Un premier sujet à étudier en classe
D’abord analyser le sujet de telle manière à lui donner du sens. D’ailleurs, il convient, en quelque sorte, de considérer tout sujet comme n’ayant pas de sens et n’étant pas intéressant et qu’il est de sa responsabilité de lui donner du sens et de montrer qu’il est intéressant à traiter. Montrer de quoi il est question dans un sujet donné, c’est en préciser tout le sens.
Ce dont il est question dans un sujet est toujours en philosophie l’expression d’un problème philosophique. C’est dire que toute question n’est pas un problème philosophique. Alors qu’une question appelle une réponse entendue comme la solution qui la liquide, un problème philosophique maintient la question jusque dans les différentes réponses possibles. Instruire un problème philosophique c’est cheminer de telle manière à approfondir les différentes réponses possibles, peut-être aussi en écartant celles qui ne tiennent pas. Toujours est-il qu’instruire un problème c’est réfléchir, et cela demande du temps et de la patience. Méfiance donc à l’égard de toute réponse immédiate.
Pour instruire un problème, il apparaît nécessaire de construire une problématique : c’est-à-dire un ensemble de questions permettant d’envisager le problème sous divers aspects de telle manière à pouvoir en faire le tour. Il est une illusion de croire que la problématique peut se réduire à l’expression d’une simple question. Bien au contraire, c’est toute la complexité du problème qui doit être rendu compte. La problématique est en cela, pourrait-on dire, une dramatique, en ce qu’elle révèle à la fois une nécessité de penser et une impossibilité de penser. C’est dire qu’il faut un certain courage pour s’y risquer. « Ose penser ! » dit Kant.
En résumé et à retenir la problématique est l’ensemble des questions par lesquelles il faut passer pour traiter le problème que soulève une question à partir d’un sujet donné (fig.1).
L’objet de notre cours est de proposer à la fois une méthode de la dissertation et une réflexion sur la notion de sujet (notion au programme). Nous tenterons en l’occurrence à partir de l’analyse du sujet de la dissertation proposé d’en préciser le problème et de construire une problématique et d’envisager quelques pistes, travail préalable à toute version définitive de la dissertation. Nous le ferons, non pas en proposant une aride et trop théorique méthodologie de la dissertation, à travers un exemple : « Peut-on douter de l’existence du sujet ? »
Pour avoir des exemples de sujets de dissertation voir les annales dans PhiloBac
« Peut-on mettre en doute l’existence du sujet ? »
Analyse du sujet
Plusieurs points du libellé devront faire l’objet d’une étude :
- Tout d’abord qu’est-ce que mettre en doute de manière générale ? (fig.2)
- Quel sens donner à la notion de sujet ici ? (fig.3)
- Que doit-on entendre par « l’existence du sujet » ? (fig.4)
- Comment comprendre la mise en doute de l’existence du sujet ? (fig.5)
- Enfin, s’il s’agit de savoir si l’on peut ou non mettre en doute l’existence du sujet, comment comprendre « peut-on » ? (fig.6)
L’analyse du sujet nous permet d’avoir une une bonne idée du sens que doit prendre le sujet. Il nous suffira de reformuler le sujet en question et de préciser quel problème il soulève. Mais avant, proposons-nous de dégager les présupposés du sujet. Que suppose comme thèse le sujet ?
Les présupposés du sujet
Un présupposé est ce qu’il faut admettre avant toute analyse pour que le sujet puisse être posé. Ici, si l’on se demande si l’on peut ou non mettre en doute l’existence du sujet c’est que l’existence du sujet apparaît comme une évidence, une certitude dont on ne voit pas à première vue en quoi on pourrait la remettre en question.
Une remarque générale : tout sujet n’a pas de présupposés.
Reformulation du sujet
Désormais, nous pouvons tenter de reformuler le sujet. Ici, nous donnons plusieurs formulations qui se complètent d’ailleurs.
Remarque : il ne faudrait pas se contenter de la première formulation proposée : « le sujet existe-t-il ? » mais c’est bien de cela dont il est question. Le sujet existe-t-il vraiment ? N’est-il pas une illusion de le croire ? Peut-être pensons-nous l’existence du sujet comme une évidence qui nous aveugle ? sur un sentiment de soi trompeur ?
Voyons maintenant quel problème soulève notre question. Le travail qu’il convient désormais de faire est un travail de problématisation.
Le problème dont il est question dans le sujet
Tout porte à croire que l’existence du sujet est une certitude absolue. Comment, en effet, puis-je ne pas m’affirmer comme sujet pensant et agissant ? Je suis moi et pas un autre et j’existe en tant que sujet conscient : je sais que j’existe en tant qu’être pensant et agissant, je le reconnais et le revendique. Pourtant, à bien des égards, ce qui apparaît comme une évidence, une certitude, peut être remis en question, et n’être au finale qu’une croyance illusoire. D’une part, ne m’arrive-t-il pas parfois d’être tiraillé entre ma volonté et un désir vif ou de contester mon identité compte tenu des changements qui se sont produits en moi au cours du temps ? D’autre part, ne suis-je pas finalement ce que je n’ai jamais décidé d’être et qui m’échappe, à savoir un condensé complexe, d’une culture, d’une société, d’une histoire, provenant d’une éducation particulière ? En outre, sur le plan psychique, des cas, de dédoublement de personnalité par exemple, mettent bien à mal l’unité même du sujet.
Cette mise en doute de l’existence du sujet est en même temps une mise en péril de toute idée de l’homme capable de rendre compte de ses idées, d’en revendiquer la paternité (être l’auteur de ses idées et de sa pensée) et de justifier de ses actes en tant qu’être libre et responsable. Doit-on alors renoncer à se considérer comme sujet ? L’activité intellectuelle et la responsabilité morale n’exigent-elles pas comme fondement minimal et nécessaire l’unité et l’identité du sujet ? Que deviennent-elles sans la référence à un auteur et acteur, une unité et identité à l’origine de la pensée et de l’action. Tout le problème est donc de savoir comment on peut à la fois mettre en doute l’existence du sujet et maintenir l’intellectualité et la moralité de l’homme ?
Remarque : la formulation du problème n’est pas nécessairement l’expression d’une simple question. Il ne faut pas hésiter à produire du texte.
Sans doute peut-on maintenant commencer par élaborer une démarche, ce que l’on appelle plan.
Construction d’une démarche (préparation du développement)
Remarque : Construire une démarche de développement n’est autre que construire un guide pour la rédaction du développement. Il faudra donc qu’il soit aussi détaillé que possible. Il ne faudra pas par exemple se contenter, comme semble montrer la fig.9, d’intituler les grandes parties. Nous ferons ultérieurement un articles consacré au plan, car nombreuses sont les questions sur le nombre de parties et sur le contenu de chacune des parties. Retenons en ce début d’année qu’il n’est pas possible proposer un devoir avec une seule partie ni en plus de quatre parties ; que l’on ne peut confondre partie et paragraphe ; qu’entre les parties il y a des transitions.
Des exemples et des références pour nourrir la réflexion
Pour les références, proposition d’un exercice :
Exercice
Objectifs : Usage des références dans une dissertation / approfondissement de la notion de « sujet »
Consignes : Lire et travailler les extraits de texte suivants de telle manière à les envisager comme des références possibles dans le développement de la dissertation sur le sujet « Peut-on douter de l’existence du sujet ? »
Texte 1
SOCRATE – Comment pourrions-nous maintenant savoir le plus clairement possible ce qu’est « soi-même ». Il semble que lorsque nous le saurons, nous nous connaîtrons aussi nous-mêmes. Mais par les dieux, cette heureuse parole de l’inscription delphique que nous rappelions à l’instant, ne la comprenons-nous pas ?
ALCIBIADE – Qu’as-tu à l’esprit en disant cela Socrate ?
SOCRATE – Je vais t’expliquer ce que je soupçonne que nous dit et nous conseille cette inscription. Il n’y en a peut-être pas beaucoup de paradigmes, si ce n’est la vue.
ALCIBIADE – Que veux-tu dire par là?
SOCRATE – Examine la chose avec moi. Si c’était à notre regard, comme à un homme que cette inscription s’adressait en lui conseillant : « regarde-toi toi-même », comment comprendrions-nous cette exhortation ? Ne serait-ce pas de regarder un objet dans lequel l’œil se verrait lui-même ?
ALCIBIADE – Evidemment.
SOCRATE – Quel est, parmi les objets, celui vers lequel nous pensons qu’il faut tourner notre regard pour à la fois le voir et nous voir nous-mêmes ?
ALCIBIADE – C’est évidemment un miroir, Socrate, ou quelque chose de semblable.
SOCRATE – Bien dit. Mais, dans l’œil grâce auquel nous voyons, n’y a-t-il pas quelque chose de cette sorte?
ALCIBIADE – Bien sûr.
SOCRATE – N’as-tu pas remarqué que, lorsque nous regardons l’œil de quelqu’un qui nous fait face, notre visage se réfléchit dans sa pupille comme dans un miroir, ce qu’on appelle aussi la poupée, car elle est une image de celui qui regarde ?
ALCIBIADE – Tu dis vrai.
SOCRATE – Donc, lorsqu’un œil observe un autre œil et qu’il porte son regard sur ce qu’il y a de meilleur en lui, c’est-à-dire ce par quoi il voit, il s’y voit lui-même.
ALCIBIADE – C’est ce qu’il semble.
SOCRATE – Mais si, au lieu de cela, il regarde quelque autre partie de l’homme ou quelque autre objet, à l’exception de celui auquel ce qu’il y a de meilleur en l’œil est semblable, alors il ne se verra pas lui-même.
ALCIBIADE – Tu dis vrai.
SOCRATE – Ainsi, si l’œil veut se voir lui-même, il doit regarder un œil et porter son regard sur cet endroit où se trouve l’excellence de l’œil. Et cet endroit de l’œil, n’est-ce pas la pupille ?
ALCIBIADE – C’est cela.
SOCRATE – Eh bien alors, mon cher Alcibiade, l’âme aussi, si elle veut se connaître elle-même, doit porter son regard sur une âme et avant tout sur cet endroit de l’âme où se trouve l’excellence de l’âme, le savoir, ou sur une autre chose à laquelle cet endroit de l’âme est semblable.
ALCIBIADE – C’est ce qu’il me semble, Socrate.
SOCRATE – Or, peut-on dire qu’il y a en l’âme quelque chose de plus divin que ce qui a trait à la pensée et à la réflexion?
ALCIBIADE – Nous ne le pouvons pas.
SOCRATE – C’est donc au divin que ressemble ce lieu de l’âme, et quand on porte le regard sur lui et que l’on connaît l’ensemble du divin, le dieu et la réflexion, on serait alors au plus près de se connaître soi-même.
ALCIBIADE – C’est ce qu’il semble.
Platon, Alcibiade
Texte 2
Je ne sais si je dois vous entretenir des premières méditations que j’y ai faites car elles sont si métaphysiques et si peu communes qu’elles ne seront peut-être pas au goût de tout le monde. Et toutefois, afin qu’on puisse juger si les fondements que j’ai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon contraint d’en parler. J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus ; mais, pour ce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et pour ce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit, n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais.
René Descartes, Discours de la Méthode, IVe partie
Texte3
Pour ce qui est de la superstition des logiciens, je ne me lasserai jamais de souligner un petit fait que ces esprits superstitieux ne reconnaissent pas volontiers à savoir qu’une pensée se présente quand « elle » veut, et non pas quand « je » veux ; de sorte que c’est falsifier la réalité que de dire : le sujet « je » est la condition du prédicat « pense ». Quelque chose pense, mais que ce quelque chose soit justement l’antique et fameux « je », voilà, pour nous exprimer avec modération, une simple hypothèse, une assertion, et en tout cas pas une « certitude immédiate ». En définitive, ce « quelque chose pense » affirme déjà trop ; ce « quelque chose » contient déjà une interprétation du processus et n’appartient pas au processus lui-même. En cette matière, nous raisonnons d’après la routine grammaticale : « Penser est une action, toute action suppose un sujet qui l’accomplit, par conséquent… » C’est en se conformant à peu près au même schéma que l’atomisme ancien s’efforça de rattacher à l’« énergie » qui agit une particule de matière qu’elle tenait pour son siège et son origine, l’atome. Des esprits plus rigoureux nous ont enfin appris à nous passer de ce reliquat de matière, et peut-être un jour les logiciens s’habitueront-ils eux aussi à se passer de ce « quelque chose », auquel s’est réduit le respectable « je » du passé.
Friedrich Nietzsche, Par-delà le bien et le mal §17 (1886)
Texte 4
Je suis triste. Cette tristesse que je suis, ne la suis-je point sur le mode d’être ce que je suis ? Qu’est-elle, pourtant, sinon l’unité intentionnelle qui vient rassembler et animer l’ensemble de mes conduites ? Elle est le sens de ce regard terne que je jette sur le monde, de ces épaules voûtées, de cette tête que je baisse, de cette mollesse de tout mon corps. Mais ne sais-je point, dans le moment même où je tiens chacune de ces conduites, que je pourrai ne pas la tenir ? Qu’un étranger paraisse soudain et je relèverai la tête, je reprendrai mon allure vive et allante, que restera-t-il de ma tristesse, sinon que je lui donne complaisamment rendez-vous tout à l’heure, après le départ du visiteur ? (…) être triste, n’est-ce pas d’abord se faire triste ? Soit, dira-t-on. Mais se donner l’être de la tristesse, n’est-ce pas malgré tout recevoir cet être ? Peu importe, après tout, d’où je le reçois. Le fait, c’est qu’une conscience qui s’affecte de tristesse est triste, précisément à cause de cela. Mais c’est mal comprendre la nature de la conscience : l’être-triste n’est pas un être tout fait que je me donne, comme je puis donner ce livre à mon ami. Je n’ai pas qualité pour m’affecter d’être. Si je me fais triste, je dois me faire triste d’un bout à l’autre de ma tristesse, je ne puis profiter de l’élan acquis et laisser filer ma tristesse sans la recréer ni la porter, à la manière d’un corps inerte qui poursuit son mouvement après le choc initial : il n’y a aucune inertie dans la conscience. Si je me fais triste, c’est que je ne suis pas triste ; l’être de la tristesse m’échappe par et dans l’acte même par quoi je m’en affecte.
Jean-Paul Sartre, L’Etre et le Néant