Qu’est l’homme en dehors de l’état de culture ?

« Hors de la société civile chacun jouit d’une liberté très entière, mais qui est infructueuse, parce que comme elle donne le privilège de faire tout ce que bon nous semble, aussi elle laisse aux autres la puissance de nous faire souffrir tout ce qu’il leur plaît. Mais dans le gouvernement d’un État bien établi, chaque particulier ne se réserve qu’autant de liberté qu’il lui en faut pour vivre commodément, et en une parfaite tranquillité, comme on n’en ôte aux autres que ce dont ils seraient à craindre. Hors de la société, chacun a tellement droit sur toutes choses, qu’il ne peut s’en prévaloir et n’a la possession d’aucune ; mais dans la république, chacun jouit paisiblement de son droit particulier. Hors de la société civile, ce n’est qu’un continuel brigandage et on est exposé à la violence de tous ceux qui voudront nous ôter les biens et la vie ; mais dans l’État, cette puissance n’appartient qu’à lui seul. Hors du commerce des hommes, nous n’avons que nos propres forces qui nous servent de protection, mais dans une ville, nous recevons le secours de tous nos concitoyens. »

Hobbes, Du citoyen

Qu’est-ce qui fait nous rend humain ?

On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation

« On façonne les plantes par la culture, et les hommes par l’éducation. Si l’homme naissait grand et fort, sa taille et sa force lui seraient inutiles jusqu’à ce qu’il eût appris à s’en servir ; elles lui seraient préjudiciables, en empêchant les autres de songer à l’assister ; et, abandonné à lui-même, il mourrait de misère avant d’avoir connu ses besoins. On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.

Nous naissons faibles, nous avons besoin de force ; nous naissons dépourvus de tout, nous avons besoin d’assistance ; nous naissons stupides, nous avons besoin de jugement. Tout ce que nous n’avons pas à notre naissance et dont nous avons besoin étant grands, nous est donné par l’éducation.

Cette éducation nous vient de la nature, ou des hommes ou des choses. Le développement interne de nos facultés et de nos organes est l’éducation de la nature ; l’usage qu’on nous apprend à faire de ce développement est l’éducation des hommes ; et l’acquis de notre propre expérience sur les objets qui nous affectent est l’éducation des choses.

Chacun de nous est donc formé par trois sortes de maîtres. Le disciple dans lequel leurs diverses leçons se contrarient est mal élevé, et ne sera jamais d’accord avec lui-même ; celui dans lequel elles tombent toutes sur les mêmes points, et tendent aux mêmes fins, va seul à son but et vit conséquemment. Celui-là seul est bien élevé. »

Jean-Jacques Rousseau, Émile, 1762.

La culture est-elle suffisante pour nous rendre plus humains ?

Sartre et l'esthétique de Kant kant-237x300« Nous sommes cultivés au plus haut degré par l’art et par la science. Nous sommes civilisés, jusqu’à en être accablés, par la politesse et les bienséances sociales de toute sorte. Mais nous sommes encore loin de pouvoir nous tenir pour déjà moralisés. Si en effet l’idée de la moralité appartient bien à la culture, la mise en pratique de cette idée qui n’aboutit qu’à une apparence de moralité dans l’amour de l’honneur et la bienséance extérieure, constitue simplement la civilisation. Or tant que les États jettent toutes leurs forces dans leurs projets d’extension vains et violents, tant qu’ils entravent ainsi sans cesse le lent effort de formation intérieure du mode de penser de leurs citoyens, et qu’ils leur retirent ainsi toute aide en vue de cette fin, une fin semblable ne peut être atteinte, car sa réalisation exige que, par un long travail intérieur, chaque communauté forme ses citoyens. Or, tout bien qui n’est pas greffé sur une intention moralement bonne n’est qu’apparence criante et brillante misère. C’est dans cet état que l’espèce humaine restera jusqu’à ce qu’elle s’arrache par son travail […] à l’état chaotique de ses relations internationales. »

Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique

Que permet la culture ?

« A l’école, en effet, l’activité de l’enfant commence à acquérir, de façon essentielle et radicale, une signification sérieuse, à savoir qu’elle n’est-plus abandonnés à l’arbitraire et au hasard, au plaisir et au penchant du moment ; l’enfant apprend à déterminer son agir d’après un but et d’après des règles, il cesse de valoir à cause de sa personne immédiate, et commence de valoir suivant ce qu’il fait et de s’acquérir du mérite. Dans la famille, l’enfant doit agir comme il faut dans le sens de l’obéissance personnelle et de l’amour ; à l’école, il doit se comporter dans le sens du devoir et d’une loi, et, pour réaliser un ordre universel, simplement formel, faire telle chose et s’abstenir de telle autre chose qui pourrait bien autrement être permise à l’individu. Instruit au sein de la communauté qu’il forme avec plusieurs, il apprend à tenir compte d’autrui ; à faire confiance à d’autres hommes qui lui sont tout d’abord étrangers et à avoir confiance en lui-même vis-à-vis d’eux, et il s’engage ici dans la formation et la pratique de vertus sociales.

C’est dans ce contexte que commence désormais pour l’homme l’existence double en laquelle sa vie en général vient se briser et qui fournit les extrêmes, se durcissant dans l’avenir, entre lesquels il a à maintenir cette vie rassemblée avec elle-même. La totalité première de ses conditions de vie est disparue ; il appartient maintenant à deux sphères séparées, dont chacune ne revendique qu’un côté de son existence. En dehors de ce que l’école exige de lui, il y a en lui un côté libre de l’obéissance qui la caractérise, côté qui, pour une part, est abandonné encore à l’ordre de la maison, mais, pour une autre part, aussi, à son arbitre et à sa détermination propres. De même qu’il acquiert par-là, en même temps, un côté qui n’est plus déterminé par la simple vie -familiale-, ainsi qu’un mode d’existence propre et des devoirs particuliers.

L’une des conséquences qui résultent de la nature de ce rapport, telle qu’on l’a considérée, concerne le ton et le mode d’application extérieur, comme aussi le champ, de la discipline, qui peuvent être liés à sa mise en œuvre dans un établissement comme le nôtre. Les concepts de ce qu’il faut entendre par discipline, et discipline scolaire en particulier, se sont beaucoup modifiés dans le progrès de la culture. L’éducation a été, de plus en plus, considérée à partir du point de vue correct selon lequel elle doit être, essentiellement, plus un soutien qu’un accablement du sentiment de soi qui s’éveille, c’est-à-dire une formation en vue de l’indépendance. C’est ainsi que, dans les familles, tout autant que dans les maisons d’éducation, s’est perdue, de plus en plus, la pratique consistant à donner à la jeunesse, en toute occasion quelle qu’elle soit, le sentiment de la soumission et de l’absence de liberté, à la faire obéir, même dans ce qui est indifférent, à un autre arbitre qu’au sien propre, – à exiger une obéissance à vide pour l’obéissance même, et à obtenir, par la dureté, ce qui réclame simplement le sentiment de l’amour, du respect, et du sérieux de la Chose. – Ainsi, il faut exiger des élèves étudiant dans notre établissement, du calme et de l’attention dans les cours, un comportement honnête à l’égard des maîtres et des condisciples, la remise des travaux imposés, et, d’une façon générale, l’obéissance qui est nécessaire pour que le but des études soit atteint. Mais cela implique en même temps que soit laissée libre la manière d’agir relativement à des choses indifférentes, qui sont en dehors de l’ordre. Dans le climat de sociabilité propre à l’étude, dans le commerce dont le lien et l’intérêt sont constitués par la science et l’activité de l’esprit, ce qui convient le moins, c’est un ton excluant la liberté ; une société de gens qui étudient ne peut pas être considérée comme un rassemblement de domestiques, et ils ne doivent pas en avoir la mine ni la démarche. L’éducation à l’indépendance exige que la jeunesse soit habituée de bonne heure à consulter son sentiment propre de ce qui convient et son entendement propre, et qu’il soit laissé à sa liberté, là où elle est entre soi et dans ses rapports à des personnes plus âgées, une sphère où elle détermine elle-même son comportement. »

Hegel, Textes pédagogiques

Y a-t-il des cultures supérieures à d’autres ?

Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie

L’attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles : morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont étrangères. Ainsi l’Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture grecque (puis gréco-romaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarti­culation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d’admettre le fait même de la diversité culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas à la norme sous laquelle on vit. […]

L’humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu’un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles-mêmes d’un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois – dirons-nous avec plus de discrétion ? – les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature humaine, mais qu’ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de « singes de terre » ou « d’œufs de pou ». On va souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l’Amérique, pendant que les Espagnols envoyaient des commissions d’enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou non une âme, ces derniers s’employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier, par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. […]

En refusant l’humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie. »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire

Dans quel temps errons-nous ?

Pascal«  Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours ; ou nous nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop prompt : si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons point au seul temps qui nous appartient ; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont plus rien, et échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent d’ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige ; et s’il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à disposer des choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où vous n’avez aucune assurance d’arriver.

 Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et, si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. »

                                                                                                                  Blaise Pascal, Pensée, 172B.

Le Débathon, pourquoi pas au LPO de Pointe-Noire ?

Une belle idée, mais « Le Débathon » est hélas réservé seulement aux étudiants postbac, donc bientôt à vous mes chers élèves, si l’initiative est rééditée l’an prochain. Bac en poche, vous pourrez vous aussi participer et débattre. Maintenant, pourquoi attendre l’an prochain, et si l’on montait une manifestation semblable au sein du lycée ? Qu’en pensez-vous ?

Le 13 décembre prochain, à l’occasion de son 40e anniversaire, Libération vous invite à assister à deux débats sur l’avenir des médias

Le Débathon, première édition

12 heures, 12 équipes d’étudiants, 12 manières de débattre 

Le 28 avril 2014 au Théâtre de la Cité internationale à Paris

Quel thème ? Le désordre 

Amoureux, environnemental, politique, urbain, artistique… Le désordre pourra être traité sous toutes ses formes et dans tous les formats : conférences, face-à-face, projections photo ou vidéo, concerts, matchs d’impro etc.

Faites donc preuve d’audace et d’originalité !

La meilleure équipe remportera un séjour dans une capitale européenne.

Comment participer ? 

Constituez un groupe de 2 à 4 personnes, élaborez votre projet et remplissez le formulaire d’inscription en ligne ici. Vous avez jusqu’au 2 mars minuit.

Un jury sélectionnera ensuite les 12 équipes qui défendront leur version originale du désordre.
Le Débathon se tiendra le 28 avril au Théâtre de la Cité internationale à Paris. Vos amis seront les bienvenus pour venir vous soutenir !

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