Une dissertation pour le deuxième devoir à la maison

Devoir-Maison

Dissertation philosophique

A rendre le 11 décembre 2013

 

Sujet : Invoquer l’inconscient nous rend-il irresponsables ?

 

Vous pourrez vous aider des textes suivants : Voir Anthologie à partir de la p.446 => Sigmund Freud, « Une difficulté de psychanalyse », in L’Inquiétante étrangeté et autres essais ; Reprendre les textes vus en cours sur Freud. Voir Anthologie à partir de la p.528 => Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1945. En particulier la p.531 ; Les 2 textes ci-dessous du philosophe Alain, Eléments de philosophie :

« L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient ; là se trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L’hérédité est un fantôme du même genre.  « Voilà mon père qui se réveille ; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé ». Tel est le texte des affreux remords de l’enfance ; de l’enfance, qui ne peut porter ce fardeau ; de l’enfance, qui ne peut jurer ni promettre ; de l’enfance, qui n’a pas foi en soi, mais au contraire terreur de soi. On s’amuse à faire le fou. Tel est ce jeu dans dangereux. On voit que toute l’erreur ici consiste à gonfler un terme technique, qui n’est qu’un genre de folie. La vertu de l’enfance est une simplicité qui fuit de telles pensées, qui se fie à l’ange gardien, à l’esprit du père ; le génie de l’enfance, c’est de se fier à l’esprit du père par une piété rétrospective, « Qu’aurait-il fait le père ? Qu’aurait-il dit ? » Telle est la prière de l’enfance. Encore faut-il apprendre à ne pas trop croire à cette hérédité, qui est un type d’idée creuse; c’est croire qu’une même vie va recommencer. Au contraire, vertu, c’est se dépouiller de cette vie prétendue, c’est partir de zéro. « Rien ne m’engage »;  « Rien ne me force ».  « Je pense donc je suis. »  Cette démarche est un recommencement. Je veux ce que je pense, et rien de plus. La plus ancienne forme d’idolâtrie, nous la tenons ici; c’est le culte de l’ancêtre, mais non purifié par l’amour.  « Ce qu’il méritait d’être, moi je le serai ». Telle est la piété filiale. En somme, il n’y a pas d’inconvénient à employer couramment le terme d’inconscient ; c’est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l’erreur ; et, bien pis, c’est une faute. »

« Il y a de la difficulté sur le terme d’inconscient. Le principal est de comprendre comment la psychologie a imaginé ce personnage mythologique. Il est clair que le mécanisme échappe à la conscience, et lui fournit des résultats (par exemple, j’ai peur) sans aucune notion des causes. En ce sens la nature humaine est inconsciente autant que l’instinct animal et par les mêmes causes. On ne dit point que l’instinct est inconscient. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a point de conscience animale devant laquelle l’instinct produise ses effets. L’inconscient est un effet de contraste dans la conscience. (…) En fait l’homme s’habitue à avoir un corps et des instincts. Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité. Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont toujours ce qu’il y a d’indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par-là que ce genre d’instinct offrait une riche interprétation. L’homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. »

Alain, Eléments de philosophie, 1941

Sartre. « Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde »

Samedi 16 novembre 2013

Devoir-Surveillé de philosophie

TL et TES

 

Durée : 4h

Sujet : Expliquez le texte suivant,

 

            « Chacune de nos perceptions s’accompagne de la conscience que la réalité humaine est « dévoilante », c’est-à-dire que par elle « il y a » de l’être, ou encore que l’homme est le moyen par lequel les choses se manifestent ; c’est notre présence au monde qui multiplie les relations, c’est nous qui mettons en rapport cet arbre avec ce coin de ciel ; grâce à nous, cette étoile, morte depuis des millénaires, ce quartier de lune et ce fleuve sombre se dévoilent dans l’unité d’un paysage ; c’est la vitesse de notre auto, de notre avion qui organise les grandes masses terrestres ; à chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf.

            Mais si nous savons que nous sommes les détecteurs de l’être, nous savons aussi que nous n’en sommes pas les producteurs. Ce paysage, si nous nous en détournons, croupira sans témoins dans sa permanence obscure. Du moins croupira-t-il : il n’y a personne d’assez fou pour croire qu’il va s’anéantir. C’est nous qui nous anéantirons et la terre demeurera dans sa léthargie jusqu’à ce qu’une autre conscience vienne l’éveiller. Ainsi, à notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée.

            Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde. »

Sartre, « Qu’est-ce que la littérature ? » Situations II

 

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Bon courage !

Voici quelques éléments pour vous aider dans votre travail

Rappel de l’objectif : lire le texte pour le comprendre, le comprendre pour l’expliquer, l’expliquer pour le faire comprendre.

Faire le travail préparatoire dans les règles. C’est essentiel, ce travail détermine ce qui sera la version définitive de votre étude de texte.

N’oubliez pas notamment d’établir le plan du texte, en distinguant les idées, les arguments et les exemples et en insistant bien sur sa progression logique. Et vous pouvez ensuite, à partir de là, dire quelle est la thèse de l’auteur. Et  formuler à quel problème philosophique celle-ci répond. A partir de là, on devra prendre soin de dégager les arguments.

Pour expliquer le texte, il conviendra de se demander ce que veut dire Sartre quand il affirme que « (…) la conscience de la réalité humaine est dévoilante » ? Comment comprendre le sens de ce dévoilement ? Pour ce faire, il conviendra de rechercher les différents sens du terme « dévoiler ». Et pour chaque sens, demandez-vous s’il est pertinent par rapport au texte, s’il permet de rendre sa vérité au texte. Pour cela, on pourra confronter les sens différents trouvés avec le texte et de se demander s’ils en permettent une lecture cohérente.

« A chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf ». Comment comprendre cette affirmation de Sartre ? Veut-il dire qu’il y a autant d’apparences du monde que de points de vue, et donc qu’il n’y a que des façons de voir subjectives ? Ou bien alors que la réalité objective du monde n’est rien d’autre que la somme de ces façons de voir le monde ? Prenez des exemples ; comparez par exemple le regard du peintre sur un paysage, celui du géologue, celui de l’agriculteur, celui du promeneur. Vous pouvez bien sûr prendre vos propres exemples.

« La vitesse de notre auto, de notre avion… » : le travail de la conscience peut-il être indépendant d’un contexte matériel, technique, historique ?

« A notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée. » Comment concilier ces deux aspects, apparemment contradictoires ? Que serait le monde s’il n’y avait pas de conscience humaine pour le révéler ? Faut-il comprendre que dévoiler le monde c’est le faire exister ?

Si la conscience dévoile le monde, en retour quelle est l’action du monde sur la conscience ? Que révèle le monde à l’homme ?

Mais quel est le rapport à l’art (cf. fin du texte) avec l’idée de Sartre ? Quelle est cette vérité de l’art dont il est question ?

Conseils pour la rédaction de l’étude

Quand votre travail préparatoire est terminé, il faudra procéder à la rédaction de la version définitive de l’étude de texte.

Il va de soi que vous rendrez une copie avec une introduction qui présente le texte, un développement structuré suivant l’ordre du texte et une conclusion qui dresse le bilan de l’étude.

La présentation s’aidera du thème, de la question, de la position avec une citation significative et le procédé d’argumentation.

L’analyse devra être aussi précise que possible et si vous discutez les idées de l’auteur prenez bien garde d’avoir bien compris ses idées et de ne pas évoquer contre elles de simples opinions. En outre, on devra être en mesure de bien distinguer ce qui ressort de l’analyse du texte de l’évaluation critique.

Le bilan fait le point sur toute l’étude et sur les enjeux et l’intérêt philosophiques du texte.

Prenez soin d’écrire clairement et simplement en utilisant du vocabulaire approprié et conformément aux règles de la langue. Autrement dit l’expression sera prise en compte dans l’évaluation.

 

Svyato ou la découverte de son image dans un miroir.

Séance de mercredi 13 novembre 2013 : TL, TES et TS

Avant-propos : présentation de la séance du jour

Le sujet se sait sujet, mais comment se sait-il être sujet ? se reconnaît-il en tant que sujet ? C’est tout le problème de l’origine de l’émergence du sentiment de soi qui se pose ici. Contre toute une tradition philosophique qui remonte à Descartes, on admet aujourd’hui que l’individu humain ne naît pas sujet. Il le devient. Autrement dit, sa personnalité se construit, se met en forme par un processus lent et laborieux. Et peut-être même, cette élaboration de l’identité personnelle, tel un travail n’en finit pas. Pensons à la crise de l’adolescence ou à la crise de la demie-vie. Mais c’est certainement, à travers l’étude de l’enfant qu’il est possible de voir ce travail à l’œuvre, qui conduira à l’émergence d’une personnalité dans la reconnaissance du sujet par lui-même.

Ainsi, nous n’allons pas, ici, tracer toute la généalogie complète du sujet durant la vie de l’individu, pour cela, nous nous référerons à l’article d’Edmond Marc Lipiansky, nous nous arrêterons sur une expérience qui semble capitale pour comprendre la construction du soi, expérience qui se rattache certainement à l’origine de l’émergence de la prise de conscience de soi. Il s’agit de ce que les psychologues et psychanalystes nomment, depuis Jacques Lacan : le stade du miroir.

Cette expression fut forgée par ce psychanalyste. Le stade du miroir correspond au moment où un enfant reconnaît l’image de son corps dans un miroir. Nous savons depuis Lacan notamment que le stade du miroir a lieu généralement vers l’âge de neuf mois alors que l’enfant ne sait pas encore marcher ni parler. Le rapport de l’enfant au miroir suit une certaine évolution. Et c’est justement cette évolution que nous allons maintenant étudier.

Mais avant de commencer évoquons ce qu’est cette objet bien particulier qu’est le miroir. Le miroir, objet lisse et froid renvoie l’image qu’il reçoit, il n’est ni bon ni méchant, ni indulgent ni méchant. En revanche, reflet de notre visage ou de notre corps, le miroir nous met dans une situation particulière. Pour le plus petit, il devient l’indice du développement psychique de l’enfant qui a pour fin la reconnaissance de lui-même par lui-même. L’expérience semble toute simple car elle semble apparemment devoir se décomposer en deux temps : le premier celui de percevoir l’image, et le second de rapporter celle-ci à soi. Mais on aurait tort de penser rendre compte de cette expérience dans cette simplicité.

Les étapes de cette reconnaissance sont en fait bien plus complexes qu’il n’y paraît. Et c’est donc bien à une histoire ou à une généalogie que nous avons à faire et qu’il nous faut décrire : l’histoire de la reconnaissance de soi par soi comme passage de l’indistinction infantile (syncrétisme propre au nourrisson) à l’émergence d’un sujet qui se reconnaît tel.

Aujourd’hui, nous allons étudier un documentaire filmique. Et c’est dans le cadre du festival du film documentaire, que nous inscrirons le cours du jour. Ce documentaire est réalisé par Victor Kossakovsky, réalisateur russe en 2005. Il s’intitule « Svyato ».

Quelques mots de présentation de ce document filmique. Svyato est le nom du fils du réalisateur. Durant deux ans, Victor Kossakovsky a gardé son fils Svyato de tout contact avec un miroir. Un jour, une grande glace est placée dans sa chambre. Le garçonnet joue dans le couloir non loin de là, encore inconscient de la découverte qui l’attend.

La méthode que nous allons adopter est la suivante :

Nous nous allons nous placer en tant qu’observateurs et nous tenterons de saisir les différentes étapes de la prise de conscience de l’enfant par rapport à son image reflétant dans le miroir : Nous nous arrêterons à chaque étape pour décrire et interpréter les faits et les gestes de l’enfant. Ensuite, en fin de parcours, nous verrons ce que cela donne à penser philosophiquement.

Svyato
Svyato, filmé derrière la vitre sans tain

La découverte de l’image dans le miroir

Comment l’enfant appréhende-t-il cette image ?

Il découvre cet autre, il s’agit bien de son point de vue à ce stade d’un autre : l’image est pour lui altérité, donc étrangeté. Svyato ne sait pas qu’il s’agit de lui, plus exactement de son image. C’est pour lui une découverte : il n’est pas seul. L’autre est là. Mais l’existence de cet autre reste au stade de l’hypothèse. Il va, par son comportement face à cette situation, s’adonner à toute sorte de comportement, dans le but de vérifier l’hypothèse selon laquelle il a affaire à un autre.

Ce moment de la découverte est pour l’enfant, à la fois, un moment d’étonnement et de stupéfaction. (à définir : étonnement ; stupéfaction)

Comment se manifeste cette découverte ?

On remarque, d’une part, que l’enfant explore cette découverte par le toucher et, d’autre part, qu’il exprime une certaine agressivité. On pourra d’ailleurs s’interroger sur celle-ci.

–          L’exploration par le toucher

  • L’enfant s’approche du miroir et tend l’objet à l’autre. Il fait des mouvements et semble s’apercevoir que l’autre l’imite ;
  • Il vient au contact de l’autre, il cherche à le toucher ;
  • Il lui parle ;
  • Il essaie de le pousser ;
  • Il s’éloigne en courant et lui lance un dernier regard dans le couloir avant de disparaître dans la pièce adjacente.

–          L’agressivité exprimée

Cet autre apparaît comme un rival, c’est bien ce que semble exprimer cette agressivité. Celle-ci on l’a retrouvera plus tard avec la violence. Mais c’est aussi toujours pour lui le moyen d’expérimenter l’hypothèse selon laquelle il s’agit dans ce miroir d’un autre. En effet, les coups qu’il donne, Svyato se rend compte que l’autre ne les éprouve pas (cf. la symétrie qu’il ne saisit pas encore). Les cris de l’enfant semblent faire partie de cette agressivité manifeste à l’égard de l’autre rival. Ce n’est pas simplement de l’énervement de ne pas voir l’autre réagit comme il le désire.

Mais comment se traduit cette agressivité ?

Elle se traduit de différentes façons, en crescendo. Elle augmente en intensité.

  • Agressivité corporelle : ses mains tapent le miroir
  • Agressivité avec un objet : il part à l’assaut avec sa balayette ; il frappe le sol avant d’attaquer son image ; bat en retraite ; reprend le combat et finalement se retire.
  • Agressivité verbale : il crie de plus en plus fort.

Le détachement à l’égard de son image

On voit dans cette séquence l’enfant se remettre à jouer dans le couloir comme au début du reportage.

Aurait-il abandonné toute investigation ? En reste-t-il à son interrogation insatisfaite ? Ignore-t-il désormais la présence du miroir avec son autre et rival ?

La réponse est apparemment non, car on voit, d’après ce que l’on peut remarquer, qu’il jette des d’œil furtifs. Puis il finit par sa rapprocher du miroir. Il passe devant et va jouer bruyamment dans un coin de la chambre.

Comment peut-on expliquer ce comportement nouveau de Svyato ?

Il semble feindre l’indifférence à l’égard de l’autre, il fait semblant de l’ignorer, sans doute pour le faire réagir. Il s’agit certainement d’une ruse. Il est donc toujours dans la même stratégie, c’est-à-dire, la même démarche expérimentale pour vérifier son hypothèse. Mais là, il passe un cap, pourrait-on dire. Il cherche à faire réagir l’autre par un biais et non frontalement comme précédemment. Après l’agressivité, c’est la ruse qui est maintenant adoptée. Jouer à l’indifférent, faire semblant de délaisser cet autre, je ne m’occupe plus de toi, je joue moi…

Expérience avec l’image

Dans la scène précédente, on voit Svyato commencer par jouer seul pour faire réagir l’autre du miroir. Maintenant, on le voit jouer avec lui, son double, ce drôle de partenaire.

L’expérimentation prend si l’on peut dire une nouvelle tournure. L’expérimentation que l’on pouvait seulement supposer précédemment et désormais évidente.

A quoi peut-on voir cela ?

–          Avec des gestes et des postures tout d’abord, ensuite, avec des objets qu’on appellera transitionnels

  • L’enfant joue tout d’abord avec des gestes et des postures : tout d’abord, il fait signe avec la main ; il saute devant le miroir ; il recule dans le miroir ; ensuite, il parle à l’image qui ne lui répond pas. On voit bien qu’il mène une expérimentation active.
  • Il utilise des objets familiers : il présente son chien en peluche au miroir ; il l’embrasse, le fait tomber. C’est tout un scénario. Il s’empare de la grenouille. Il va chercher un baigneur, le montre à son image en l’embrassant, se met à pleurer en le serrant dans ses bras. Il fait tout un cinéma comme on dit. Et enfin, il finit par tendre un gâteau. Tout y passe même le partage, le don. (un condensé de toute l’humanité ici).

–          Par les objets transitionnels qu’il utilise dans une mise en scène, il expérimente à plusieurs niveau : il s’expérimente lui-même, il expérimente les objets, il expérimente l’autre du miroir et également, ce qui n’est pas encore saisi chez lui, le principe de symétrie du miroir. A force d’opérer ses petites représentations, il va bien s’apercevoir de la symétrie. C’est que l’on va bientôt observer.

–          On voit bien ici toute l’intelligence de l’enfant en action. Mais on y voit autre chose, à moins que cette autre chose s’articule avec cette autre chose, autre chose que l’on peut appeler « affect ».

Comment se manifeste cet affect ?

Par de l’amour et par de la haine.

D’ailleurs, dans toute cette partie, l’affect de l’enfant s’inscrit dans cette ambivalence.

Sur ce plan de l’affect, comment Svyato cherche-t-il à séduire cet autre et à apprivoiser son rival ? Comment s’y prend-il ? Quelles stratégies utilisent-ils ?

L’enfant utilise une multiplicité de stratégie :

–          La violence

–          Le contournement

–          La séduction

–          Le désespoir

Comment se manifeste la violence ?

Violence par des gestes tout d’abord, mais aussi par des graffitis (cf. les plans qui montrent dans la profondeur de champs le mur griffonné)

Qu’est-ce que cela semble indiquer ?

Certainement un désir de défoulement face à ce qui se passe dans sa pauvre tête, cette effervescence, entre désir et frustration. Désir de rencontrer l’autre et de jouer avec lui et frustration de voir l’autre se moquer de lui.

Le contournement, c’est-à-dire ?

L’enfant tente une aventure, et il s’agit bien d’une tentative. Il faut pour lui employer les grands moyens : il décide de faire le garou-garou passe-muraille, traverser le miroir. Et comme cela se solde par un échec, il tente alors, soit de passer par en-dessous soir par au-dessous. Il cherche à contourner le miroir.

La séduction

Les sourires et les baisers, séduire pour faire craquer. S’il ne peut lui-même l’atteindre physiquement, c’est à l’autre de le rejoindre. Sans doute est-ce parfois la stratégie utilisée avec maman.

Le désespoir

Face à la résistance de l’autre et face à l’incompréhension, après avoir tout essayer, les grands moyens, la ruse, l’affectivité, après être passé par toute sorte de phases de l’enthousiasme à la frustration, c’est le désespoir qui prédomine désormais. Terrible est en effet pour lui cette résistance de l’autre et de cette réalité.

Quelques remarques sur cette séquence pour finir

–          On voit l’enfant avec ce désir de faire plier les autres et les choses à ses désirs. L’univers de l’enfant apparaît très égocentré.

–          A travers la glace sans tain, on voit les expressions les plus dures et les plus tragiques. L’enfant, bouche ouverte, le visage devenant tout rouge. Ses cris étouffés. Ces images rappellent le « Cri » de Munch. Et la musique renvoie à la solitude originelle de l’être humain, à l’angoisse de l’absence.

Svyato et son autre, ami ou rival ?

Enfin ! La libération : la reconnaissance de son image

Cette séquence montre le moment de la libération.

Mais à quoi peut-on voir que l’enfant a compris que l’autre, ce rival, est finalement lui, ou plutôt son image, son reflet ? En quoi peut-on dire que cette reconnaissance de l’image est certaine ?

L’autre n’est pas autre, ce n’est pas lui non plus, c’est son image en symétrie. Et la reconnaissance que l’autre n’est pas autre mais son image est certaine quand son père sort de l’ombre et valide les interrogations de l’enfant. L’énigme est levée, un savoir est élaboré. L’enfant d’ailleurs est apaisé, son image pacifiée semble lui plaire.

Svyato avec son papa. Son image plaît à Svyato

Qu’est-ce que ce processus nous donne à penser philosophiquement ? à développer

Très intéressant philosophiquement parlant : le passage de l’autre à son image et par le fait à sa posture de sujet.

Pour grandir et se constituer en tant que sujet autonome, il a eu besoin de l’autre (ici, l’autre du miroir, le miroir lui-même, du regard de l’autre, du langage qui l’identifie). Donc de la sociabilité. Il ne peut réaliser cela seul ; c’est une construction où l’interaction avec l’adulte est cruciale. Le miroir est à la fois l’objet et l’autre (réflexion à poursuivre et à approfondir).

« Aha Erlebnis ! » – « Ah c’est moi ! » Un moment décisif dans la construction de soi

Dans le cadre de notre enquête concernant la construction du sujet et pour accompagner la diffusion de « Svyato », film documentaire de Victor Kossakovski , proposons-nous de lire cet extrait des Ecrits de Jacques Lacan évoquant le stade du miroir, premier moment fondateur de l’identité subjective. 

Jacques Lacan (1901 – 1981), psychiatre de formation, il se consacrera à la psychanalyse freudienne. Mais en se heurtant à l’orthodoxie des post-freudiens, il fondera sa propre école. Ses principales œuvres s’intitulent Ecrits et les Autres Ecrits.

Jacques Lacan 1901 – 1981

« Peut-être y en a-t-il parmi vous qui se souviennent de l’aspect de comportement dont nous partons, éclairé par un fait de psychologie comparée : le petit de l’homme, à un âge où il est pour un temps court, mais encore pour un temps, dépassé en intelligence instrumentale par le chimpanzé, reconnaît pourtant déjà son image dans le miroir comme telle. Reconnaissance signalée par la mimique illuminative du Aha-Erlebnis (1), où pour Köhler (2) l’aperception situationnelle (3), temps essentiel de l’acte d’intelligence.

Cet acte, loin de s’épuiser comme chez le singe dans le contrôle une fois acquis de l’inanité de l’image, rebondit aussitôt chez l’enfant en une série de gestes où il éprouve ludiquement la relation des mouvements assumés de l’image à son environnement reflété, et de ce complexe virtuel à la réalité qu’il redouble, soit à son propre corps et aux personnes, voire aux objets, qui se tiennent à ses côtés.

Cet événement peut se produire, on le sait depuis Baldwin (4), depuis l’âge de six mois, et sa répétition a souvent arrêté notre méditation devant le spectacle saisissant d’un nourrisson devant le miroir, qui n’a pas encore la maîtrise de la marche, voire la sensation debout, mais qui, tout embrassé qu’il est par quelque soutien humain ou artificiel (ce que nous appelons en France un trotte-bébé), surmonte en un affairement jubilatoire les entraves de cet appui, pour suspendre son attitude en une position plus ou moins penchée, et ramener, pour fixer, un aspect instantané de l’image. (…)

File:Mirror baby.jpgIl suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification au sens plein que l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, – dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l’usage, dans la théorie, du terme antique d’imago.

L’assomption jubilatoire de son image spéculative par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit d’homme à ce stade infans (5), nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet. »

Jacques Lacan, Ecrits

Notes

(1) La mimique illuminative du Aha Erlebnis : Erlebnis désigne en allemand l’expérience vécue, donc, ici, il s’agit de l’expression de reconnaissance de soi de celui qui identifie son image dans le miroir comme venant de lui. « ah, c’est moi ! »

(2) Auteur de l’Intelligence chez les singes supérieurs (1930), Köhler était un psychologue allemand appartenant au courant de la théorie de la forme, la Gestalttheorie.

(3) L’aperception situationnelle est la prise de conscience de la situation.

(4) James Baldwin, (1861-1934) psychologue et théologien américain.

(5) Infans en latin désigne celui qui ne parle pas.

Percevoir, est-ce sentir ?

Eléments pour le sujet : «Percevoir est-ce sentir ? »

Il s’agit ici de la suite de l’étude sur la perception qui a été donné aux élèves de TL, intitulé : « Sujet percevant et objet perçu ». Après avoir effectué un travail visant à poser une définition de la notion de perception comme première approche, il convenait, à partir de trois extraits de texte proposés (texte de Locke, texte de Leibniz et texte de Merleau-Ponty) de réfléchir sur la question suivante : percevoir est-ce sentir ?

Suivent des éléments pour tenter d’y répondre.

La perception rassemble les sensations reçues par nos organes des sens, la vue, l’ouïe, le toucher, le goût et l’odorat. Cette définition implique que la perception est un produit de la sensation. Nous pouvons voir chaque matin, dans la rue qui mène au lycée, un flot d’élèves colorés et avançant d’un pas plus ou moins décidé. Nous entendons le moteur de la débroussailleuse de la personne qui entretient le terrain jouxtant le lycée. C’est ainsi que nous pensons, que nous croyons avoir un accès immédiat à la réalité. Le flot d’élèves et la débroussailleuse du jardinier sont bel et bien réels. Mais alors cela signifie-t-il que la perception ne consiste qu’à recevoir des informations sensibles ? N’en est-elle que le réceptacle ? Percevoir est-ce seulement sentir ?

Ne peut-on pas, au contraire, supposer une activité du sujet percevant ? Ne peut-on pas penser que la perception organise les informations sensibles, les objets perçus ? Tout l’enjeu qu’il y a à réfléchir à ce problème est de savoir comment l’homme en vient-il à connaître le réel ?

Nous recevons d’abord des impressions sur les objets extérieurs puis notre esprit réfléchit sur elles. Cela signifie que c’est par les informations sensibles que la perception s’organise. On peut ainsi dire qu’elle est bien un premier mode d’accès au réel. Cependant, la perception n’opère-t-elle pas une sélection ? Ne laisse-t-elle pas de côté bon nombre de détails demeurant du coup inconscients ? Il semble bien que la perception opère ce que nous pouvons appeler un « filtre » des informations sensibles que nous recevons. En un mot, et c’est ce que nous allons maintenant étudier, la perception est interprétation du monde.

L’esprit ne peut s’empêcher de percevoir ce qu’il perçoit

Par la perception, nous éprouvons des impressions fortes à travers nos sens. Pensons à la sonnerie indiquant la fin des cours, au fumet d’un bon petit plat bien mijoté ou à la fragrance d’un parfum… Nous éprouvons en tant qu’hommes des sensations bien singulières qui nous sont propres. En effet, nos organes des sens diffèrent de ceux des autres êtres vivants. En fonction de la fréquence sur laquelle s’établit la sonnerie du lycée, le son ne perturberait ou n’exciterait en rien bon nombre d’animaux. Le philosophe Locke affirme que l’esprit humain doit d’abord saisir ce qui se passe dans le corps, doit saisir son « altération ». Il peut ensuite et, à la suite de cette saisie, modifier son comportement. C’est ainsi que je retire rapidement ma main du feu : c’est la douleur vive que je ressens qui me fait la retirer. « Il est certain, dit Locke, que si une altération produite dans le corps n’atteint pas l’esprit, si une impression produite sur l’extérieur n’est pas remarquée intérieurement, il n’y a aucune perception. »  Et ajoute-t-il, « le feu peut brûler notre corps sans autre effet que s’il brûlait une bûche, sauf si le mouvement est porté jusqu’au cerveau et si la sensation de chaleur ou l’idée de douleur sont produites dans l’esprit, ce qui constitue la perception effective ». Pour le philosophe empiriste, la perception est l’impression remarquée par l’esprit. Celui-ci est tel une tablette de cire sur laquelle s’imprime ce qui provient de l’extérieur : « dans la pure et simple perception, l’esprit est pour la plus grande part passif seulement et, ce qu’il perçoit, il ne peut s’empêcher de le percevoir ».

Cependant, la perception n’est-elle pas le plus souvent inconsciente ? Dépend-elle autant de l’intensité de l’impression sensible et de l’attention de l’esprit à son égard, tel que le prétend Locke ?

Les petites perceptions leibniziennes

En faisant la distinction entre « perception » et « s’apercevoir » et par sa théorie « des petites perceptions », Leibniz s’attaque à l’idée de Locke. Par exemple, l’habitude ne nous conduit-elle pas à ne plus percevoir ? Les habitants de la plage Caraïbe finissent par ne plus avoir conscience du ressac de la mer sur les galets. Ils ne font plus attention à ce bruit devenu habituel. En revanche, il ne faudrait pas grand-chose pour que s’éveille à nouveau l’attention. « Lorsque l’esprit, dit le philosophe Leibniz, est fortement occupé à contempler certains objets, ils ne s’aperçoivent en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance ». Leibniz nous fait remarquer que des impressions sensibles sont ou bien « trop petites », ou bien « en trop grand nombre », ou bien encore « trop unies » pour être saisies. En revanche, c’est lorsque qu’elles sont jointes à d’autres qu’elles peuvent être perçues. Nous percevons le tas de sable et non son détail, le grain de sable, nous entendons le bruit des vagues et non son détail : la gouttelette d’eau. C’est la mise en relation des éléments qui nous font percevoir le tout. En un mot, pour Leibniz, la perception est une composition de petites perceptions insensibles.

Nous venons de voir que percevoir n’est pas simplement recevoir des impressions sensibles, que percevoir n’est pas simplement sentir. Percevoir c’est être inattentif aux sensations les plus fines. La perception est l’organisation d’une multitude de minuscules informations sensibles. La question est alors de savoir comment nous effectuons le tri de toutes ces informations sensibles que nous recevons et comment nous les associons ?

La perception comme un acte

Pour réponde à cette question, il est possible de formuler deux hypothèses. Ou bien, nous percevons une forme et nous donnons priorité à certaines informations : par exemple, je perçois un livre et je m’intéresse d’abord à sa forme rectangulaire et aux diverses caractéristiques qui me font dire que c’est un livre. Ou bien alors, nous percevons une myriade de points qu’il nous faut assembler pour identifier l’objet : par exemple, je perçois un livre et je m’intéresse à cette infinité de points et de lignes qui constituent ce rectangle qu’est le livre. En fait, selon Maurice Merleau-Ponty, nous ne cessons pas d’anticiper ce qui est perçu. Et cette anticipation peut être corrigée à son tour. Autrement-dit, la perception opère une sorte de va-et-vient dynamique. C’est en réalisant une description du vécu que l’auteur de la Phénoménologie de la perception entre ce que nous percevons effectivement et ce que nous ne percevons pas encore. La perception n’est pas le résultat de l’enregistrement des données sensibles, n’est pas le résultat d’une association de sensations, comme nous le croyons bien souvent. En réalité, pour Merleau-Ponty, la perception est un acte, celui de corriger sans cesse ce qui a été sélectionné par nous. Nous nous attendons à percevoir une chose que notre conscience projette.

La perception dans un rapport dynamique avec le réel

Dans la perception, l’unité, c’est-à-dire ce qui fait qu’une chose est une, est anticipée. « Si je marche sur une plage vers un bateau échoué et que la cheminée ou la mâture se confonde avec la forêt qui borde la dune, il y aura un moment où ces détails rejoindront le bateau et s’y souderont. » Ensuite, une succession d’épreuves corrige ce qui était d’abord anticipé de manière encore confuse. « A mesure que j’approchais, je n’ai pas perçu des ressemblances ou des proximités qui enfin auraient réuni dans un dessin continu la superstructure d’un bateau. J’ai seulement éprouvé que l’aspect de l’objet allait changer, que quelque chose était imminent dans cette tension comme l’orage est imminent. Soudain le spectacle s’est réorganisé donnant satisfaction à mon attente imprécise.» En quelque sorte, notre perception qui procède par va-et-vient dynamique compose le monde réel.

Alors, penser est-ce seulement sentir ?

Loin d’être simplement un réceptacle de données sensibles, la perception procède sans cesse à une interprétation du monde réel, en tentant de saisir un tout à partir d’éléments qu’elle organise pour lui donner sens.