Dissertation 1
Les pratiques artistiques transforment-elles le monde ?
Dissertation 2
Revient-il à l’État de décider de ce qui est juste ?
Explication de texte
Pour qu’une observation puisse être qualifiée de scientifique, il faut qu’elle soit susceptible d’être faite et répétée dans des circonstances qui comportent une définition exacte, de manière qu’à chaque répétition des mêmes circonstances on puisse toujours constater l’identité des résultats, au moins entre les limites de l’erreur qui affecte inévitablement nos déterminations empiriques1. Il faut en outre que, dans les circonstances définies, et entre les limites d’erreurs qui viennent d’être indiquées, les résultats soient indépendants de la constitution de l’observateur ; ou que, s’il y a des exceptions, elles tiennent à une anomalie de constitution, qui rend manifestement tel individu impropre à tel genre d’observation, sans ébranler notre confiance dans la constance et dans la vérité intrinsèque du fait observé. Mais rien de semblable ne se rencontre dans les conditions de l’observation intérieure sur laquelle on voudrait fonder une psychologie scientifique ; d’une part, il s’agit de phénomènes fugaces, insaisissables dans leurs perpétuelles métamorphoses et dans leurs modifications continues ; d’autre part, ces phénomènes sont essentiellement variables avec les individus en qui se confondent le rôle d’observateur et celui de sujet d’observation ; ils changent, souvent du tout au tout, par suite des variétés de constitution qui ont le plus de mobilité et d’inconsistance, le moins de valeur caractéristique ou d’importance dans le plan général des œuvres de la nature. Que m’importent les découvertes qu’un philosophe a faites ou cru faire dans les profondeurs de sa conscience, si je ne lis pas la même chose dans la mienne ou si j’y lis tout autre chose ? Cela peut-il se comparer aux découvertes d’un astronome, d’un physicien, d’un naturaliste2 qui me convie à voir ce qu’il a vu, à palper ce qu’il a palpé, et qui, si je n’ai pas l’œil assez bon ou le tact assez délicat, s’adressera à tant d’autres personnes mieux douées que je ne le suis, et qui verront ou palperont si exactement la même chose, qu’il faudra bien me rendre à la vérité d’une observation dont témoignent tous ceux en qui se trouvent les qualités du témoin ?
Antoine-Augustin COURNOT, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique (1851)
1 «empiriques» : issues de l’expérience.
2 «naturaliste» : celui qui étudie la nature, en particulier les êtres vivants.