristote ne nous le dit pas exactement. Il conviendra alors pour nous d’expliciter ce qu’Aristote suggère simplement. On pourra par exemple travailler cette notion de bien associée plus particulièrement à l’idée de vertu (voir l’opposition du bien au vice et son rapport à la morale), comme désignant une satisfaction profonde et stable par opposition au plaisir. C’est d’ailleurs la distinction du bien au plaisir opérée par l’auteur qui nous permettra d’expliquer cette notion de bien. Nous préciserons aussi, que le bien étant essentiel à l’être humain est ce qui se présente comme un avantage pour lui sur le plaisir.
Le plaisir est-il satisfaisant ?
Le plaisir est de manière générale considérée comme la satisfaction d’un désir. La question est de savoir si le plaisir est la satisfaction du désir, tout plaisir est-il pour autant désirable et ne désire-t-on que ce va procurer du plaisir ? Le texte part de l’idée commune selon laquelle nous recherchons le plaisir. Il ne s’agit pour Aristote d’affirmer ou de confirmer cette position qui apparaît évidente mais de la remettre en question, ce qui ne va pas sans susciter un certain étonnement. En effet, dans ce texte, notre philosophe remet en question une opinion plus que courante à propos du bonheur, celle qui consiste à le rechercher dans le plaisir, en cherchant à collectionner les plaisirs. Il opère une critique du plaisir, critique indirecte du plaisir. Celui-ci renvoie à l’idée de plaisir perçu comme satisfaction superficielle, éphémère, illusoire, incomplète. Autrement dit le plaisir s’il est une satisfaction, il s’agit d’une satisfaction insuffisante, d’une satisfaction insatisfaisante.
Doit-on renoncer aux plaisirs ?
Pour notre part, on peut ne pas déconsidérer le plaisir comme le fait l’auteur. En effet, le plaisirs, les petits plaisirs ne permettent-ils pas d’agrémenter notre existence, de la ponctuer de contentements. Et même si ces petits plaisirs se présentent comme de petits rien pourrait-on s’en passer pour mener une vie bien austère, stricte et rigide ? D’autre part, rechercher une existence entièrement comblé de bonheur par le bien, n’est-ce pas viser une existence incertaine, de poser une cible hors de portée ? Autrement dit les petits plaisirs ponctuant la vie ne sont-ils pas une forme de bonheur et finalement au fondement d’un bonheur possible ? En fait, il n’est pas du tout certain qu’Aristote soit en désaccord avec ce que nous venons de dire, il ne mène pas dans cet texte une campagne anti-plaisir. Non, il ne faudrait pas conclure trop hâtivement que la morale d’Aristote dans ce texte est de condamner le plaisir, on voit bien qu’il suggère l’idée que le plaisir accompagne le bien, mais on ne recherche pas ce dernier parce qu’il est accompagné de plaisir, mais parce qu’il est le bien, seule chose vraiment désirable. D’ailleurs le bien n’est pas nécessairement accompagné de plaisir, et pourtant il est toujours recherché. En fait, Aristote tient seulement à nous mettre en garde contre ce que l’on peut appeler un hédonisme facile, l’hédonisme étant la recherche du plaisir. Il ne convient pas, selon lui, de chercher tête baissée à satisfaire les désirs comme ils arrivent. Nous savons par exemple que l’adulte ne peut pas se satisfaire de plaisirs d’enfants et que des plaisirs déshonorants ne peuvent être désirables. Les plaisirs qui accompagnent la vertu par exemple ne sont-ils pas préférables, et, de ce fait, cela ne signifie-t-il pas que le bien est ce qui comble davantage plutôt que le plaisir et qu’il est ce qui doit être rechercher pour mener une existence heureuse ?
Quel est l’objet du désir ?
Le désir est également une notion importante. On définit généralement un désir comme un état qui se fait ressentir comme un manque, une insatisfaction. Le désir est donc vu comme une tension vers un objet dont on imagine qu’il sera source de satisfaction. On peut prendre, pour illustrer cette définition, l’exemple du besoin telle que la faim : La faim étant le désir de se nourrir est ressentie comme un manque que l’on comblera par l’acte de manger. Cet acte procure du plaisir. Dans ce texte, il est à remarquer qu’Aristote prend le désir dans une extension beaucoup plus large. Quel est l’objet du désir pour lui ? Il définit le désir comme ce qui est à l’origine de la recherche du bonheur, il en est la motivation. Ce n’est pas dit dans le texte, mais sans doute faut-il le savoir, la philosophie d’Aristote est un eudémonisme. C’est-à-dire ? Aristote met le bonheur au centre de l’existence de l’homme, il est son but ultime. Autrement dit, le véritable objet du désir de l’homme pour notre philosophe est le bonheur. Toutes nos actions, de manière directe ou indirecte, sont motivées par ce désir fondamental. Et, si le plaisir est la satisfaction d’un désir, il ne comble cependant pas tout le désir et tous les désirs. En effet, et c’est là d’ailleurs que la philosophie d’Aristote extraite de ce texte est intéressante, c’est que nous pouvons désirer des biens qui ne nous font pas forcément plaisir, de même que nous pouvons ne pas désirer ce qui nous fait plaisir, le bonheur étant la finalité ultime de notre existence. N’est-ce pas être sage et sensé que de savoir et rechercher ce qui est bien, c’est-à-dire de savoir ce qui convient à la vie heureuse, plutôt que de rechercher à tout prix tout plaisir ? Le bien n’est-il pas ce qui nous est avantageux ?
L’avantage est accordé au bien plutôt qu’au plaisir
Pour bien comprendre la différence bien / plaisir, sans doute nous faut-il étudier l’exemple donné en début de texte qui compare l’ami et le flatteur, ce que nous ferons ultérieurement, et, saisir ce que sont les avantages dont parle Aristote dans son texte, ce que nous allons faire maintenant. La notion d’avantage est sans aucun doute à relier à celle de bien. On peut même parler de synonymie entre ces deux termes. L’avantage est ce qui caractérise le bien par rapport au plaisir. Alors que le bien nous apporte quelque chose de fondamental, le plaisir, quant à lui, peut se révéler, désavantageux. Le plaisir peut en effet être contraire à nos intérêts humains. Le bien nous comble, il a une capacité de complétude que n’a pas l’éphémère et partiel plaisir.
Après avoir analysé les notions importantes et avoir rendu compte les articulations, il conviendrait d’intégrer ces explications en reprenant l’ordre du texte et travaillant les différents exemples que l’auteur donne.
En raison de la coupure d’eau, le lycée a dû fermer, le devoir-surveillé prévu ce samedi 13 octobre 2013 est donc reporté. Il aura lieu samedi prochain 20 octobre de 8h00 à 12h00.
Il n’y a pas d’autre choix que de prendre ce contre-temps avec philosophie !
En attendant, vous pouvez toujours parfaire votre approche de l’étude de texte.
« Le fait que l’ami est autre que le flatteur semble montrer clairement que le plaisir n’est pas un bien, ou qu’il y a des plaisirs spécifiquement différents. L’ami, en effet, paraît rechercher notre compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir, et à ce dernier on adresse des reproches et à l’autre des éloges, en raison des fins différentes pour lesquelles ils nous fréquentent. En outre, nul homme ne choisirait de vivre en conservant durant toute son existence l’intelligence d’un petit enfant, même s’il continuait à jouir le plus possible des plaisirs de l’enfance ; nul ne choisirait non plus de ressentir du plaisir en accomplissant un acte particulièrement déshonorant, même s’il ne devait jamais en résulter pour lui de conséquence pénible. Et il y a aussi bien des avantages que nous mettrions tout notre empressement à obtenir, même s’ils ne nous apportaient aucun plaisir, comme voir, se souvenir, savoir, posséder les vertus. Qu’en fait des plaisirs accompagnent nécessairement ces avantages ne fait pour nous aucune différence, puisque nous les choisirions quand bien même ils ne seraient pour nous la source d’aucun plaisir. Qu’ainsi donc le plaisir ne soit pas le bien, ni que tout plaisir soit désirable, c’est là une chose, semble-t-il, bien évidente. »
Aristote, Ethique à Nicomaque
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Exercices :
Prendre connaissance du texte
Procéder au travail préparatoire de l’étude de texte
Exploiter le travail préparatoire
Compte-rendu de la séance avec les TL
Une séance similaire a eu lieu avec la classe de TES
On a commencé par un rappel de la nécessité d’effectuer un travail préparatoire avant de se lancer dans un quelconque commentaire du texte. Ce travail préparatoire est constitué de questions auxquelles il faut tâcher de répondre. Quel est le thème ? Quelle est la question à laquelle répond l’auteur dans ce texte ? Quelle en est la réponse ? (sa thèse ou l’idée directrice) Comment l’auteur dit-il ce qu’il dit ? (étude de la structure logique et mise en évidence de l’argumentation de l’auteur) A quelle position s’oppose l’auteur ? (Cette thèse opposée peut-être explicite ou implicite) Qu’est-ce qui mérite d’être expliquer ? (parce que c’est essentiel à la compréhension du texte, parce qu’il s’agit de notions importantes qu’il faut définir et rendre compte de leur articulation…) Ces questions sont toujours les mêmes quelque soit le texte à étudier. S’ajoutent à ces questions celles qui s’adressent plus particulièrement au texte donné. Elles sont celles qui permettent d’interroger le texte, de creuser le problème qu’il soulève, d’interpeller l’auteur sur tel ou tel point, sur une difficulté… Ce travail préparatoire s’effectue tant que l’idée d’une version définitive de l’étude n’apparaît pas claire et précise. En temps limité (4h), ce travail préparatoire peut prendre facilement deux heures. Les deux autres heures seront destinées à la rédaction de l’étude détaillée. L’étude rendue doit comporter évidemment une introduction, un développement structuré et d’une conclusion. L’introduction présente le texte en montrant de quoi il est question, quel est le problème qu’il soulève et la position et l’argumentation de l’auteur. Le développement a pour but d’analyser le texte de la manière la plus détaillée possible. Et à la question du plan à adopter dans le développement, nous répondrons par celui du texte ; autrement dit, on tachera de suivre l’ordre des idées de l’auteur. Et la conclusion tâchera de dresser le bilan de l’étude menée. La proposition du jour est de réaliser un travail qui tend vers la version définitive de l’étude de texte. Le texte soumis à l’étude est un extrait de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote.
La première lecture nous a conduit à lister des quelques mots semblant ressortir du texte et à quelques questions. Ces mots sont « ami », « plaisir », « flatteur », « enfance ». Nous remarquons que ces mots ne joue pas le même rôle. Et les questions : « qu’est-ce qu’un ami ? » ; « Le plaisir est-il indispensable ? » ; « Est-il de l’ordre du besoin ? »
« Ami », « flatteur » et « enfance » se réfèrent chacun à une réalité concrète, alors que « plaisir » est plutôt de l’ordre de l’idée abstraite. L’idée abstraite doit nous permettre en principe de penser la réalité concrète. La conceptualisation philosophique est construction d’idées abstraites articulées pour penser le concret, ce sans quoi la philosophie risquerait de se retrouver complètement déconnectée de la réalité. Ceci étant dit, on comprend que, dans ce texte d’Aristote, le mot plaisir doit en principe permettre de penser une idée et les mots amis, flatteur et enfance relever de l’exemple. Les lectures suivantes devront pouvoir certainement compléter la liste des mots et préciser cette distinction abstrait / concret en se posant la question : qu’est-ce qui relève de l’idée et qu’est-ce qui relève de l’exemple ? quel est le lien entre l’idée et l’exemple ?
En ce qui concerne les quelques questions qui sont apparues lors de cette première lecture, la première « qu’est-ce qu’un ami ? » est vite abandonnée comme étant la question du texte. En effet, sans vouloir préjuger à l’avance de sa pertinence par ailleurs, ni d’ailleurs dans ce texte, la question importe peu ici, cependant la position d’Aristote au sujet de l’amitié devra être étudiée. Pourquoi parle-t-il de l’amitié ? qu’est-ce qu’il en dit ? dans quel but ? D’ailleurs, il conviendra de se poser les mêmes questions par rapport au flatteur et à l’amitié. En revanche, on peut dors et déjà retenir l’autre questions, à savoir, « Le plaisir est-il indispensable ? est-il de l’ordre du besoin ? » Cette question a le mérite de nous plonger déjà au coeur même du texte. Nous ne savons pas encore cependant, s’il s’agit de la question du texte. Il est à remarquer que tout ce que nous pouvons dire à l’occasion de cette exploration du texte et lors de la constitution préparatoire à l’étude de texte reste provisoire et demande à être vérifié, travaillé, approfondie. L’important est de s’accrocher sur ce que l’on pense avoir compris et de manière concentrique d’élargir l’exploration du texte, en déplaçant si l’on peut dire le projecteur. Il faut donc poursuivre la lecture, approfondir notre compréhension.
Les lectures suivantes ont permis d’élargir la liste des mots importants et surtout des associations importantes : Même si le mot bonheur n’apparaît pas dans ce texte on voit bien que l’idée de bonheur est bien présente. Associé à « existence » le bonheur permet d’évoquer l’idée d’existence heureuse. La question de la place du plaisir dans l’existence heureuse survient. Le bonheur semble être l’enjeu du texte, un objectif d’Aristote dans ce texte. Il conviendra certainement de préciser ce point. Face à cette question, l’opinion commune répondrait, semble-t-il, que le plaisir est indispensable : pas de bonheur sans plaisir. Le plaisir est constitutif du bonheur. La question sera de savoir ce qu’il en est de la position d’Aristote à ce propos.
En outre, on a remarqué qu’Aristote dans ce texte opère souvent par mise en rapport. Par exemple, il met en rapport l’ami et le flatteur parallèlement au rapport bien et plaisir. Au passage remarquons ce terme de « bien » qui est capital dans ce texte ; il faudra être en mesure de bien le définir. Il est à remarquer qu’Aristote s’oppose à l’opinion commune évoquée précédemment que seul le plaisir est désirable et permet le bonheur. Il soutient au contraire l’idée selon laquelle le bien est ce qui doit être recherché, le bien étant supérieur au plaisir. « Le plaisir n’est pas un bien » dit-il. Il le montre en disant : « L’ami, en effet, paraît rechercher notre compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir ».
Ces premières lectures ont permis une première approche du texte. Il nous semble avoir une bonne intuition du texte. Il nous faut maintenant aller plus en profondeur en tentant de rendre compte du thème, du problème et de la thèse.
La thèse centrale semble être le plaisir mais on voit bien qu’il est aussi question du bien et du désir. Pour être plus précis, disons que ce texte a pour objectif de démontrer que le bien-être de l’homme, son bonheur, celui qui doit être recherché, visé, désiré, est à comprendre non pas comme plaisir mais comme bien. Reformulons, le texte parle d’un bonheur entendu non comme la satisfaction du désir mais comme la quête du bien moral. Finalement, le rapport entre le bonheur et la morale est la thématique générale du texte d’Aristote. Ainsi, la question à laquelle semble répondre l’auteur est la suivante : comment être heureux ? Et pour donner à cette question tout son caractère problématique, reformulons-là sous la forme d’une alternative : faut-il satisfaire ses désirs ou bien chercher à accomplir le bien pour être heureux ?
Il apparaît qu’Aristote cherche à distinguer plaisir et bien dans le seul but de critiquer la recherche superficielle du plaisir et ainsi de proposer un modèle de bonheur bien plus abouti. A la fin de l’extrait, il dit que si le plaisir n’est pas le bien, ni que tout plaisir est désirable, « c’est là une chose bien évidente ». Pour notre philosophe, la recherche du plaisir ne comble pas notre désir d’être heureux et le bonheur consiste plutôt à rechercher le bien. Le bien est, selon lui, seul capable de nous satisfaire de manière autant stable que complète, à la différence du plaisir très ponctuel, superficiel, changeant et éphémère. Le bien sied donc bien mieux au bonheur que le plaisir. Il s’agira pour nous de savoir comment il faut comprendre ce rapport entre le bien et le plaisir et leur lien respectif avec le bonheur. En fait tout le problème que soulève Aristote dans cet extrait est de savoir si le seul plaisir peut nous rendre heureux ou bien si l’on doit le chercher ailleurs,dans la recherche du bien. Mais ce bien, de quoi s’agit-il au juste ? et d’autre part, si le plaisir n’est pas le bonheur, alors quelle place doit-on lui accorder dans notre existence ? Devons-nous tout bonnement y renoncer ? Devons-nous sacrifier tout tendance vers le plaisir pour s’adonner à la seule recherche du bien ? Toutes ces questions permettent de creuser le problème et de bien comprendre la position de l’auteur en vue de l’expliquer.
Maintenant que nous pensons avoir compris l’idée générale d’Aristote dans cet extrait, cherchons à savoir comment il dit ce qu’il dit, à mettre en évidence son argumentation. Pour ce faire, nous allons procéder à l’étude de la structure logique.
On peut distinguer trois parties dans ce texte : Dans un premier temps, [« Le fait que l’ami est autre que le flatteur => et pour lesquelles ils nous fréquentent« ] Aristote annonce sa thèse en posant la distinction bien / plaisir. Pour ce faire, il utilise un exemple, celui de l’ami qui se différencie du flatteur. Alors que l’ami recherche notre compagnie pour notre bien, le flatteur c’est pour bien d’autre raison, en l’occurrence, pour le plaisir. Par ce procédé, on comprend déjà que le bien est préférable au plaisir. Dans un deuxième temps, [« En outre, nul homme ne choisirait => conséquence pénible« .] il met en évidence la possibilité de ne pas rechercher le plaisir. Pour ce faire, il utilise un raisonnement proche du raisonnement par l’absurde : qui voudrait du plaisir d’enfant ou du plaisir déshonorant ? Il est donc des plaisirs qui ne sont pas désirables. Dans un troisième temps, [« Et il y a aussi bien des avantages => bien évidente« ] il met cette fois-ci en évidence la possibilité de désirer autre chose que le plaisir. Cet autre chose étant le bien. Pour ce faire, Aristote prend des exemples de biens voir, se souvenir, savoir, posséder des vertus. Et quand bien même ces biens ne nous procureraient aucun plaisir il nous sont bien plus avantageux. Ce texte se termine (dernière phrase) par cette idée considérée désormais comme une évidence que des biens sont plus désirables que le plaisir.
La séance pris fin avec des consignes pour terminer le travail préparatoire :
A quelle thèse Aristote s’oppose-t-il dans ce texte ?
Qu’est-ce qui, dans ce texte, doit être expliqué ?