Un petit texte de Bergson pour se faire les dents

Devoir Maison n°1

PHILOSOPHIE

Etude de texte

Sujet : extrait de la conférence de 1911 de La Conscience et la Vie de Bergson, publié dans l’Energie spirituelle.

Cf. Anthologie p. 475 : «  Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d’union (…) Jusqu’où la conscience s’étend, en quel point elle s’arrête. »

Consignes

Il s’agira de proposer un devoir rédigé et structuré de la manière suivante :

Une introduction qui présente le texte ; un développement qui l’analyse dans le détail et une conclusion qui dresse le bilan de l’étude.

Rappel : Expliquer revient à préciser la position de l’auteur par rapport à un problème dont il est question dans le texte.

Il est nécessaire évidemment de procéder à un travail préparatoire aussi précis que possible. Celui-ci doit être opérant pour l’élaboration de la version définitive de l’étude. Vous garderez précieusement ce travail préparatoire pour la correction.

Sujet percevant, objet perçu

Le monde. Nous croyons le percevoir immédiatement. Il semble se donner à nous tel qu’il est. Brutalement il s’impose. Passif, je suis. Aussi, percevoir ne serait rien d’autre que récolter des informations sensibles. Voir, entendre, toucher, goûter… voilà l’accès aux choses, au monde. Rencontre du sujet à l’objet, telle est la perception.

Sujets, c’est vers tel objet ou vers tel autre que nous pouvons orienter notre attention. Je quitte la fenêtre des yeux pour regarder mon professeur de philosophie, je me consacre désormais pleinement à son cours, délaissant les bruits divers et épars du lycée.

Par la perception, j’accède à la réalité et j’en perçois plus au moins de détails en fonction de l’orientation que je fais prendre à ma perception.

illusion d'optique

Mais recevons-nous passivement les informations sensibles sur la réalité ? Comment comprendre cette impression de mouvement ? Présence du contraste noir et blanc, les formes circulaires, nous percevons un mouvement qui n’existe pas. Notre cerveau induit en erreur et nos yeux bougent, ce mouvement de rotation d’arcs de cercle, une pure illusion. Victimes des illusions de la perception,  c’est vers elle que nous nous tournons pour l’accuser. Mais qu’est-elle réellement ?

Rassemblant les sensations reçues par nos organes de la vue, de l’ouïe, du toucher, du goût et de l’odorat, la perception saisie des différences et des différences. Une figure contenue dans une autre fait apparaître un rapport de grandeur. Je perçois cette figure plus petite que celle qui le contient. La perception est ainsi un produit de la sensation.

Quelque chose apparaît à quelqu’un. La perception est rencontre. Un entre-deux. Enlevons-la perception, la chose existe toujours en elle-même, mais quelle est sa réalité relativement au sujet. Je marche, j’approche du petit port. A l’entrée, je perçois un fromager, je le vois. Il m’apparaît là majestueux. Je peux maintenant dire, il y a un fromager majestueux à l’entrée du petit port. Il a certes toujours été là. Il existait avant que je le perçoive. Maintenant, il existe pour moi. C’est grâce à la perception que je suis, moi sujet percevant, mis en contact avec lui, objet perçu.

Sujet percevant, je suis. Mais alors ne suis-je pas passif dans la perception du monde. N’est-ce pas lui qui s’impose ? La perception comme une activité, mais comment cela ? J’entends les battements d’ailes du colibri. A force d’observer le petit animal butineur, mon ouïe est devenue experte. Je perçois son battement rapide et léger.

Comment connaissons-nous le réel ? Par les informations sensibles. C’est par elles que nous croyons avoir un accès immédiat à la réalité. La question est donc de savoir si la perception consiste simplement à recevoir des informations sensibles ou à les organiser. En un mot, la perception se confond-elle avec la sensation ? Quelle est la part d’activité du sujet dans la perception ?

Exercice : « Percevoir, est-ce sentir ? » Rédigez une progression en vous aidant des trois textes ci-dessous et en tentant de répondre à la question de savoir si percevoir, c’est sentir.

Texte 1 [1]

LockeC’est la première idée simple de réflexion.

La perception est la première faculté de l’esprit mobilisée sur les idées ; elle est aussi l’idée la première et la plus simple obtenue par réflexion, et certains la nomment pensée en général. Pourtant la pensée au sens propre du terme en français signifie cette opération de l’esprit sur ses idées où l’esprit est actif et où il considère quelque chose avec un certain niveau d’attention volontaire ; dans la pure et simple perception, l’esprit est pour la plus grande part passif seulement et, ce qu’il perçoit, il ne peut s’empêcher de le percevoir. [ … ]

Il est certain que si une altération produite dans le corps n’atteint pas l’esprit, si une impression produite sur l’extérieur n’est pas remarquée intérieurement, il n’y a aucune perception. Le feu peut brûler notre corps sans autre effet que s’il brûlait une bûche, sauf si le mouvement est porté jusqu’au cerveau et si la sensation de chaleur ou l’idée de douleur sont produites dans l’esprit, ce qui constitue la perception effective.

John Locke, Essai sur l’entendement humain, Livres I et II, 1690.

Texte 2 [2]

leibnizPHILALÈTHE.- J’avoue que, lorsque l’esprit est fortement occupé à contempler certains objets, il ne s’aperçoit en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance.

THÉOPHILE. – J’aimerais mieux distinguer entre perception et s’apercevoir. La perception de la lumière ou de la couleur, par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantité de petites perceptions, dont nous ne nous apercevons pas, et un bruit dont nous avons perception, mais où nous ne prenons point garde, devient aperceptible par une petite addition ou augmentation. Car si ce qui précède ne faisait rien sur l’âme, cette petite addition n’y ferait rien encore et le tout ne ferait rien non plus.

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Chap. IX, 1703

Texte 3 [3]

Merleau PontySi nous nous en tenons aux phénomènes[4], l’unité de la chose dans la perception n’est pas construite par association[5] mais, condition de l’association, elle précède les recoupements qui la vérifient et la déterminent, elle se précède elle-même. Si je marche sur une plage vers un bateau échoué et que la cheminée ou la mâture se confonde avec la forêt qui borde la dune, il y aura un moment où ces détails rejoindront le bateau et s’y souderont. À mesure que j’approchais, je n’ai pas perçu des ressemblances ou des proximités qui enfin auraient réuni dans un dessin continu la superstructure d’un bateau. J’ai seulement éprouvé que l’aspect de l’objet allait changer, que quelque chose était imminent[6] dans cette tension comme l’orage est imminent dans les nuages. Soudain le spectacle s’est réorganisé donnant satisfaction à mon attente imprécise. Après coup, je reconnais, comme des justifications du changement, la ressemblance et la contiguïté[7] de ce que j’appelle les « stimuli » – c’est-à-dire les phénomènes les plus déterminés, obtenus à courte distance – et donc je compose le monde « vrai». « Comment n’ai-je pas vu que ces pièces de bois faisaient corps avec le bateau? Elles étaient pourtant de même couleur que lui, elles s’ajustaient bien sur sa superstructure.» Mais ces raisons de bien percevoir n’étaient pas données comme raisons avant la perception correcte. L’unité de l’objet est fondée sur le pressentiment d’un ordre imminent qui va donner réponse à des questions seulement latentes dans le paysage, elle résout un problème qui n’était posé que sous la forme d’une vague inquiétude.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, introduction, II, 1945.


Notes

[1] Locke, 1632 – 1704, chef de file des empiristes, affirme que l’âme est semblable à une table de cire sur laquelle s’imprime ce qui vient de l’extérieur. L’impression remarquée sur cette table s’appelle la perception.

[2] Leibniz, 1646-1716, est représenté dans ce dialogue par Théophile qui apporte une distinction qui affaiblit la théorie empiriste de Locke. La perception est le plus souvent inconsciente. Elle ne dépend pas tant de l’intensité de l’impression sensible que de l’attention de l’esprit à sa composition : une vague de petites perceptions qui finit par nous affecter.

[3] Maurice Merleau-Ponty, 1908 – 1961, réalise une description du vécu : Ce que nous percevons effectivement et ce que nous ne percevons pas encore. Percevoir, ce n’est pas enregistrer des données ; c’est corriger sans cesse c’est ce qui a été sélectionné par nous.

[4] Phénomène désigne ce qui apparaît à la conscience, le dévoilement d’une chose.

[5] Signifie joindre certaines informations sensibles pour créer une unité d’ensemble.

[6] Sur le point de se produire

[7] Permet de faire des associations quand deux choses sont proches dans le temps ou dans l’espace.

Etre objectif pour un sujet, est-ce possible ?

Réflexion qui s’est tenue dans le cadre de cours sur l’homme comme sujet. Après avoir montrer qu’être sujet » est l’une des caractéristiques les plus importantes de l’homme, au point qu’il s’agit pour lui, dans un certain nombre de circonstances, de se battre pour revendiquer son statut de sujet ou pour se le faire reconnaître par autrui, force est de reconnaître que cette chère subjectivité, comme affirmation du moi pensant, percevant et agissant, peut s’avérer être un obstacle pour le sujet cherchant la connaissance. Toute la question est de savoir comment la connaissance objective est-elle possible ? et à quelles conditions le sujet peut parvenir à être objectif.

Nous avons d’un côté que le sujet doit liquider tout ce qui s’interfère entre lui et l’objet par un effort critique et d’un autre il doit faire communauté avec ceux qui sont comme lui chercheur de connaissances par le dialogue véritable. La critique et le dialogue font nécessairement partie de la méthode permettant de faire aboutir la recherche de connaissances objectives. Mais cela ne nous dit pas précisément comment le sujet peut parvenir à être objectif, c’est-à-dire comment il peut vraiment parvenir à critiquer les interférences entre l’objet et lui en ne les prenant pas pour des vérités et dialoguer avec les autres sujets sans chercher à imposer son point de vue.

Sujet égocentrique
Schéma représentant le sujet égocentrique. Cours Hervé Moine © 2013

Spontanément nous avons tendance à penser le monde tel que nous le ressentons. Mais sommes-nous certains qu’il s’agit bien là d’une connaissance objective ?

Objectivement, le ciel n’est pas bleu mais je le vois bleu, le bruit n’est pas trop fort mais ce que j’entends me gêne, il ne fait pas chaud, ni froid d’ailleurs, mais j’ai la sensation d’avoir froid ou chaud, ce sac n’est pas lourd mais il l’est certainement pour mes petites forces.

Pour parvenir à une connaissance objective du monde, je dois me décentrer, afin de quitter mon point de vue égocentrique, qui est un point de vue individuel et particulier, pour un point de vue « épistémique », pour reprendre le terme de Jean Piaget, qui est un point de vue plus général.

Sujet épistémique
C’est grâce à un détour et à un recours à des instruments de mesure et de calcul que l’on peut viser une connaissance objective. Cours Hervé Moine © 2013

Le recours à des instruments de mesure et d’observation rend possible la connaissance objective, puisque je cesse de me contenter de mes propres perceptions ou sensations pour saisir le monde. J’adopte un point de vue qui est commun à tous les sujets, puisque ce que chacun pourra saisir les même données offert par l’instrument.

chaud ou froid ?
Difficile de s’accorder si chacun se croit le centre de référence. Cours Hervé Moine © 2013

« Il convient dès l’abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l’action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformation ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d’autrui, qui mesure qui calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont communes à tous les sujets.

Jean Piaget, Epistémologie des Sciences de l’Homme, 1970

thermomètre 25°

Alors fait-il froid ou fait-il chaud ? On peut ne pas s’accorder, chacun se fondant sur son impression. Pour certains, il fait chaud alors que pour d’autres il fait froid. Et s’il ne s’agit pas de remettre en cause la vérité du ressenti de chacun, force est de constater que cette divergence de sensation est la preuve manifeste qu’on est loin de la connaissance objective. Sans compter que l’on ne sait pas comment l’autre a froid ou chaud. Alors objectivement, fait-il froid ou chaud ?

Le recours à un thermomètre va mettre tout le monde d’accord. Certes l’accord ne s’établit par sur la sensation vécue de chaleur ou de froideur mais il s’agit d’un accord des esprits. Ceux-ci ne peuvent s’accorder que sur des données chiffrées offert par l’instrument, si bien qu’on admettra qu’il ne fait ni chaud ni froid mais qu’il fait 25°C indiqué par la hauteur de la colonne de mercure. La connaissance objective a pour condition la décentration du sujet, celle-ci d’une part neutralisant la subjectivité et d’autre part et par la même rendant possible l’objet de connaissance indépendant des sujets ayant pour finalité la connaissance.

connaissance objective
Les esprits s’accordent par le recours à un instrument de mesure. Cours Hervé Moine © 2013

En outre, on remarquera que le monde du sujet égocentrique est un monde qualitatif et l’on ne s’étonnera pas qu’il ne s’agit pas là d’une connaissance objective alors que celui du sujet épistémique est un monde où les qualités sensibles sont transformées en quantité, en données mesurables.

La connaissance scientifique a pour condition première, outre le fait de vouloir connaître vraiment, cette décentration du sujet.

Notre question était de savoir s’il est possible d’être objectif pour un sujet, la réponse est qu’il faut opérer une nécessaire décentration de soi. Ce n’est qu’à cette condition qu’il se méfiera des interférences entre l’objet à connaître et lui et qu’il pourra dialoguer avec les autres sujets sans chercher à imposer son point de vue.

Piaget. La nécessaire décentration du sujet

Jean Piaget
Jean Piaget 1896 – 1980

« Certes, quand la physique travaille sur des objets à notre échelle courante d’observations, on peut considérer son objet comme relativement indépendant du sujet. Il est vrai que cet objet n’est alors connu que grâce à des perceptions, qui comportent un aspect subjectif, et grâce à des calculs ou à une structuration métrique ou logico-mathématique, qui relèvent eux aussi d’activités du sujet. Mais il convient dès l’abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l’action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformations ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d’autrui, qui mesure, calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont donc communes à tous les sujets (…). Or, toute l’histoire de la physique est celle d’une décentralisation qui a réduit au minimum les déformations dues au sujet égocentrique pour la subordonner au maximum aux lois du sujet épistémique, ce qui revient à dire que l’objectivité est devenue possible et que l’objet a été rendu relativement indépendant des sujets. »

Piaget, Epistémologie des Sciences de l’homme

 

Alain. Socrate comme modèle de la modestie du sage

Alain
Alain 1858 -1951

« Ce qui est subjectif, c’est ce qui est isolé dans le sujet pensant, dans le Moi, et à quoi les semblables ne font pas écho. Nous passons notre temps à établir la communication entre nous et les autres, ce qui est saisir l’objectif. On voit que, dans un sens purifié, l’objectif désigne ce qui est commun à tous les sujets. L’objectif n’est donc pas nécessairement un objet du monde. Le plus objectif en nos connaissances, est cet esprit, commun qui s’est présenté si naturellement comme le soutien de nos pensées. Les logarithmes, déjà nommés, sont un exemple de pensées objectives, et non pas subjectives, quoi, qu’elles n’existent pas hors des sujets pensants. Souvent on ramène l’opposition entre le subjectif et l’objectif à la connaissance des choses. L’objectif est alors la chose que tout observateur rencontre la même ; c’est la science communicable et aussi la démontrable ; exemple, le calcul. Ce qui fait que nous manquons l’objectif, c’est que nous sommes trop attachés à nos sensations, à notre point de vue. Le point de vue appartient à toutes nos connaissances, et il est clair que chacun de nous à chaque moment, observe d’un poste qui n’est qu’à lui. De plus il y a en nous des affections vives ou passions, qui nous donnent besoin de savoir et d’instruire les autres, et qui font que nous oublions le point de vue et la sensation, c’est-à-dire toutes les réserves qu’il est sage de faire lorsque l’on affirme quelque chose. Chacun se vante d’être objectif, de parler objectivement. Mais aucun philosophe (ami de la sagesse) ne doit se croire lui-même sans réserve, et les conversations de Socrate, que Platon nous a conservées, nous donnent le modèle de la modestie du sage, qui se sait sujet à l’erreur et à la prévention. »

Alain, Eléments de philosophie

 

Camus. Une prise de conscience naît d’une révolte

Camus
Albert Camus 1913 – 1960

« Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu’il y a dans l’homme quelque chose à quoi l’homme peut s’identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu’ici n’était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d’insurrection, l’esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu’il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l’impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s’étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. Cet élan est presque toujours rétroactif. L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu’il n’était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu’il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d’abord une résistance irréductible de l’homme devient l’homme tout entier qui s’identifie à elle et s’y résume. Cette part de lui-même qu’il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. »

Camus, L’Homme révolté

 

Hegel. D’où vient l’universalité du besoin d’art ?

Hegel
Hegel 1770 – 1831

« L’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme doit se placer en face de ce qu’il est, de ce qu’il est d’une façon générale, et en faire un objet pour soi. Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que conscience, se dédouble : il est une fois, mais il est pour lui-même. Il chasse devant lui ce qu’il est ; il se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque une œuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est.

Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait, pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art. »

Hegel, Introduction à l’esthétique