Amour. Mot qui désigne à la fois une passion et un sentiment

Ci-dessous le cours complété sur l’amour.

moi-et-l-autre amourLe texte d’Alain que nous allons aborder nous permet d’envisager plusieurs notions au programme.

Quelques remarques avant de commencer. Nous sommes toujours dans notre enquête concernant l’homme comme sujet. En ce que dans l’amour le sujet aimant a pour objet aimé un autre sujet. Une réflexion sur l’amour est une réflexion sur les relations intersubjectives. Par l’étude de ce texte nous abordons par conséquent également les relations avec autrui. En outre, la notion de désir est centrale dans une réflexion sur l’amour. L’amour est désir de manière générale. On peut même supposer sans trop se tromper que tout désir est amour. Si je désire aller à la pêche c’est que j’aime la pêche. Mais dans le désir amoureux de quoi le désir est-il le désir exactement ? Désir de l’autre ou désir de l’amour voire désir de désir ? Soi ou l’autre ?

D’autre part, dans ce texte, il y a d’autres notions que l’on va rencontrer : la raison par opposition à la passion, l’esprit à travers la notion d’âme par opposition au corps (matière), le bonheur, la liberté, la morale et le devoir dans le sens de responsabilité.

Tout cela pour dire la richesse de ce texte.

Proposons-nous dans un premier temps de lire le texte :

Alain
Alain 1858 -1951

« AMOUR. Ce mot désigne à la fois une passion et un sentiment. Le départ de l’amour, et à chaque fois qu’on l’éprouve, est toujours un genre d’allégresse lié à la présence ou au souvenir d’une personne. On peut craindre cette allégresse et on la craint toujours un peu, puisqu’elle dépend d’autrui. La moindre réflexion développe cette terreur, qui vient de ce qu’une personne peut à son gré nous inonder de bonheur et nous retirer tout bonheur. D’où de folles entreprises par lesquelles nous cherchons à prendre pouvoir à notre tour sur cette personne ; et les mouvements de passion qu’elle éprouve elle-même ne manquent pas de rendre encore plus incertaine la situation de l’autre. Les échanges de signes arrivent à une sorte de folie, où il entre de la haine, un regret de cette haine, un regret de l’amour, enfin mille extravagances de pensée et d’action. Le mariage et les enfants terminent cette effervescence. De toute façon le courage d’aimer (sentiment du libre arbitre) nous tire de cet état de passion, qui est misérable, par le sentiment plus ou moins explicite d’être fidèle, c’est-à-dire de juger favorablement dans le doute, de découvrir en l’objet aimé de nouvelles perfections, et de se rendre soi-même digne de cet objet. Cet amour, qui est la vérité de l’amour, s’élève comme on voit du corps à l’âme, et même fait naître l’âme… »

ALAIN, Les Arts et les Dieux, Définitions

Que nous révèle la lecture du texte.

Tout d’abord, sur un plan strictement méthodologique, il convient de rappeler que la lecture du texte est évidemment primordiale, et, ce qu’il faut entendre par lecture n’est pas un simple survol destiné à simplement repérer de quoi parle le texte pour ensuite pouvoir « broder », comme on dit. Repérer que le thème du texte est l’amour et ensuite développer sur ce thème ne peut évidemment donner lieu à l’étude philosophique de texte attendue.

Il faut lire le texte crayon en main et se mettre en mesure de répondre aux questions qui constituent ce que nous avons appelé le travail préparatoire.

Ajoutons une remarque qui n’est pas sans importance, des copies manifestent encore cette fâcheuse confusion : il ne faut pas confondre travail préparatoire à l’étude de texte et la version définitive de l’étude de texte, celle-ci étant rédigée dans les règles, le travail préparatoire étant évidemment de l’ordre de la recherche et de l’organisation alors que la version définitive de l’étude de l’ordre de l’exposition.

Pour notre part, et pour le texte d’Alain ici proposé, nous élaborerons notre travail de lecture et de préparation à l’étude de texte à travers les deux questions suivantes :

a)      Quel est le point de départ de l’amour ?

b)      Trouvez les oppositions « passion/sentiment en faisant un tableau.

Mais avant de commencer, je voudrais faire deux remarques, remarques à partir d’intervention d’élèves qui ont été faite aujourd’hui en cours.

La première remarque : Pourquoi Alain parle d' »objet aimé » ? Ne devrait-il pas plutôt parler de « personne aimée » ? La personne n’est pas un objet.

Réponse : Oui la personne n’est pas un objet si on entend par objet, une chose que l’on peut posséder. D’ailleurs à ce propos Alain dans ce texte ne dit pas autre chose. Chercher à posséder l’autre, ce serait la réduire à l’état de chose. Comment peut-on alors raisonnablement penser qu’il s’agit encore d’amour. On peut posséder une voiture mais pas une personne humaine, à moins d’en faire un esclave. D’ailleurs pour réduire un être à l’état d’esclave, il faudrait justement pas la considérer comme une personne, il faudrait même la déchoir de cette dignité. Impossible que l’autre, mon esclave puisse être mon égal. Il en est de même en amour, dans l’amour dit possessif, réduire l’autre à l’état de chose pour le posséder, c’est l’enfermer. Pour comprendre ce que dit Alain dans l’expression « objet aimé », il faut prendre « objet » dans un tout autre sens. Objet ici s’oppose à sujet. Il y a moi, le sujet qui aime et il y a l’autre, l’objet aimé. Il se trouve, c’est vrai que l’autre est également un sujet. Il faut comprendre objet dans la relation sujet / objet, objet étant un sujet, mais un autre sujet que moi-même. Un moi qui n’est pas moi pour reprendre l’expression de Sartre.

Deuxième remarque : Alain semble faire l’apologie du mariage et des enfants.

Réponse : On pourrait effectivement le croire. Sans trop entrer dans les détails, car c’est un point que nous allons aborder, disons que pour Alain, au mariage qui est un engagement et avec les enfants, qui sont le fruit de l’amour, un amour ici productif, on s’éloigne totalement de l’état misérable qu’est celui de l’état de passion. Alain ne dit pas que pour aimer vraiment, il faut se marier et avoir des enfants. Mais se marier, c’est s’engager. Dans la passion amoureuse, il n’y a pas d’engagement, et nous pourrons voir pourquoi plus tard. Et les enfants appellent à la raison des parents qui deviennent des êtres responsables. En outre, les enfants nous rendent attentifs à l’autre. On est loin du tumulte et de effervescence, de l' »ébullition » comme a dit un élève si caractéristique de l’état de passion. Le mariage et les enfants assagissent pourrait-on dire.

Ces deux remarques étant faites, on peut commencer le travail préparatoire à l’étude de texte. Une première lecture nous donne à voir un texte qui nous parle de la notion d’amour. Tel est apparemment le thème du texte. En effet, Alain commence par nous donner une définition du terme (« AMOUR. Ce mot désignant à la fois une passion et un sentiment ») pour ensuite, nous dresser une sorte de généalogie de l’amour. Si le mot désigne à la fois passion et sentiment, cela ne veut pas dire que l’analyse doit nous montrer un mélange, une mixture de sentiment et de passion dans l’amour. Alain, dans ce texte, fait une distinction conceptuelle rigoureuse entre l’amour-passion et l’amour-sentiment, tout en décrivant une évolution possible de l’un vers l’autre. Autrement dit, Alain n’en reste pas à une analyse de vocabulaire mais s’intéresse à la réalité même de l’amour dans la vie, en montrant comment en matière d’amour les « choses » s’engendrent.

Pour en rendre compte, nous devons, pour notre part, commencer par étudier le point de départ à partir duquel l’amour se déclenche et évolue.

Quel est le point de départ de l’amour ?

« Le départ de l’amour » c’est l’amour à sa naissance. Et, l’amour à sa naissance est amour indifférencié qui ni passion, ni sentiment. Si nous nous en tenons à la définition du mot donné par Alain lui-même, peut-être n’est-ce pas encore l’amour, mais ce à partir de quoi l’amour naît. C’est la rencontre. Une rencontre particulière. Elle a la particularité de provoquer de la « l’allégresse ». L’allégresse, le mot employé par Alain est fort, et il nous faudra d’ailleurs l’analyser, il s’agit d’un « genre d’allégresse » mais allons jusqu’au bout de l’idée de notre auteur, à cette allégresse peut s’ajouter une légère crainte. L’amour qui débute par une rencontre est toujours un genre d’allégresse que l’on peut craindre et que l’on craint toujours un peu. Rencontre = genre d’allégresse + légère crainte : idée qui peut nous sembler étrange qui ne peut manquer de nous étonner et qu’il convient d’étudier au plus près.

Tout d’abord, que signifie allégresse ? L’allégresse est une joie, une grande joie. Il s’agit d’une joie très vive. Elle se manifeste extérieurement. Il s’agit donc de quelque chose qui nous augmente. Et quelle en est la raison ? Parce qu’il s’agit d’une joie liée à l’existence d’autrui, à la rencontre avec l’autre. Rien à voir avec l’obtention d’un objet matériel qui peut susciter un contentement ! Grâce à la rencontre, je ne suis plus seul, c’est donc grâce à l’autre que je ressens cette joie. Cette joie est en sorte une grâce, un cadeau quasi-divin qui me vient d’autrui.

Mais alors pourquoi Alain parle-t-il de cette crainte qui accompagne toujours un peu l’allégresse ? Si je ressens cette joie vive et intense grâce à l’autre, je suis certes heureux, mais ce bonheur, justement en tant qu’il vient de l’autre, il est imparfait. Cette joie est quelque peu entachée. Elle n’est pas pleine, complète. Elle est certes un bien, mais ce bien je le trouve hors de moi ; autrement dit, je sais qu’un rien peut me l’enlever. Je peux craindre que cette allégresse s’échappe car, en fait, je suis à la merci de l’autre.

Il convient de remarquer que la crainte, pour Alain, est neutre, elle n’est ni bonne ni mauvaise : elle est, c’est un fait. Inutile et vain alors de dire qu’il ne faut pas avoir peur. La crainte est une émotion, un « pathos » au sens aristotélicien. Cela dit, si la crainte est un fait, toute idée qui va graviter autour de celle-ci va la faire évoluer vers quelque chose qui risque de ne plus être neutre.

En effet, pour Alain, l’amour implique un risque de crainte. Et, ajoute-t-il, lorsque cette crainte devient terreur par le fait de la réflexion, naît la passion. A force de réfléchir, de « gamberger » comme on dit familièrement, de faire retour sur l’imperfection de cette joie, de la dépendance de cette joie à l’autre, la crainte de la voir s’échapper… cette émotion de crainte tout à fait « naturel » et neutre se transforme en terreur.

La terreur est une peur d’une extrême intensité qui bouleverse, voire paralyse. L’esprit se terrorise lui-même en réfléchissant en ressassant cette crainte. Cette terreur peut donc se comprendre comme la peur de la peur, et, en cela, elle est une évolution non naturelle de l’amour. Il s’agit d’une peur panique face au danger de perdre le bonheur. C’est à partir de cette terreur que naît, selon notre auteur, l’amour-passion. Et quelle est donc l’évolution naturelle de l’amour ? Le véritable amour c’est le sentiment : l’amour-sentiment.

Alain, dans ce texte oppose la passion qui est la « mauvaise » réaction face à la rencontre avec l’autre alors que le sentiment est la « bonne » réaction.

La distinction passion / sentiment

Proposons-nous de lire le texte en relevant les oppositions, puisque c’est sur celle-ci que se construit la suite de l’argumentation d’Alain.

 

PASSION

SENTIMENT

Est une « mauvaise » réaction au danger, celui de perdre le bonheur reçu par la rencontre avec l’autre ; il s’agit de la peur d’aimer : « terreur » ; « d’où de folles entreprises » Est la bonne réaction, et si comme on dit la peur n’évite pas le danger, l’amour sentiment est, contrairement à la passion amoureuse est « courage d’aimer ».
Le but de ces « folles entreprises » est de chercher à « prendre pouvoir » sur l’autre ; l’amour-passion est amour-possession ou amour qui fait de la prise de pouvoir sur l’autre son objectif, son délire. Ce courage d’aimer s’exprime par l’acte du don, du don de soi : donner et se donner, « se rendre soi-même digne de cet objet » (de l’autre aimé)
L’amour-passion est un état : je suis amoureux. « état de passion qui est misérable » L’amour-sentiment est un acte : j’aime.
Quelle est la cause de la passion ? La réflexion = calcul, défiance… Je me méfie de l’autre. La réflexion transforme la crainte en terreur. Jalousie. L’amour-sentiment fait serment inconditionnel : j’aime l’autre sans poser de condition. La confiance à son égard est totale. J’accorde toute ma confiance à l’autre.
Comment se manifeste la passion ? J’interprète tout chez l’autre. Il s’agit d’un délire d’interprétation : « échanges de signes ». Ici, on tombe dans une sorte d’engrenage. Absence de liberté, sorte d’esclavage. Aucune interprétation dans l’amour sentiment. Je juge favorablement dans le doute (même dans le doute !) ; je découvre en l’objet aimé de nouvelles perfections.
La passion amoureuse se cantonne au niveau du corps ; le corps, ici, étant l’équivalent de la machine, la liberté est devenue impossible. L’amour sentiment est « sentiment du libre-arbitre « ; la volonté est non-contrainte. Ce sentiment de libre-arbitre fait naître l’âme.
Le pôle de la passion c’est MOIJe veux être aimé ; je veux séduire « folles entreprises » => prise de pouvoir sur cette personne ; elle est prise comme moyen…Amour qui tue l’amour. Le pôle du sentiment c’est l’AUTREC’est l’autre que j’aime : « cet amour qui est la vérité de l’amour ».Ici amour véritable.

Cette lecture du texte, nous permet de voir que pour Alain, la passion est un désordre égoïste alors que le sentiment est amour noble, et qu’il est plus facile de tomber dans le piège de la passion amoureuse par peur d’aimer que d’avoir le courage d’aimer véritablement.

Nous pouvons ainsi formuler le problème que soulève cet extrait de la manière suivante : qu’est-ce qui fait qu’il est si difficile d’aimer véritablement quelqu’un ?

Sans doute pour compléter ce travail préparatoire il conviendrait de reprendre chacune des notions importantes et de les analyser, cependant, nous ferons ici, l’économie de ce travail pour passer directement à l’élaboration de la version définitive de l’étude philosophique de ce texte et éviter trop de redites. Pour terminer, ce travail préparatoire nous devrions travailler notre jugement à l’égard des idées de l’auteur, à sa position face au problème. Pour la même raison, nous l’évoquerons dans la version définitive de notre étude. Nous pouvons tout de même affirmer que nous pouvons comprendre le texte comme critique de la passion amoureuse, or, n’est-ce pas elle qui fait rêver ou qui donne les plus belles histoires d’amour ?

Exemple d’introduction possible.

Qu’est-ce qui fait qu’il est difficile d’aimer véritablement quelqu’un ? C’est le problème traité par Alain dans ce texte. Selon lui, aimer véritablement quelqu’un, c’est avoir le « courage » de donner, or on préfère, d’ordinaire, avant tout, recevoir. Ce qui fait alors la difficulté d’aimer c’est une réaction purement passionnelle qui n’est autre que l’égoïsme, l’égocentrisme, alors que c’est, selon les termes de l’auteur, « le courage d’aimer qui nous tire de l’état de passion, qui est misérable». En définissant l’amour comme un mot désignant « à la fois une passion et un sentiment », Alain nous explique que la « passion » étant anti-amour (je veux être aimé) s’oppose au « sentiment », le véritable amour (c’est l’autre que j’aime). Pourtant, les plus belles histoires d’amour ne sont-elles pas les histoires de passions amoureuses ?

Proposition d’une base de travail pour la rédaction de l’analyse du texte.

Définir « aimer »

Partons de la définition d’aimer. Comment définir ce verbe ? On peut le définir d’une part par la bienveillance, aimer c’est vouloir le bien de l’autre, et, d’autre part, c’est trouver un bien en l’autre, c’est-à-dire hors de soi.

Une contradiction.

Cela dit, définir ainsi aimer ne va pas sans poser problème. N’y a-t-il pas là, en effet, une contradiction ? Comment puis-je vouloir le bien de ce dont je dépends ? Alain, dans ce texte, nous donne à voir, tour à tour, les deux positions possibles par rapport à cette contradiction : la passion et le sentiment :

La passion résout la contradiction.

Tout d’abord, la passion résout la contradiction en ne voulant plus le bien de l’autre, mais seulement le sien propre. On pourrait dire qu’il s’agit du refus de la pauvreté et faire référence au thème platonicien d’Eros. Dans le cas de la passion, comme dirait Sartre « aimer, c’est vouloir être aimer », on le voit la bienveillance disparaît : c’est l’amour possessif.

Le sentiment accepte la contradiction.

Ensuite, le sentiment quant à lui, qui semble tenir du miracle étant, au contraire, la pauvreté acceptée, ne résout pas la contradiction. En fait, il n’y a pas de contradiction pour cet amour, qui est le véritable amour : le bien suprême étant celui de l’être aimé. Cet amour est altruiste contrairement à l’amour-passion, égoïste, égocentrique.

  • La joie que procure la rencontre
  • La crainte qui accompagne cette joie

La naissance de la passion.

La légère crainte évoquée précédemment devient terreur par le fait de la réflexion. La terreur étant la peur de la peur. Il s’agit là d’une évolution non naturelle de l’amour. Qui dit réflexion dit hésitation, résolution, retour sur soi. C’est la réflexion qui fait naître la passion, et, ce qui en ressort c’est l’égoïsme, l’égocentrisme. En effet, on ne s’intéresse pas vraiment à l’autre, on recherche bien davantage son bonheur, on est plutôt préoccuper de conserver coûte que coûte cette joie que procure la rencontre avec l’autre.

Caractère de la passion.

Le caractère essentiel de la passion souligné par Alain dans ce texte est la folie. La folie est la perte du sens de la réalité. Cette folie s’exprime, selon l’auteur, sous forme d’un double délire : le délire de la possession et le délire de l’interprétation. Et, par là on comprend bien que cette folie caractéristique de la passion amoureuse est en fait anti-amour.

Le délire de la possession.

Ici, l’amour s’énonce en terme de pouvoir, donc, forcément en termes de conflit, de guerre : je découvre que l’autre a un pouvoir, pouvoir de me laisser ou de me reprendre ma joie. Je comprends que ma joie ne m’appartient pas. Donc, pour faire cesser cette peur de voir se volatiliser cette joie, il faut que je prenne moi-même le pouvoir si l’autre, il faut que je parte à la conquête de ce territoire ! Mais comment ? Par la séduction !

(une question, implicite pour l’instant mais qui pourra faire l’objet d’une réflexion ultérieurement lors de l’évaluation critique de l’étude de texte : si la séduction arrive à ses fins, pourrai-je alors être certain que j’aime vraiment ? N’aimerai-je pas plutôt une image ? Un objet ? Avec Sartre, on peut penser que par la séduction, l’autre devient un objet.)

Le délire de l’interprétation.

Dans la relation amoureuse, il y a naturellement des échanges de signes, comme les gestes et les paroles. Mais, dans les conditions que l’on vient de décrire, on comprend immédiatement que ces signes deviennent signes à interpréter. Vouloir tout interpréter revient à avoir peur d’aimer, pour notre philosophe. Selon lui, la passion correspond à la peur d’aimer. En effet, on veut être sûr et certain de l’autre. Autrement dit, le passionné veut bien se donner à condition que l’autre se donne. On est en quelque sorte dans cette politique du « toi d’abord ! ». La passion dans ces conditions est bel et bien anti-amour : le passionné prête alors que le véritable amour est, en principe, un véritable don.

Dans le délire d’interprétation, on observe l’autre, il ne peut en ressortir qu’une ambivalence d’amour et de haine. Tout devient signe : tout comportement devient raison et non cause.

Ne suis-je pas capable d’interpréter le comportement de l’autre (une mauvaise humeur par exemple) comme m’étant directement adressé et en déduisant qu’aujourd’hui il ne m’aime pas. Une remarque en passant à ce propos, Raymond Ruyer, dans son art d’être toujours content, disait qu’il faut cesser d’interpréter la mauvaise humeur de l’autre et de la considérer comme mauvaise volonté.

Toujours est-il, dans cet état de passion, l’amour n’est que solitude à deux. En fait, on ne connaît pas l’autre. On n’a jamais cherché à le connaître. Le pôle de la passion étant soi.

« Le mariage et les enfants terminent cette effervescence (…) »

Notons le verbe « terminer » qui, indique dans le contexte la fin du rêve. Rêve, ici est à prendre par opposition à réalité. Dans certaines histoires d’amour, on termine ainsi « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfant », pour signifier qu’il n’y a plus rien à raconter. Dans la passion amoureuse, nous pouvons bien nous l’imaginer, à partir de ce double délire décrit précédemment, qu’il se passe toujours quelque chose. Quand se termine la passion amoureuse, il n’y a plus rien à dire : « fin de l’histoire ». D’un point de vue littéraire et romanesque c’est quand Tristan et Iseult ne sont plus intéressants.

Cela dit, il ne faut sans doute pas accorder trop d’importance à cette phrase, en affirmant que le philosophe Alain fait une apologie moralisatrice ou moralisante du mariage. Disons que l’auteur veut nous montrer que c’est par un retour à la réalité, loin de cette folie que l’on aime véritablement. Avec le mariage et les enfants on est obligé par la force des choses de faire face à la réalité. Il y a une exigence de responsabilité qui s’impose. Par exemple, l’enfant oblige à être plus attentif au conjoint. On renonce à dire moi.

Le courage d’aimer.

  • Renoncer à prendre => fin du délire de possession
  • Faire confiance => fin du délire de l’interprétation
  • Renoncer à dire moi => fin de l’incommunicabilité

Ces trois points supposent du courage. Il s’agit en effet là, à la fois, d’un acte de liberté et de prise de conscience de cette liberté. L’amour n’est pas un état mais un acte, car il s’agit d’une relation vraie, une ouverture à l’autre, aux projets ensemble et à la vie.

Explication du serment.

La notion de serment n’est peut-être pas facile à cerner. Un angle possible pour la comprendre et de l’opposer à un autre acte qui semble être du même genre : la prophétie. Alors que la prophétie se conjugue sur le mode de la prédiction : « je serai », le serment lui est plutôt sur le mode de l’engagement : « je ferai ». Il s’agit d’une promesse forte, d’une parole qui engage, d’une parole qui est déjà un acte (cf. Austin). Par le serment on jure de faire et non pas d’être, en cela, le serment implique une parole efficace.

On comprend dès lors, dans ces conditions, que l’amour n’est pas chose faite mais chose à faire. (Nous sommes ici dans une perspective anti-Gidienne si l’on peut dire. Nourriture terrestre : je m’enchaîne par le serment.) Le serment pour Alain, loin de m’enchaîner, est un acte de liberté qui me rend libre car je fais en sorte que je sois l’auteur de ma vie, en refusant par exemple de « vivre comme une girouette ». Par le serment, ma parole sera plus forte que les évènements.

Mais quelle est la teneur de ce serment ?

Un serment de fidélité.

Ce serment est un serment de fidélité. Et, qu’est-ce qu’être fidèle ? Alain répond : c’est « juger favorablement dans le doute », même dans le doute. On est bien loin ici des échanges de signe, des folles entreprises, des extravagances de toute sorte et du délire de l’interprétation qui caractérisent la folie passionnelle d’une manière générale, la jalousie, plus particulièrement. Etre fidèle, c’est bien sûr ne pas tromper, ne pas trahir l’autre, mais c’est aussi faire confiance à l’autre de manière inconditionnelle. Faire ainsi confiance à l’autre, c’est peut-être prendre un risque, mais nous dit Alain, c’est un risque qui grandit.

Découvrir en l’autre aimé de nouvelles perfections

Faire confiance à l’autre c’est découvrir en l’autre aimé de nouvelles perfections. La fidélité est un enrichissement en ce que cela change tout le temps en profondeur. Chez Don Juan, ce qui change n’est que la surface, le superficiel, d’où sa pauvreté en définitive. Don Juan qui a cherché sans cesse à enrichir son tableau de chasse se retrouve bien pauvre et dans une grande misère affective.

« Découvrir » c’est susciter en l’autre ce qu’il y a de meilleur, pour qu’il tire ce meilleur qu’il a en lui ; c’est croire en l’embellissement de l’autre, c’est croire qu’il n’est pas tel pour l’éternité mais qu’il peut s’améliorer.

La contradiction est résolue.

Ici, se trouve la réconciliation entre l’amour bienveillance et trouver son bien.

Le véritable amour fait naître l’âme. Il conviendrait d’expliciter cette idée…

 

La conscience de soi suppose-t-elle autrui ?

Etant donné qu’un certain nombre d’heure de cours ont dû être annulés ces derniers temps pour des rencontres concernant l’orientation post-bac, je vous donne sous cette forme, en remplacement, un exemple de réflexion sur le sujet suivant : « La conscience de soi suppose-t-elle autrui ? »

Je vous invite à le travailler. L’exercice que je vous propose est de partir du sujet, de l’analyser pour le comprendre afin de savoir ce dont il est question, de tenter de montrer en quoi cette question pose problème et de construire une problématique et un plan. Ensuite, travailler l’exemple proposé et rédiger en développant le tout ou une partie la dissertation. Vous pouvez en outre laisser en commentaire ci-dessous vos remarques ou vos questions.

Enfin, vous pourrez ranger ce travail dans le cours sur autrui : « les relations intersubjectives ».

Exemple d’introduction :

autre-soi-meme

A première vue, être conscient de soi, c’est éprouver un certain sentiment de son propre être ; en effet, je sais que je suis et je peux chercher à savoir ce que je suis, qui je suis. Dès lors, la question de savoir si la conscience de soi suppose autrui ne semble pas se poser, puisque autrui paraît absent de ce mouvement de la conscience vers elle-même. Cependant, autrui, tout comme moi, est tout autant que moi capable d’être conscient de soi. En effet, je ne suis pas conscient, entre autres choses, qu’il est une conscience de soi, et que cette conscience de soi, en retour, peut aussi me penser ? C’est pourquoi, il apparaît tout à fait légitime de se demander, d’une part, si les « consciences de soi » sont aussi séparées qu’il semblait à première vue et si, d’autre part, la conscience de soi ne suppose pas celle d’autrui pour être ce qu’elle est.

Exemple de cheminement possible :

I. La conscience est-elle solitaire ?

[Le « je » est 1er / autrui apparaît en 2d]

  • Je fais l’expérience de ma seule conscience, l’existence de ma conscience et de ma seule conscience est la seule et unique certitude absolue ; cf. le caractère indubitable de la conscience de soi et le caractère seulement vraisemblable de tout ce qui n’est pas conscience de soi (Descartes)
  • la conscience de soi est séparée des autres ; cf. le solipsisme, thèse selon laquelle la conscience est une monade sans porte ni fenêtre sur le monde extérieur donc d’autrui (remarque Descartes ne s’enferme pas dans ce solipsisme)
  • si une connaissance d’autrui et possible ce n’est que par inférence analogique : c’est parce que je fais l’expérience de l’existence de ma seule conscience que je suppose que l’autre en tant qu’il me ressemble (le corps) est tout comme moi un être conscient et qu’il peut connaître les mêmes faits de conscience que moi. Ce raisonnement par analogie est forcément insuffisant, car il ramène autrui à ce que je suis et ne permet pas de le saisir tel qu’il est c’est-à-dire dans son altérité.
  • D’autre part, si la conscience est ainsi solitaire elle ne peut être une conscience de soi authentique, n’est-ce pas en effet par la médiation d’autrui, que je découvre qui je suis ?

II. La nécessaire reconnaissance de soi par autrui.

[L’autre est 1er et c’est par lui que le « je » se saisit comme conscience de soi]

  • La connaissance de sa propre conscience n’est pas accessible à un travail d’introspection, elle m’est au contraire révélée par autrui ; même Robinson sur son île suppose autrui…
  • D’une part, ce que je suis c’est ce que je suis devenu par la rencontre d’autrui ; je ne serais rien sans les autres ; seul au monde, je ne suis rien ; cf. la genèse de la conscience de soi chez l’enfant ; cf. le rôle primordial de l’éducation…
  • D’autre part, ne suis-je pas comme autrui me voit ? cf. Sartre : « L’autre est indispensable à mon existence aussi bien qu’à la reconnaissance que j’ai de moi » l’Existentialisme est un humanisme ; étude du cas de la honte cf. Sartre L’Etre et le Néant.
  • « Autrui est le médiateur indispensable entre moi-même et moi-même » Sartre, l’Existentialisme est un humanisme.

III. La conscience de soi et autrui suppose la relation.

[Ce qui est 1er c’est l’intersubjectivité]

  • Si la conscience de soi suppose autrui, c’est alors dans la relation que chacun se révèle
  • De quelle nature est cette relation ? Le plus souvent elle est d’ordre conflictuel. C’est dans la rivalité que chacun cherche à être reconnu par l’autre; cf. la compétition à l’école ; la concurrence économique ; la passion amoureuse etc…. cf. la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel.
  • Mais dans ce cas, chacun cherche à avoir « le dessus » sur l’autre, par delà la rivalité, on peut penser une relation qui se fonde sur la sympathie ; cf. l’amitié, chez Aristote par exemple ; cf. le courant personnaliste au XXe siècle ; cf. Merleau-Ponty à propos du dialogue véritable qui fait naître entre moi et l’autre un 3ème terme.
  • C’est la relation authentique qui rend possible un « nous » cf. la notion de communauté

Exemple de conclusion :

Dire que la conscience de soi ne suppose pas autrui est une illusion, car elle n’est rien sans les autres. Cette illusion provient du fait que l’introspection suppose l’existence d’une conscience déjà constituée et ainsi cherche en fait à s’isoler en s’enfermant sur elle-même pour se saisir. Or, nous avons vu que la conscience de soi est redevable de la présence d’autrui pour sa constitution. En fait, c’est dans la relation intersubjective que chaque conscience peut se révéler, d’abord dans la rivalité, dans laquelle chacune cherche à être reconnue par les autres, ensuite et plus fondamentalement, dans la sympathie, qui rend possible la réciprocité. En somme, il n’y a de « je » que parce qu’il y a un « tu » ; mais il n’y a de « je » et de « tu » que par un « nous ».

Une dissertation pour le deuxième devoir à la maison

Devoir-Maison

Dissertation philosophique

A rendre le 11 décembre 2013

 

Sujet : Invoquer l’inconscient nous rend-il irresponsables ?

 

Vous pourrez vous aider des textes suivants : Voir Anthologie à partir de la p.446 => Sigmund Freud, « Une difficulté de psychanalyse », in L’Inquiétante étrangeté et autres essais ; Reprendre les textes vus en cours sur Freud. Voir Anthologie à partir de la p.528 => Sartre, L’existentialisme est un humanisme, 1945. En particulier la p.531 ; Les 2 textes ci-dessous du philosophe Alain, Eléments de philosophie :

« L’inconscient est une méprise sur le Moi, c’est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient ; là se trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L’hérédité est un fantôme du même genre.  « Voilà mon père qui se réveille ; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé ». Tel est le texte des affreux remords de l’enfance ; de l’enfance, qui ne peut porter ce fardeau ; de l’enfance, qui ne peut jurer ni promettre ; de l’enfance, qui n’a pas foi en soi, mais au contraire terreur de soi. On s’amuse à faire le fou. Tel est ce jeu dans dangereux. On voit que toute l’erreur ici consiste à gonfler un terme technique, qui n’est qu’un genre de folie. La vertu de l’enfance est une simplicité qui fuit de telles pensées, qui se fie à l’ange gardien, à l’esprit du père ; le génie de l’enfance, c’est de se fier à l’esprit du père par une piété rétrospective, « Qu’aurait-il fait le père ? Qu’aurait-il dit ? » Telle est la prière de l’enfance. Encore faut-il apprendre à ne pas trop croire à cette hérédité, qui est un type d’idée creuse; c’est croire qu’une même vie va recommencer. Au contraire, vertu, c’est se dépouiller de cette vie prétendue, c’est partir de zéro. « Rien ne m’engage »;  « Rien ne me force ».  « Je pense donc je suis. »  Cette démarche est un recommencement. Je veux ce que je pense, et rien de plus. La plus ancienne forme d’idolâtrie, nous la tenons ici; c’est le culte de l’ancêtre, mais non purifié par l’amour.  « Ce qu’il méritait d’être, moi je le serai ». Telle est la piété filiale. En somme, il n’y a pas d’inconvénient à employer couramment le terme d’inconscient ; c’est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l’erreur ; et, bien pis, c’est une faute. »

« Il y a de la difficulté sur le terme d’inconscient. Le principal est de comprendre comment la psychologie a imaginé ce personnage mythologique. Il est clair que le mécanisme échappe à la conscience, et lui fournit des résultats (par exemple, j’ai peur) sans aucune notion des causes. En ce sens la nature humaine est inconsciente autant que l’instinct animal et par les mêmes causes. On ne dit point que l’instinct est inconscient. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a point de conscience animale devant laquelle l’instinct produise ses effets. L’inconscient est un effet de contraste dans la conscience. (…) En fait l’homme s’habitue à avoir un corps et des instincts. Le psychiatre contrarie cette heureuse disposition ; il invente le monstre ; il le révèle à celui qui en est habité. Le freudisme, si fameux, est un art d’inventer en chaque homme un animal redoutable, d’après des signes tout à fait ordinaires ; les rêves sont de tels signes ; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d’où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont toujours ce qu’il y a d’indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision ; ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par-là que ce genre d’instinct offrait une riche interprétation. L’homme est obscur à lui-même ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. »

Alain, Eléments de philosophie, 1941

Sartre. « Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde »

Samedi 16 novembre 2013

Devoir-Surveillé de philosophie

TL et TES

 

Durée : 4h

Sujet : Expliquez le texte suivant,

 

            « Chacune de nos perceptions s’accompagne de la conscience que la réalité humaine est « dévoilante », c’est-à-dire que par elle « il y a » de l’être, ou encore que l’homme est le moyen par lequel les choses se manifestent ; c’est notre présence au monde qui multiplie les relations, c’est nous qui mettons en rapport cet arbre avec ce coin de ciel ; grâce à nous, cette étoile, morte depuis des millénaires, ce quartier de lune et ce fleuve sombre se dévoilent dans l’unité d’un paysage ; c’est la vitesse de notre auto, de notre avion qui organise les grandes masses terrestres ; à chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf.

            Mais si nous savons que nous sommes les détecteurs de l’être, nous savons aussi que nous n’en sommes pas les producteurs. Ce paysage, si nous nous en détournons, croupira sans témoins dans sa permanence obscure. Du moins croupira-t-il : il n’y a personne d’assez fou pour croire qu’il va s’anéantir. C’est nous qui nous anéantirons et la terre demeurera dans sa léthargie jusqu’à ce qu’une autre conscience vienne l’éveiller. Ainsi, à notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée.

            Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde. »

Sartre, « Qu’est-ce que la littérature ? » Situations II

 

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Bon courage !

Voici quelques éléments pour vous aider dans votre travail

Rappel de l’objectif : lire le texte pour le comprendre, le comprendre pour l’expliquer, l’expliquer pour le faire comprendre.

Faire le travail préparatoire dans les règles. C’est essentiel, ce travail détermine ce qui sera la version définitive de votre étude de texte.

N’oubliez pas notamment d’établir le plan du texte, en distinguant les idées, les arguments et les exemples et en insistant bien sur sa progression logique. Et vous pouvez ensuite, à partir de là, dire quelle est la thèse de l’auteur. Et  formuler à quel problème philosophique celle-ci répond. A partir de là, on devra prendre soin de dégager les arguments.

Pour expliquer le texte, il conviendra de se demander ce que veut dire Sartre quand il affirme que « (…) la conscience de la réalité humaine est dévoilante » ? Comment comprendre le sens de ce dévoilement ? Pour ce faire, il conviendra de rechercher les différents sens du terme « dévoiler ». Et pour chaque sens, demandez-vous s’il est pertinent par rapport au texte, s’il permet de rendre sa vérité au texte. Pour cela, on pourra confronter les sens différents trouvés avec le texte et de se demander s’ils en permettent une lecture cohérente.

« A chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf ». Comment comprendre cette affirmation de Sartre ? Veut-il dire qu’il y a autant d’apparences du monde que de points de vue, et donc qu’il n’y a que des façons de voir subjectives ? Ou bien alors que la réalité objective du monde n’est rien d’autre que la somme de ces façons de voir le monde ? Prenez des exemples ; comparez par exemple le regard du peintre sur un paysage, celui du géologue, celui de l’agriculteur, celui du promeneur. Vous pouvez bien sûr prendre vos propres exemples.

« La vitesse de notre auto, de notre avion… » : le travail de la conscience peut-il être indépendant d’un contexte matériel, technique, historique ?

« A notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée. » Comment concilier ces deux aspects, apparemment contradictoires ? Que serait le monde s’il n’y avait pas de conscience humaine pour le révéler ? Faut-il comprendre que dévoiler le monde c’est le faire exister ?

Si la conscience dévoile le monde, en retour quelle est l’action du monde sur la conscience ? Que révèle le monde à l’homme ?

Mais quel est le rapport à l’art (cf. fin du texte) avec l’idée de Sartre ? Quelle est cette vérité de l’art dont il est question ?

Conseils pour la rédaction de l’étude

Quand votre travail préparatoire est terminé, il faudra procéder à la rédaction de la version définitive de l’étude de texte.

Il va de soi que vous rendrez une copie avec une introduction qui présente le texte, un développement structuré suivant l’ordre du texte et une conclusion qui dresse le bilan de l’étude.

La présentation s’aidera du thème, de la question, de la position avec une citation significative et le procédé d’argumentation.

L’analyse devra être aussi précise que possible et si vous discutez les idées de l’auteur prenez bien garde d’avoir bien compris ses idées et de ne pas évoquer contre elles de simples opinions. En outre, on devra être en mesure de bien distinguer ce qui ressort de l’analyse du texte de l’évaluation critique.

Le bilan fait le point sur toute l’étude et sur les enjeux et l’intérêt philosophiques du texte.

Prenez soin d’écrire clairement et simplement en utilisant du vocabulaire approprié et conformément aux règles de la langue. Autrement dit l’expression sera prise en compte dans l’évaluation.

 

Svyato ou la découverte de son image dans un miroir.

Séance de mercredi 13 novembre 2013 : TL, TES et TS

Avant-propos : présentation de la séance du jour

Le sujet se sait sujet, mais comment se sait-il être sujet ? se reconnaît-il en tant que sujet ? C’est tout le problème de l’origine de l’émergence du sentiment de soi qui se pose ici. Contre toute une tradition philosophique qui remonte à Descartes, on admet aujourd’hui que l’individu humain ne naît pas sujet. Il le devient. Autrement dit, sa personnalité se construit, se met en forme par un processus lent et laborieux. Et peut-être même, cette élaboration de l’identité personnelle, tel un travail n’en finit pas. Pensons à la crise de l’adolescence ou à la crise de la demie-vie. Mais c’est certainement, à travers l’étude de l’enfant qu’il est possible de voir ce travail à l’œuvre, qui conduira à l’émergence d’une personnalité dans la reconnaissance du sujet par lui-même.

Ainsi, nous n’allons pas, ici, tracer toute la généalogie complète du sujet durant la vie de l’individu, pour cela, nous nous référerons à l’article d’Edmond Marc Lipiansky, nous nous arrêterons sur une expérience qui semble capitale pour comprendre la construction du soi, expérience qui se rattache certainement à l’origine de l’émergence de la prise de conscience de soi. Il s’agit de ce que les psychologues et psychanalystes nomment, depuis Jacques Lacan : le stade du miroir.

Cette expression fut forgée par ce psychanalyste. Le stade du miroir correspond au moment où un enfant reconnaît l’image de son corps dans un miroir. Nous savons depuis Lacan notamment que le stade du miroir a lieu généralement vers l’âge de neuf mois alors que l’enfant ne sait pas encore marcher ni parler. Le rapport de l’enfant au miroir suit une certaine évolution. Et c’est justement cette évolution que nous allons maintenant étudier.

Mais avant de commencer évoquons ce qu’est cette objet bien particulier qu’est le miroir. Le miroir, objet lisse et froid renvoie l’image qu’il reçoit, il n’est ni bon ni méchant, ni indulgent ni méchant. En revanche, reflet de notre visage ou de notre corps, le miroir nous met dans une situation particulière. Pour le plus petit, il devient l’indice du développement psychique de l’enfant qui a pour fin la reconnaissance de lui-même par lui-même. L’expérience semble toute simple car elle semble apparemment devoir se décomposer en deux temps : le premier celui de percevoir l’image, et le second de rapporter celle-ci à soi. Mais on aurait tort de penser rendre compte de cette expérience dans cette simplicité.

Les étapes de cette reconnaissance sont en fait bien plus complexes qu’il n’y paraît. Et c’est donc bien à une histoire ou à une généalogie que nous avons à faire et qu’il nous faut décrire : l’histoire de la reconnaissance de soi par soi comme passage de l’indistinction infantile (syncrétisme propre au nourrisson) à l’émergence d’un sujet qui se reconnaît tel.

Aujourd’hui, nous allons étudier un documentaire filmique. Et c’est dans le cadre du festival du film documentaire, que nous inscrirons le cours du jour. Ce documentaire est réalisé par Victor Kossakovsky, réalisateur russe en 2005. Il s’intitule « Svyato ».

Quelques mots de présentation de ce document filmique. Svyato est le nom du fils du réalisateur. Durant deux ans, Victor Kossakovsky a gardé son fils Svyato de tout contact avec un miroir. Un jour, une grande glace est placée dans sa chambre. Le garçonnet joue dans le couloir non loin de là, encore inconscient de la découverte qui l’attend.

La méthode que nous allons adopter est la suivante :

Nous nous allons nous placer en tant qu’observateurs et nous tenterons de saisir les différentes étapes de la prise de conscience de l’enfant par rapport à son image reflétant dans le miroir : Nous nous arrêterons à chaque étape pour décrire et interpréter les faits et les gestes de l’enfant. Ensuite, en fin de parcours, nous verrons ce que cela donne à penser philosophiquement.

Svyato
Svyato, filmé derrière la vitre sans tain

La découverte de l’image dans le miroir

Comment l’enfant appréhende-t-il cette image ?

Il découvre cet autre, il s’agit bien de son point de vue à ce stade d’un autre : l’image est pour lui altérité, donc étrangeté. Svyato ne sait pas qu’il s’agit de lui, plus exactement de son image. C’est pour lui une découverte : il n’est pas seul. L’autre est là. Mais l’existence de cet autre reste au stade de l’hypothèse. Il va, par son comportement face à cette situation, s’adonner à toute sorte de comportement, dans le but de vérifier l’hypothèse selon laquelle il a affaire à un autre.

Ce moment de la découverte est pour l’enfant, à la fois, un moment d’étonnement et de stupéfaction. (à définir : étonnement ; stupéfaction)

Comment se manifeste cette découverte ?

On remarque, d’une part, que l’enfant explore cette découverte par le toucher et, d’autre part, qu’il exprime une certaine agressivité. On pourra d’ailleurs s’interroger sur celle-ci.

–          L’exploration par le toucher

  • L’enfant s’approche du miroir et tend l’objet à l’autre. Il fait des mouvements et semble s’apercevoir que l’autre l’imite ;
  • Il vient au contact de l’autre, il cherche à le toucher ;
  • Il lui parle ;
  • Il essaie de le pousser ;
  • Il s’éloigne en courant et lui lance un dernier regard dans le couloir avant de disparaître dans la pièce adjacente.

–          L’agressivité exprimée

Cet autre apparaît comme un rival, c’est bien ce que semble exprimer cette agressivité. Celle-ci on l’a retrouvera plus tard avec la violence. Mais c’est aussi toujours pour lui le moyen d’expérimenter l’hypothèse selon laquelle il s’agit dans ce miroir d’un autre. En effet, les coups qu’il donne, Svyato se rend compte que l’autre ne les éprouve pas (cf. la symétrie qu’il ne saisit pas encore). Les cris de l’enfant semblent faire partie de cette agressivité manifeste à l’égard de l’autre rival. Ce n’est pas simplement de l’énervement de ne pas voir l’autre réagit comme il le désire.

Mais comment se traduit cette agressivité ?

Elle se traduit de différentes façons, en crescendo. Elle augmente en intensité.

  • Agressivité corporelle : ses mains tapent le miroir
  • Agressivité avec un objet : il part à l’assaut avec sa balayette ; il frappe le sol avant d’attaquer son image ; bat en retraite ; reprend le combat et finalement se retire.
  • Agressivité verbale : il crie de plus en plus fort.

Le détachement à l’égard de son image

On voit dans cette séquence l’enfant se remettre à jouer dans le couloir comme au début du reportage.

Aurait-il abandonné toute investigation ? En reste-t-il à son interrogation insatisfaite ? Ignore-t-il désormais la présence du miroir avec son autre et rival ?

La réponse est apparemment non, car on voit, d’après ce que l’on peut remarquer, qu’il jette des d’œil furtifs. Puis il finit par sa rapprocher du miroir. Il passe devant et va jouer bruyamment dans un coin de la chambre.

Comment peut-on expliquer ce comportement nouveau de Svyato ?

Il semble feindre l’indifférence à l’égard de l’autre, il fait semblant de l’ignorer, sans doute pour le faire réagir. Il s’agit certainement d’une ruse. Il est donc toujours dans la même stratégie, c’est-à-dire, la même démarche expérimentale pour vérifier son hypothèse. Mais là, il passe un cap, pourrait-on dire. Il cherche à faire réagir l’autre par un biais et non frontalement comme précédemment. Après l’agressivité, c’est la ruse qui est maintenant adoptée. Jouer à l’indifférent, faire semblant de délaisser cet autre, je ne m’occupe plus de toi, je joue moi…

Expérience avec l’image

Dans la scène précédente, on voit Svyato commencer par jouer seul pour faire réagir l’autre du miroir. Maintenant, on le voit jouer avec lui, son double, ce drôle de partenaire.

L’expérimentation prend si l’on peut dire une nouvelle tournure. L’expérimentation que l’on pouvait seulement supposer précédemment et désormais évidente.

A quoi peut-on voir cela ?

–          Avec des gestes et des postures tout d’abord, ensuite, avec des objets qu’on appellera transitionnels

  • L’enfant joue tout d’abord avec des gestes et des postures : tout d’abord, il fait signe avec la main ; il saute devant le miroir ; il recule dans le miroir ; ensuite, il parle à l’image qui ne lui répond pas. On voit bien qu’il mène une expérimentation active.
  • Il utilise des objets familiers : il présente son chien en peluche au miroir ; il l’embrasse, le fait tomber. C’est tout un scénario. Il s’empare de la grenouille. Il va chercher un baigneur, le montre à son image en l’embrassant, se met à pleurer en le serrant dans ses bras. Il fait tout un cinéma comme on dit. Et enfin, il finit par tendre un gâteau. Tout y passe même le partage, le don. (un condensé de toute l’humanité ici).

–          Par les objets transitionnels qu’il utilise dans une mise en scène, il expérimente à plusieurs niveau : il s’expérimente lui-même, il expérimente les objets, il expérimente l’autre du miroir et également, ce qui n’est pas encore saisi chez lui, le principe de symétrie du miroir. A force d’opérer ses petites représentations, il va bien s’apercevoir de la symétrie. C’est que l’on va bientôt observer.

–          On voit bien ici toute l’intelligence de l’enfant en action. Mais on y voit autre chose, à moins que cette autre chose s’articule avec cette autre chose, autre chose que l’on peut appeler « affect ».

Comment se manifeste cet affect ?

Par de l’amour et par de la haine.

D’ailleurs, dans toute cette partie, l’affect de l’enfant s’inscrit dans cette ambivalence.

Sur ce plan de l’affect, comment Svyato cherche-t-il à séduire cet autre et à apprivoiser son rival ? Comment s’y prend-il ? Quelles stratégies utilisent-ils ?

L’enfant utilise une multiplicité de stratégie :

–          La violence

–          Le contournement

–          La séduction

–          Le désespoir

Comment se manifeste la violence ?

Violence par des gestes tout d’abord, mais aussi par des graffitis (cf. les plans qui montrent dans la profondeur de champs le mur griffonné)

Qu’est-ce que cela semble indiquer ?

Certainement un désir de défoulement face à ce qui se passe dans sa pauvre tête, cette effervescence, entre désir et frustration. Désir de rencontrer l’autre et de jouer avec lui et frustration de voir l’autre se moquer de lui.

Le contournement, c’est-à-dire ?

L’enfant tente une aventure, et il s’agit bien d’une tentative. Il faut pour lui employer les grands moyens : il décide de faire le garou-garou passe-muraille, traverser le miroir. Et comme cela se solde par un échec, il tente alors, soit de passer par en-dessous soir par au-dessous. Il cherche à contourner le miroir.

La séduction

Les sourires et les baisers, séduire pour faire craquer. S’il ne peut lui-même l’atteindre physiquement, c’est à l’autre de le rejoindre. Sans doute est-ce parfois la stratégie utilisée avec maman.

Le désespoir

Face à la résistance de l’autre et face à l’incompréhension, après avoir tout essayer, les grands moyens, la ruse, l’affectivité, après être passé par toute sorte de phases de l’enthousiasme à la frustration, c’est le désespoir qui prédomine désormais. Terrible est en effet pour lui cette résistance de l’autre et de cette réalité.

Quelques remarques sur cette séquence pour finir

–          On voit l’enfant avec ce désir de faire plier les autres et les choses à ses désirs. L’univers de l’enfant apparaît très égocentré.

–          A travers la glace sans tain, on voit les expressions les plus dures et les plus tragiques. L’enfant, bouche ouverte, le visage devenant tout rouge. Ses cris étouffés. Ces images rappellent le « Cri » de Munch. Et la musique renvoie à la solitude originelle de l’être humain, à l’angoisse de l’absence.

Svyato et son autre, ami ou rival ?

Enfin ! La libération : la reconnaissance de son image

Cette séquence montre le moment de la libération.

Mais à quoi peut-on voir que l’enfant a compris que l’autre, ce rival, est finalement lui, ou plutôt son image, son reflet ? En quoi peut-on dire que cette reconnaissance de l’image est certaine ?

L’autre n’est pas autre, ce n’est pas lui non plus, c’est son image en symétrie. Et la reconnaissance que l’autre n’est pas autre mais son image est certaine quand son père sort de l’ombre et valide les interrogations de l’enfant. L’énigme est levée, un savoir est élaboré. L’enfant d’ailleurs est apaisé, son image pacifiée semble lui plaire.

Svyato avec son papa. Son image plaît à Svyato

Qu’est-ce que ce processus nous donne à penser philosophiquement ? à développer

Très intéressant philosophiquement parlant : le passage de l’autre à son image et par le fait à sa posture de sujet.

Pour grandir et se constituer en tant que sujet autonome, il a eu besoin de l’autre (ici, l’autre du miroir, le miroir lui-même, du regard de l’autre, du langage qui l’identifie). Donc de la sociabilité. Il ne peut réaliser cela seul ; c’est une construction où l’interaction avec l’adulte est cruciale. Le miroir est à la fois l’objet et l’autre (réflexion à poursuivre et à approfondir).

« Aha Erlebnis ! » – « Ah c’est moi ! » Un moment décisif dans la construction de soi

Dans le cadre de notre enquête concernant la construction du sujet et pour accompagner la diffusion de « Svyato », film documentaire de Victor Kossakovski , proposons-nous de lire cet extrait des Ecrits de Jacques Lacan évoquant le stade du miroir, premier moment fondateur de l’identité subjective. 

Jacques Lacan (1901 – 1981), psychiatre de formation, il se consacrera à la psychanalyse freudienne. Mais en se heurtant à l’orthodoxie des post-freudiens, il fondera sa propre école. Ses principales œuvres s’intitulent Ecrits et les Autres Ecrits.

Jacques Lacan 1901 – 1981

« Peut-être y en a-t-il parmi vous qui se souviennent de l’aspect de comportement dont nous partons, éclairé par un fait de psychologie comparée : le petit de l’homme, à un âge où il est pour un temps court, mais encore pour un temps, dépassé en intelligence instrumentale par le chimpanzé, reconnaît pourtant déjà son image dans le miroir comme telle. Reconnaissance signalée par la mimique illuminative du Aha-Erlebnis (1), où pour Köhler (2) l’aperception situationnelle (3), temps essentiel de l’acte d’intelligence.

Cet acte, loin de s’épuiser comme chez le singe dans le contrôle une fois acquis de l’inanité de l’image, rebondit aussitôt chez l’enfant en une série de gestes où il éprouve ludiquement la relation des mouvements assumés de l’image à son environnement reflété, et de ce complexe virtuel à la réalité qu’il redouble, soit à son propre corps et aux personnes, voire aux objets, qui se tiennent à ses côtés.

Cet événement peut se produire, on le sait depuis Baldwin (4), depuis l’âge de six mois, et sa répétition a souvent arrêté notre méditation devant le spectacle saisissant d’un nourrisson devant le miroir, qui n’a pas encore la maîtrise de la marche, voire la sensation debout, mais qui, tout embrassé qu’il est par quelque soutien humain ou artificiel (ce que nous appelons en France un trotte-bébé), surmonte en un affairement jubilatoire les entraves de cet appui, pour suspendre son attitude en une position plus ou moins penchée, et ramener, pour fixer, un aspect instantané de l’image. (…)

File:Mirror baby.jpgIl suffit de comprendre le stade du miroir comme une identification au sens plein que l’analyse donne à ce terme : à savoir la transformation produite chez le sujet, quand il assume une image, – dont la prédestination à cet effet de phase est suffisamment indiquée par l’usage, dans la théorie, du terme antique d’imago.

L’assomption jubilatoire de son image spéculative par l’être encore plongé dans l’impuissance motrice et la dépendance du nourrissage qu’est le petit d’homme à ce stade infans (5), nous paraîtra dès lors manifester en une situation exemplaire la matrice symbolique où le je se précipite en une forme primordiale, avant qu’il ne s’objective dans la dialectique de l’identification à l’autre et que le langage ne lui restitue dans l’universel sa fonction de sujet. »

Jacques Lacan, Ecrits

Notes

(1) La mimique illuminative du Aha Erlebnis : Erlebnis désigne en allemand l’expérience vécue, donc, ici, il s’agit de l’expression de reconnaissance de soi de celui qui identifie son image dans le miroir comme venant de lui. « ah, c’est moi ! »

(2) Auteur de l’Intelligence chez les singes supérieurs (1930), Köhler était un psychologue allemand appartenant au courant de la théorie de la forme, la Gestalttheorie.

(3) L’aperception situationnelle est la prise de conscience de la situation.

(4) James Baldwin, (1861-1934) psychologue et théologien américain.

(5) Infans en latin désigne celui qui ne parle pas.

Un petit texte de Bergson pour se faire les dents

Devoir Maison n°1

PHILOSOPHIE

Etude de texte

Sujet : extrait de la conférence de 1911 de La Conscience et la Vie de Bergson, publié dans l’Energie spirituelle.

Cf. Anthologie p. 475 : «  Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d’union (…) Jusqu’où la conscience s’étend, en quel point elle s’arrête. »

Consignes

Il s’agira de proposer un devoir rédigé et structuré de la manière suivante :

Une introduction qui présente le texte ; un développement qui l’analyse dans le détail et une conclusion qui dresse le bilan de l’étude.

Rappel : Expliquer revient à préciser la position de l’auteur par rapport à un problème dont il est question dans le texte.

Il est nécessaire évidemment de procéder à un travail préparatoire aussi précis que possible. Celui-ci doit être opérant pour l’élaboration de la version définitive de l’étude. Vous garderez précieusement ce travail préparatoire pour la correction.

Etre objectif pour un sujet, est-ce possible ?

Réflexion qui s’est tenue dans le cadre de cours sur l’homme comme sujet. Après avoir montrer qu’être sujet » est l’une des caractéristiques les plus importantes de l’homme, au point qu’il s’agit pour lui, dans un certain nombre de circonstances, de se battre pour revendiquer son statut de sujet ou pour se le faire reconnaître par autrui, force est de reconnaître que cette chère subjectivité, comme affirmation du moi pensant, percevant et agissant, peut s’avérer être un obstacle pour le sujet cherchant la connaissance. Toute la question est de savoir comment la connaissance objective est-elle possible ? et à quelles conditions le sujet peut parvenir à être objectif.

Nous avons d’un côté que le sujet doit liquider tout ce qui s’interfère entre lui et l’objet par un effort critique et d’un autre il doit faire communauté avec ceux qui sont comme lui chercheur de connaissances par le dialogue véritable. La critique et le dialogue font nécessairement partie de la méthode permettant de faire aboutir la recherche de connaissances objectives. Mais cela ne nous dit pas précisément comment le sujet peut parvenir à être objectif, c’est-à-dire comment il peut vraiment parvenir à critiquer les interférences entre l’objet et lui en ne les prenant pas pour des vérités et dialoguer avec les autres sujets sans chercher à imposer son point de vue.

Sujet égocentrique
Schéma représentant le sujet égocentrique. Cours Hervé Moine © 2013

Spontanément nous avons tendance à penser le monde tel que nous le ressentons. Mais sommes-nous certains qu’il s’agit bien là d’une connaissance objective ?

Objectivement, le ciel n’est pas bleu mais je le vois bleu, le bruit n’est pas trop fort mais ce que j’entends me gêne, il ne fait pas chaud, ni froid d’ailleurs, mais j’ai la sensation d’avoir froid ou chaud, ce sac n’est pas lourd mais il l’est certainement pour mes petites forces.

Pour parvenir à une connaissance objective du monde, je dois me décentrer, afin de quitter mon point de vue égocentrique, qui est un point de vue individuel et particulier, pour un point de vue « épistémique », pour reprendre le terme de Jean Piaget, qui est un point de vue plus général.

Sujet épistémique
C’est grâce à un détour et à un recours à des instruments de mesure et de calcul que l’on peut viser une connaissance objective. Cours Hervé Moine © 2013

Le recours à des instruments de mesure et d’observation rend possible la connaissance objective, puisque je cesse de me contenter de mes propres perceptions ou sensations pour saisir le monde. J’adopte un point de vue qui est commun à tous les sujets, puisque ce que chacun pourra saisir les même données offert par l’instrument.

chaud ou froid ?
Difficile de s’accorder si chacun se croit le centre de référence. Cours Hervé Moine © 2013

« Il convient dès l’abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l’action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformation ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d’autrui, qui mesure qui calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont communes à tous les sujets.

Jean Piaget, Epistémologie des Sciences de l’Homme, 1970

thermomètre 25°

Alors fait-il froid ou fait-il chaud ? On peut ne pas s’accorder, chacun se fondant sur son impression. Pour certains, il fait chaud alors que pour d’autres il fait froid. Et s’il ne s’agit pas de remettre en cause la vérité du ressenti de chacun, force est de constater que cette divergence de sensation est la preuve manifeste qu’on est loin de la connaissance objective. Sans compter que l’on ne sait pas comment l’autre a froid ou chaud. Alors objectivement, fait-il froid ou chaud ?

Le recours à un thermomètre va mettre tout le monde d’accord. Certes l’accord ne s’établit par sur la sensation vécue de chaleur ou de froideur mais il s’agit d’un accord des esprits. Ceux-ci ne peuvent s’accorder que sur des données chiffrées offert par l’instrument, si bien qu’on admettra qu’il ne fait ni chaud ni froid mais qu’il fait 25°C indiqué par la hauteur de la colonne de mercure. La connaissance objective a pour condition la décentration du sujet, celle-ci d’une part neutralisant la subjectivité et d’autre part et par la même rendant possible l’objet de connaissance indépendant des sujets ayant pour finalité la connaissance.

connaissance objective
Les esprits s’accordent par le recours à un instrument de mesure. Cours Hervé Moine © 2013

En outre, on remarquera que le monde du sujet égocentrique est un monde qualitatif et l’on ne s’étonnera pas qu’il ne s’agit pas là d’une connaissance objective alors que celui du sujet épistémique est un monde où les qualités sensibles sont transformées en quantité, en données mesurables.

La connaissance scientifique a pour condition première, outre le fait de vouloir connaître vraiment, cette décentration du sujet.

Notre question était de savoir s’il est possible d’être objectif pour un sujet, la réponse est qu’il faut opérer une nécessaire décentration de soi. Ce n’est qu’à cette condition qu’il se méfiera des interférences entre l’objet à connaître et lui et qu’il pourra dialoguer avec les autres sujets sans chercher à imposer son point de vue.

Piaget. La nécessaire décentration du sujet

Jean Piaget
Jean Piaget 1896 – 1980

« Certes, quand la physique travaille sur des objets à notre échelle courante d’observations, on peut considérer son objet comme relativement indépendant du sujet. Il est vrai que cet objet n’est alors connu que grâce à des perceptions, qui comportent un aspect subjectif, et grâce à des calculs ou à une structuration métrique ou logico-mathématique, qui relèvent eux aussi d’activités du sujet. Mais il convient dès l’abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l’action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformations ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d’autrui, qui mesure, calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont donc communes à tous les sujets (…). Or, toute l’histoire de la physique est celle d’une décentralisation qui a réduit au minimum les déformations dues au sujet égocentrique pour la subordonner au maximum aux lois du sujet épistémique, ce qui revient à dire que l’objectivité est devenue possible et que l’objet a été rendu relativement indépendant des sujets. »

Piaget, Epistémologie des Sciences de l’homme

 

Alain. Socrate comme modèle de la modestie du sage

Alain
Alain 1858 -1951

« Ce qui est subjectif, c’est ce qui est isolé dans le sujet pensant, dans le Moi, et à quoi les semblables ne font pas écho. Nous passons notre temps à établir la communication entre nous et les autres, ce qui est saisir l’objectif. On voit que, dans un sens purifié, l’objectif désigne ce qui est commun à tous les sujets. L’objectif n’est donc pas nécessairement un objet du monde. Le plus objectif en nos connaissances, est cet esprit, commun qui s’est présenté si naturellement comme le soutien de nos pensées. Les logarithmes, déjà nommés, sont un exemple de pensées objectives, et non pas subjectives, quoi, qu’elles n’existent pas hors des sujets pensants. Souvent on ramène l’opposition entre le subjectif et l’objectif à la connaissance des choses. L’objectif est alors la chose que tout observateur rencontre la même ; c’est la science communicable et aussi la démontrable ; exemple, le calcul. Ce qui fait que nous manquons l’objectif, c’est que nous sommes trop attachés à nos sensations, à notre point de vue. Le point de vue appartient à toutes nos connaissances, et il est clair que chacun de nous à chaque moment, observe d’un poste qui n’est qu’à lui. De plus il y a en nous des affections vives ou passions, qui nous donnent besoin de savoir et d’instruire les autres, et qui font que nous oublions le point de vue et la sensation, c’est-à-dire toutes les réserves qu’il est sage de faire lorsque l’on affirme quelque chose. Chacun se vante d’être objectif, de parler objectivement. Mais aucun philosophe (ami de la sagesse) ne doit se croire lui-même sans réserve, et les conversations de Socrate, que Platon nous a conservées, nous donnent le modèle de la modestie du sage, qui se sait sujet à l’erreur et à la prévention. »

Alain, Eléments de philosophie