Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie
L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. […]
L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion ? – les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. […]
En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »
« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »
Alain, Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence », 1924
« Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu’ici et tenter de les reconstruire. La philosophie – la sagesse – est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu’il tende vers l’universel, soit acquis par lui et qu’il doit pouvoir justifier dès l’origine et à chacune de ses étapes, en s’appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j’ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m’amener à la vie et au développement philosophiques, j’ai donc par là même fait le vœu de pauvreté en matière de connaissance. »
« Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques prévaut la conviction qu’on ne les possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle – comme si chacun ne possédait pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier -. II semble que l’on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d’études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence. »
C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance (c’est pourquoi même l’amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.
« Le mot grec « philosophie » (philosophos) est formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celui qui, possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession, même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en formules, définitif, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie, c’est être en route. Les questions, en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question. »
Comment comprendre et juger l’autre culture ou la culture de l’autre ?
Est-elle une culture, une sous-culture ?
Nous avons tendance à juger les autres sociétés de manière ethnocentrique.
Tout d’abord qu’est-ce que l’ethnocentrisme ?
L’ethnocentrisme apparaît comme l’obstacle majeur à la compréhension et à l’étude des autres sociétés. Ce concept a été élaboré par Claude Lévi-Strauss par analogie avec celui d’égocentrisme. Nous savons que l’égocentrisme, attitude typique du jeune enfant, consiste absolument à tout ramener à soi, à voir « je » au centre. De la même manière, l’attitude ethnocentrique consiste à considérer l’ethnie, la sienne au centre. Il convient d’entendre l’ethnie comme société ou culture. On peut donc définir l’ethnocentrisme comme une attitude d’origine inconsciente consistant à prendre sa propre société comme le modèle même, la référence et ainsi à considérer toute différence culturelle par rapport à ce modèle comme un signe d’infériorité.
La notion de société primitive a-t-elle un sens ?
L’ethnocentrisme conduit à penser l’existence de sociétés « primitives », celles-ci étant restées à l’enfance de l’humanité, c’est-à-dire à un état premier, préhistorique, comparativement à la nôtre qui seule, par le progrès, est parvenue à ce qu’il y a de plus abouti, à l’état civilisé. Lévi-Strauss montre que, C’est parce que l’histoire de la culture occidentale est particulièrement caractérisée par le développement des sciences et des techniques et la puissance économique que nous l’imaginons supérieure, développée. Cette forme particulière de l’ethnocentrisme, appelé technocentrisme explique que nous nous imaginons ces sociétés dites primitives comme des sociétés n’ayant pas su progresser sur ces trois plans, scientifique, technique et économique, comme des sociétés sans histoire. Mais peut-on raisonnablement penser qu’il y existe vraiment des sociétés sans histoire et l’idée de l’existence de sociétés primitives est-elle pertinente ?
Une société sans histoire est-elle possible ?
En fait, ce n’est pas parce qu’il existe des sociétés différentes de la nôtre que celles-ci sont inférieures à la nôtres et qu’elles n’ont pas d’histoire. Toutes les sociétés sans exception ont une histoire, même si celle-ci est différente de la nôtre. En fait c’est le technocentrisme qui nous conduit à considérer la société occidentale comme la forme la plus aboutie de l’histoire humaine. Nous jugeons les autres sociétés en fonction d’un critère qui nous est avantageux. Que se passe-t-il si nous changeons de critère ?
Sur quel critère peut-on juger les sociétés ?
« La civilisation occidentale apparaît comme l’expression la plus avancée de l’évolution des sociétés humaines, et les groupes primitifs comme des « survivances » d’étapes antérieures, dont la classification logique fournira, du même coup, l’ordre d’apparition dans le temps. Mais la tâche n’est pas si simple : les Eskimo, grands techniciens, sont de pauvres sociologues ; en Australie, c’est l’inverse. On pourrait multiplier les exemples. Un choix illimité de critères permettrait de construire un nombre illimité de séries, toutes différentes. »
Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, 1968.
Si nous prenons comme critère de développement la parfaite adaptation à un milieu particulièrement hostile, il est évident que cela ne serait plus les Occidentaux qui seraient considérés comme civilisés mais les Bédouins du désert saharien ou bien les Inuits de l’Arctique. Si nous prenons comme critère de distinction des sociétés, la solidarité et le bonheur d’être ensemble, ne serait-ce pas la société pygmée qui serait en tête et la société en occidentale, avec son individualisme en queue ? Si nous prenons comme critère la connaissance des ressources du corps humain, les plus civilisés seraient alors les peuples de l’Orient et de l’Extrême-Orient., et ainsi de suite. Ainsi, nous le voyons, toute culture peut se prévaloir d’une supériorité selon un critère qui lui est propre. La question est alors de savoir quel est le critère le plus pertinent ? Il est impossible de répondre à cette question sans établir des jugements de valeur se fondant sur l’ethnocentrisme. Donc, nous conclurons sur l’idée selon laquelle aucun critère ne peut se prévaloir d’être plus pertinent qu’un autre, ce qui signifie que nous nous interdirons à considérer une culture supérieure à une autre, ou, ce qui revient au même qu’aucune culture ne peut se penser supérieure aux autres.
L’ethnocentrisme est-ce le propre de la culture occidentale ?
Maintenant, ne tombons pas dans un anti-occidentalisme primaire, en pensant que seule la société occidentale est ethnocentrique. L’ethnocentrisme est une attitude spontanée et universelle. Lévi-Strauss, dans le texte ci-dessous, exprime l’universalité de l’ethnocentrisme de la manière suivante « Le barbare est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». L’homme, de manière générale a tendance de qualifier de « barbares » les peuples dits primitifs sans même voir que ceux-ci procèdent exactement de la même manière. C’est toujours l’autre culture qui est barbare. Par exemple, dans de nombreuses cultures, seuls les membres de la tribu sont qualifiés d’hommes, de « bon », d’ « excellents » ou de « complets », les membres des autres tribus étant appelés « mauvais », « méchants » voire « fantômes » ou « apparitions », dénominations conduisant ainsi jusqu’à leur priver de toute réalité. Force est de constater que l’idée d’humanité apparaît comme une idée tardive, idée qui n’est d’ailleurs pas elle-même dénuée d’ethnocentrisme. Lévi-Strauss souligne, par exemple, comment l’égalité naturelle entre les hommes et de la fraternité qui doit les unir sans distinction de races ou de cultures, proclamée dans la déclaration universelle des droits de l’homme, néglige la diversité des cultures et nie en réalité les différences qu’elle n’arrive pas à comprendre. Les cultures sont bien différentes mais non inégales pour autant. Ramener la différence à l’inégalité ou l’égalité à l’identité constituent deux formes d’ethnocentrisme. L’important pour nous étant de bien distinguer différence et inégalité.
Un texte pour réfléchir : Qui est barbare ?
« L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. […]Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu’on choisit de considérer comme tels) hors de l’humanité, est justement l’attitude la plus marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. […] « L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion? – les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. […] En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »
C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, collection Médiations,1968.
Questions
Quelle est l’origine du mot « barbares » ? Que nous apprend cette étymologie ?
Le mot « sauvage » provient du latin « selva » qui désigne la forêt. En quoi les mots « sauvage » et «barbare » sont-ils proches ?
« Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». Pourquoi un tel paradoxe détruit l’idée même de « barbarie » ?
Précisez le sens du mot « culture » dans ce texte.
Peut-on dire qu’il existe des peuples civilisés et d’autres pas ? Précisez les sens possibles du mot « civilisation ».
Dans l’histoire récente, des hommes ont considéré que certains peuples n’étaient pas civilisés. Quelles en furent les conséquences ?
Une belle leçon de civilisation
Un petit reportage qui donne à,penser sur notre culture, dès lors qu’on prend au sérieux le regard de l’autre différent sur notre civilisation.
« Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions[1].
Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque[2] qui pourraient servir à définir l’homme. »
Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, 1945.
Questions de compréhension
1) Expliquez les sens des termes « naturels » et « conventionnel ».
2) Expliquez l’affirmation suivante : « Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. » A quelle conception répandue s’oppose ici Merleau-Ponty » ?
3) Expliquez l’affirmation : « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme ». Comment ces deux aspects peuvent-ils être indissociables dans toute personne ? Vous proposerez deux exemples précis pour illustrer votre réponse.
4) En quoi consistent ce « détournement » et cet « échappement » qui pourrait définir l’homme ?
5) Dégagez, en deux ou trois lignes, l’idée principale de ce texte
Questions de réflexion
6) Pour quelle raison « la paternité » est-elle une « institution » ? Donnez d’autres exemples de processus naturels qui sont également organisés selon des « conventions ».
7) Quel est ce « monde culturel » évoqué par l’auteur ? De quoi est-il constitué ? Comment est-il transmis de génération en génération ?
[1] Règles sociales et organisation des rapports humains établies par des hommes.
[2] Ce qui possède plusieurs significations ; ici, le « génie » de l’homme consiste à donner un sens à des éléments biologiques.
Le plaisir de manger est la sensation actuelle et directe d’un besoin qui se satisfait. Le plaisir de la table est la sensation réfléchie qui naît des diverses circonstances de faits, de lieux, de choses et de personnes qui accompagnent le repas.
Le plaisir de manger nous est commun avec les animaux ; il ne suppose que la faim et ce qu’il faut pour la satisfaire. Le plaisir de la table est particulier à l’espèce humaine ; il suppose des soins antécédents pour les apprêts du repas, pour le choix du lieu et le rassemblement des convives.
Le plaisir de manger exige, sinon la faim, au moins de l’appétit ; le plaisir de la table est le plus souvent indépendant de l’un et de l’autre. Ces deux états peuvent toujours s’observer dans nos festins.
Au premier service[1] […] chacun mange évidemment, sans parler, sans faire attention à ce qui peut être dit; et, quel que soit le rang qu’on occupe dans la société, on oublie tout pour n’être qu’un ouvrier de la grande manufacture[2]. Mais, quand le besoin commence à être satisfait, la réflexion naît, la conversation s’engage, un autre ordre de choses commence ; et celui qui, jusque-là, n’était que consommateur, devient convive plus ou moins aimable, suivant que le maître de toutes choses[3] lui en a dispensé les moyens. […]
D’ailleurs, on trouve souvent rassemblées autour de la même table toutes les modifications que l’extrême sociabilité a introduites parmi nous : l’amour, l’amitié, les affaires, […] l’ambition, l’intrigue ; voilà pourquoi le conviviat[4] touche à tout ; voilà pourquoi il produit des fruits de toutes les saveurs.
Jean-Anthelme Brillat-Savarin (1755 – 1826), Physiologie du goût (1825).
Questions
Quel est le thème du texte ?
A quelle question répond Brillat-Savarin dans ce texte ?
Quelle en est sa réponse, c’est-à-dire quelle thèse soutient-il ?
Comment Brillat-Savarin construit-il son argumentation ? Pour répondre à cette question, il conviendra d’étudier la structure logique du texte.
Qu’est-ce qui dans ce texte mérite d’être expliqué ? Et expliquer !
Qu’est-ce que ce texte donner à penser ? (Réflexion personnelle)
[1] Premier service: début du repas.
[2] Maître de toutes choses: Dieu.
[3] Ouvrier de la grande manufacture: expression ironique qui désigne celui qui mange pour calmer sa faim.