Husserl. La philosophie comme « affaire personnelle »

Husserl 1859-1938
Edmund Husserl 1859 – 1938

« Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire. La philosophie – la sagesse – est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu’il tende vers l’universel, soit acquis par lui et qu’il doit pouvoir justifier dès l’origine et à chacune de ses étapes, en s’appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j’ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m’amener à la vie et au développement philosophiques, j’ai donc par là même fait le vœu de pauvreté en matière de connaissance. »

Husserl, Méditations cartésiennes, Introduction, 1929

 

Hegel. La philosophie comme « affaire sérieuse »

Hegel
Georg Wilhelm Friedrich Hegel 1770 – 1831

« Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques prévaut la conviction qu’on ne les possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle – comme si chacun ne possédait pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier -. II semble que l’on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d’études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence. »

Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, préface, 1807

 

 

 

Aristote. L’étonnement comme origine de la philosophie

Aristote
Aristote 384 – 322 av. JC

C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance (c’est pourquoi même l’amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.

Aristote, Métaphysique, Livre alpha

Karl Jaspers. Philosopher c’est être en route

Karl Jaspers 1880 - 1969
Karl Jaspers 1880 – 1969

« Le mot grec « philosophie » (philosophos) est formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celui qui, possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession, même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en formules, définitif, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie, c’est être en route. Les questions, en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question. »

Karl Jaspers, Introduction à la philosophie

 

 

TL. Comment l’âme en vient-elle à recevoir des idées ?

Texte illustrant le cours sur la perception

Ci-dessous un texte du chef de fil de la philosophie empiriste, fameux texte dans lequel il affirme l’âme à l’origine comme une table rase, « tabula rasa » en latin. Dans le cadre de notre cours, cet extrait est particulièrement intéressant dans le sens où il répond à notre question de savoir comment faut-il penser l’articulation entre perception et jugement. Selon, Locke, la perception, manière de sentir et manière d’accompagner de jugements nos sensations, est à l’origine de nos idées. 
John Locke 1632-1704
John Locke 1632-1704

« Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. »

John Locke, Essai sur l’entendement

Le mariage pour tous

Réflexion en annexe d’un cours à propos du « mariage pour tous » et quelques éléments pour une tentative de problématisation

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Qu’est-ce que ce projet de loi donne à penser ?
Si l’intention au départ est d’ordre juridique, afin d’établir davantage d’égalité sur un plan strictement matériel, le projet de mariage pour tous devient un problème moral et de société. Cette idée bouscule l’idée de mariage au sens traditionnel considérant la nécessité et la complémentarité de l’homme et la femme dans le couple et l’éducation des enfants, schéma traditionnel qui se considère bien fondé car fondé sur le bon ordre naturel des choses de la reproduction sexuée. La problématique pourrait alors s’énoncer comme suit : D’une part, le mariage homosexuel est-il amoral ou immoral en ce qu’il ne semble pas conforme à la nature ? Et d’autre part, qu’est-ce qui est essentiel à l’éducation de l’enfant ? Le partage masculin et féminin conformément au schéma traditionnel ou l’amour ?
Ceci n’est évidemment qu’une amorce de réflexion qui a été menée en cours et ne prétend évidemment pas épuiser le sujet. Bien au contraire, toute la réflexion reste à mener et il est tout à fait possible ci-dessous d’offrir ensemble cette réflexion, en amenant chacun sa pensée et en la soumettant à l’épreuve du jugement d’autrui.

TSTi2d. Réflexion sur la notion de culture

Comment comprendre et juger l’autre culture ou la culture de l’autre ?

Est-elle une culture, une sous-culture ?

Nous avons tendance à juger les autres sociétés de manière ethnocentrique.

Tout d’abord qu’est-ce que l’ethnocentrisme ?

L’ethnocentrisme apparaît comme l’obstacle majeur à la compréhension et à l’étude des autres sociétés. Ce concept a été élaboré par Claude Lévi-Strauss par analogie avec celui d’égocentrisme.  Nous savons que l’égocentrisme, attitude typique du jeune enfant, consiste absolument à tout ramener à soi, à voir « je » au centre. De la même manière, l’attitude ethnocentrique consiste à considérer l’ethnie, la sienne au centre. Il convient d’entendre l’ethnie comme société ou culture. On peut donc définir l’ethnocentrisme comme une attitude d’origine inconsciente consistant à prendre sa propre société comme le modèle même, la référence et ainsi à considérer toute différence culturelle par rapport à ce modèle comme un signe d’infériorité.

La notion de société primitive a-t-elle un sens ?

L’ethnocentrisme conduit à penser l’existence de sociétés « primitives », celles-ci étant restées à l’enfance de l’humanité, c’est-à-dire à un état premier, préhistorique, comparativement à la nôtre qui seule, par le progrès, est parvenue à ce qu’il y a de plus abouti, à l’état civilisé. Lévi-Strauss montre que, C’est parce que l’histoire de la culture occidentale est particulièrement caractérisée par le développement des sciences et des techniques et la puissance économique que nous l’imaginons supérieure, développée. Cette forme particulière de l’ethnocentrisme, appelé technocentrisme explique que nous nous imaginons ces sociétés dites primitives comme des sociétés n’ayant pas su progresser sur ces trois plans, scientifique, technique et économique, comme des sociétés sans histoire.  Mais peut-on raisonnablement penser qu’il y existe vraiment des sociétés sans histoire et l’idée de l’existence de sociétés primitives est-elle pertinente ?

Une société sans histoire est-elle possible ?

En fait, ce n’est pas parce qu’il existe des sociétés différentes de la nôtre que celles-ci sont inférieures à la nôtres et qu’elles n’ont pas d’histoire. Toutes les sociétés sans exception ont une histoire, même si celle-ci est différente de la nôtre. En fait c’est le technocentrisme qui nous conduit à considérer la société occidentale comme la forme la plus aboutie de l’histoire humaine. Nous jugeons les autres sociétés en fonction d’un critère qui nous est avantageux. Que se passe-t-il si nous changeons de critère ?

Sur quel critère peut-on juger les sociétés ?

Claude Lévi-Strauss 1908-2009

« La civilisation occidentale apparaît comme l’expression la plus avancée de l’évolution des sociétés humaines, et les groupes primitifs comme des « survivances » d’étapes antérieures, dont la classification logique fournira, du même coup, l’ordre d’apparition dans le temps. Mais la tâche n’est pas si simple : les Eskimo, grands techniciens, sont de pauvres sociologues ; en Australie, c’est l’inverse. On pourrait multiplier les exemples. Un choix illimité de critères permettrait de construire un nombre illimité de séries, toutes différentes. »

Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, 1968.

Si nous prenons comme critère de développement la parfaite adaptation à un milieu particulièrement hostile, il est évident que cela ne serait plus les Occidentaux qui seraient considérés comme civilisés mais les Bédouins du désert saharien ou bien les Inuits de l’Arctique. Si nous prenons comme critère de distinction des sociétés, la solidarité et le bonheur d’être ensemble, ne serait-ce pas la société pygmée qui serait en tête et la société en occidentale, avec son individualisme en queue ? Si nous prenons comme critère la connaissance des ressources du corps humain, les plus civilisés seraient alors les peuples de l’Orient et de l’Extrême-Orient., et ainsi de suite. Ainsi, nous le voyons, toute culture peut se prévaloir d’une supériorité selon un critère qui lui est propre. La question est alors de savoir quel est le critère le plus pertinent ? Il est impossible de répondre à cette question sans établir des jugements de valeur se fondant sur l’ethnocentrisme. Donc, nous conclurons sur l’idée selon laquelle aucun critère ne peut se prévaloir d’être plus pertinent qu’un autre, ce qui signifie que nous nous interdirons à considérer une culture supérieure à une autre, ou, ce qui revient au même qu’aucune culture ne peut se penser supérieure aux autres.

L’ethnocentrisme est-ce le propre de la culture occidentale ?

Maintenant, ne tombons pas dans un anti-occidentalisme primaire, en pensant que seule la société occidentale est ethnocentrique. L’ethnocentrisme est une attitude spontanée et universelle. Lévi-Strauss, dans le texte ci-dessous, exprime l’universalité de l’ethnocentrisme de la manière suivante « Le barbare est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». L’homme, de manière générale a tendance de qualifier de « barbares » les peuples dits primitifs sans même voir que ceux-ci procèdent exactement de la même manière. C’est toujours l’autre culture qui est barbare. Par exemple, dans de nombreuses cultures, seuls les membres de la tribu sont qualifiés d’hommes, de « bon », d’ « excellents » ou de « complets », les membres des autres tribus étant appelés « mauvais », « méchants » voire « fantômes » ou « apparitions », dénominations conduisant ainsi jusqu’à leur priver de toute réalité. Force est de constater que l’idée d’humanité apparaît comme une idée tardive, idée qui n’est d’ailleurs pas elle-même dénuée d’ethnocentrisme. Lévi-Strauss souligne, par exemple, comment l’égalité naturelle entre les hommes et de la fraternité qui doit les unir sans distinction de races ou de cultures, proclamée dans la déclaration universelle des droits de l’homme, néglige la diversité des cultures et nie en réalité les différences qu’elle n’arrive pas à comprendre. Les cultures sont bien différentes mais non inégales pour autant. Ramener la différence à l’inégalité ou l’égalité à l’identité constituent deux formes d’ethnocentrisme. L’important pour nous étant de bien distinguer différence et inégalité.

Un texte pour réfléchir : Qui est barbare ?

« L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. […]Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. […] « L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion? – les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. […] En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »

CLévi-Strauss, Race et Histoirecollection Médiations,1968.

Questions

  1. Quelle est l’origine du mot « barbares » ? Que nous apprend cette étymologie ?
  2. Le mot « sauvage » provient du latin « selva » qui désigne la forêt. En quoi les mots « sauvage » et «barbare » sont-ils proches ?
  3. « Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». Pourquoi un tel paradoxe détruit l’idée même de « barbarie » ?
  4. Précisez le sens du mot « culture » dans ce texte.
  5. Peut-on dire qu’il existe des peuples civilisés et d’autres pas ? Précisez les sens possibles du mot « civilisation ».
  6. Dans l’histoire récente, des hommes ont considéré que certains peuples n’étaient pas civilisés. Quelles en furent les conséquences ?

Une belle leçon de civilisation

Un petit reportage qui donne à,penser sur notre culture, dès lors qu’on prend au sérieux le regard de l’autre différent sur notre civilisation.

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Les dieux sont tombés sur la tête

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