Sartre. « Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde »

Samedi 16 novembre 2013

Devoir-Surveillé de philosophie

TL et TES

 

Durée : 4h

Sujet : Expliquez le texte suivant,

 

            « Chacune de nos perceptions s’accompagne de la conscience que la réalité humaine est « dévoilante », c’est-à-dire que par elle « il y a » de l’être, ou encore que l’homme est le moyen par lequel les choses se manifestent ; c’est notre présence au monde qui multiplie les relations, c’est nous qui mettons en rapport cet arbre avec ce coin de ciel ; grâce à nous, cette étoile, morte depuis des millénaires, ce quartier de lune et ce fleuve sombre se dévoilent dans l’unité d’un paysage ; c’est la vitesse de notre auto, de notre avion qui organise les grandes masses terrestres ; à chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf.

            Mais si nous savons que nous sommes les détecteurs de l’être, nous savons aussi que nous n’en sommes pas les producteurs. Ce paysage, si nous nous en détournons, croupira sans témoins dans sa permanence obscure. Du moins croupira-t-il : il n’y a personne d’assez fou pour croire qu’il va s’anéantir. C’est nous qui nous anéantirons et la terre demeurera dans sa léthargie jusqu’à ce qu’une autre conscience vienne l’éveiller. Ainsi, à notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée.

            Un des principaux motifs de la création artistique est certainement le besoin de nous sentir essentiels par rapport au monde. »

Sartre, « Qu’est-ce que la littérature ? » Situations II

 

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Bon courage !

Voici quelques éléments pour vous aider dans votre travail

Rappel de l’objectif : lire le texte pour le comprendre, le comprendre pour l’expliquer, l’expliquer pour le faire comprendre.

Faire le travail préparatoire dans les règles. C’est essentiel, ce travail détermine ce qui sera la version définitive de votre étude de texte.

N’oubliez pas notamment d’établir le plan du texte, en distinguant les idées, les arguments et les exemples et en insistant bien sur sa progression logique. Et vous pouvez ensuite, à partir de là, dire quelle est la thèse de l’auteur. Et  formuler à quel problème philosophique celle-ci répond. A partir de là, on devra prendre soin de dégager les arguments.

Pour expliquer le texte, il conviendra de se demander ce que veut dire Sartre quand il affirme que « (…) la conscience de la réalité humaine est dévoilante » ? Comment comprendre le sens de ce dévoilement ? Pour ce faire, il conviendra de rechercher les différents sens du terme « dévoiler ». Et pour chaque sens, demandez-vous s’il est pertinent par rapport au texte, s’il permet de rendre sa vérité au texte. Pour cela, on pourra confronter les sens différents trouvés avec le texte et de se demander s’ils en permettent une lecture cohérente.

« A chacun de nos actes le monde nous révèle un regard neuf ». Comment comprendre cette affirmation de Sartre ? Veut-il dire qu’il y a autant d’apparences du monde que de points de vue, et donc qu’il n’y a que des façons de voir subjectives ? Ou bien alors que la réalité objective du monde n’est rien d’autre que la somme de ces façons de voir le monde ? Prenez des exemples ; comparez par exemple le regard du peintre sur un paysage, celui du géologue, celui de l’agriculteur, celui du promeneur. Vous pouvez bien sûr prendre vos propres exemples.

« La vitesse de notre auto, de notre avion… » : le travail de la conscience peut-il être indépendant d’un contexte matériel, technique, historique ?

« A notre certitude intérieure d’être « dévoilants » s’adjoint celle d’être inessentiels par rapport à la chose dévoilée. » Comment concilier ces deux aspects, apparemment contradictoires ? Que serait le monde s’il n’y avait pas de conscience humaine pour le révéler ? Faut-il comprendre que dévoiler le monde c’est le faire exister ?

Si la conscience dévoile le monde, en retour quelle est l’action du monde sur la conscience ? Que révèle le monde à l’homme ?

Mais quel est le rapport à l’art (cf. fin du texte) avec l’idée de Sartre ? Quelle est cette vérité de l’art dont il est question ?

Conseils pour la rédaction de l’étude

Quand votre travail préparatoire est terminé, il faudra procéder à la rédaction de la version définitive de l’étude de texte.

Il va de soi que vous rendrez une copie avec une introduction qui présente le texte, un développement structuré suivant l’ordre du texte et une conclusion qui dresse le bilan de l’étude.

La présentation s’aidera du thème, de la question, de la position avec une citation significative et le procédé d’argumentation.

L’analyse devra être aussi précise que possible et si vous discutez les idées de l’auteur prenez bien garde d’avoir bien compris ses idées et de ne pas évoquer contre elles de simples opinions. En outre, on devra être en mesure de bien distinguer ce qui ressort de l’analyse du texte de l’évaluation critique.

Le bilan fait le point sur toute l’étude et sur les enjeux et l’intérêt philosophiques du texte.

Prenez soin d’écrire clairement et simplement en utilisant du vocabulaire approprié et conformément aux règles de la langue. Autrement dit l’expression sera prise en compte dans l’évaluation.

 

Sujet percevant, objet perçu

Le monde. Nous croyons le percevoir immédiatement. Il semble se donner à nous tel qu’il est. Brutalement il s’impose. Passif, je suis. Aussi, percevoir ne serait rien d’autre que récolter des informations sensibles. Voir, entendre, toucher, goûter… voilà l’accès aux choses, au monde. Rencontre du sujet à l’objet, telle est la perception.

Sujets, c’est vers tel objet ou vers tel autre que nous pouvons orienter notre attention. Je quitte la fenêtre des yeux pour regarder mon professeur de philosophie, je me consacre désormais pleinement à son cours, délaissant les bruits divers et épars du lycée.

Par la perception, j’accède à la réalité et j’en perçois plus au moins de détails en fonction de l’orientation que je fais prendre à ma perception.

illusion d'optique

Mais recevons-nous passivement les informations sensibles sur la réalité ? Comment comprendre cette impression de mouvement ? Présence du contraste noir et blanc, les formes circulaires, nous percevons un mouvement qui n’existe pas. Notre cerveau induit en erreur et nos yeux bougent, ce mouvement de rotation d’arcs de cercle, une pure illusion. Victimes des illusions de la perception,  c’est vers elle que nous nous tournons pour l’accuser. Mais qu’est-elle réellement ?

Rassemblant les sensations reçues par nos organes de la vue, de l’ouïe, du toucher, du goût et de l’odorat, la perception saisie des différences et des différences. Une figure contenue dans une autre fait apparaître un rapport de grandeur. Je perçois cette figure plus petite que celle qui le contient. La perception est ainsi un produit de la sensation.

Quelque chose apparaît à quelqu’un. La perception est rencontre. Un entre-deux. Enlevons-la perception, la chose existe toujours en elle-même, mais quelle est sa réalité relativement au sujet. Je marche, j’approche du petit port. A l’entrée, je perçois un fromager, je le vois. Il m’apparaît là majestueux. Je peux maintenant dire, il y a un fromager majestueux à l’entrée du petit port. Il a certes toujours été là. Il existait avant que je le perçoive. Maintenant, il existe pour moi. C’est grâce à la perception que je suis, moi sujet percevant, mis en contact avec lui, objet perçu.

Sujet percevant, je suis. Mais alors ne suis-je pas passif dans la perception du monde. N’est-ce pas lui qui s’impose ? La perception comme une activité, mais comment cela ? J’entends les battements d’ailes du colibri. A force d’observer le petit animal butineur, mon ouïe est devenue experte. Je perçois son battement rapide et léger.

Comment connaissons-nous le réel ? Par les informations sensibles. C’est par elles que nous croyons avoir un accès immédiat à la réalité. La question est donc de savoir si la perception consiste simplement à recevoir des informations sensibles ou à les organiser. En un mot, la perception se confond-elle avec la sensation ? Quelle est la part d’activité du sujet dans la perception ?

Exercice : « Percevoir, est-ce sentir ? » Rédigez une progression en vous aidant des trois textes ci-dessous et en tentant de répondre à la question de savoir si percevoir, c’est sentir.

Texte 1 [1]

LockeC’est la première idée simple de réflexion.

La perception est la première faculté de l’esprit mobilisée sur les idées ; elle est aussi l’idée la première et la plus simple obtenue par réflexion, et certains la nomment pensée en général. Pourtant la pensée au sens propre du terme en français signifie cette opération de l’esprit sur ses idées où l’esprit est actif et où il considère quelque chose avec un certain niveau d’attention volontaire ; dans la pure et simple perception, l’esprit est pour la plus grande part passif seulement et, ce qu’il perçoit, il ne peut s’empêcher de le percevoir. [ … ]

Il est certain que si une altération produite dans le corps n’atteint pas l’esprit, si une impression produite sur l’extérieur n’est pas remarquée intérieurement, il n’y a aucune perception. Le feu peut brûler notre corps sans autre effet que s’il brûlait une bûche, sauf si le mouvement est porté jusqu’au cerveau et si la sensation de chaleur ou l’idée de douleur sont produites dans l’esprit, ce qui constitue la perception effective.

John Locke, Essai sur l’entendement humain, Livres I et II, 1690.

Texte 2 [2]

leibnizPHILALÈTHE.- J’avoue que, lorsque l’esprit est fortement occupé à contempler certains objets, il ne s’aperçoit en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance.

THÉOPHILE. – J’aimerais mieux distinguer entre perception et s’apercevoir. La perception de la lumière ou de la couleur, par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantité de petites perceptions, dont nous ne nous apercevons pas, et un bruit dont nous avons perception, mais où nous ne prenons point garde, devient aperceptible par une petite addition ou augmentation. Car si ce qui précède ne faisait rien sur l’âme, cette petite addition n’y ferait rien encore et le tout ne ferait rien non plus.

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Chap. IX, 1703

Texte 3 [3]

Merleau PontySi nous nous en tenons aux phénomènes[4], l’unité de la chose dans la perception n’est pas construite par association[5] mais, condition de l’association, elle précède les recoupements qui la vérifient et la déterminent, elle se précède elle-même. Si je marche sur une plage vers un bateau échoué et que la cheminée ou la mâture se confonde avec la forêt qui borde la dune, il y aura un moment où ces détails rejoindront le bateau et s’y souderont. À mesure que j’approchais, je n’ai pas perçu des ressemblances ou des proximités qui enfin auraient réuni dans un dessin continu la superstructure d’un bateau. J’ai seulement éprouvé que l’aspect de l’objet allait changer, que quelque chose était imminent[6] dans cette tension comme l’orage est imminent dans les nuages. Soudain le spectacle s’est réorganisé donnant satisfaction à mon attente imprécise. Après coup, je reconnais, comme des justifications du changement, la ressemblance et la contiguïté[7] de ce que j’appelle les « stimuli » – c’est-à-dire les phénomènes les plus déterminés, obtenus à courte distance – et donc je compose le monde « vrai». « Comment n’ai-je pas vu que ces pièces de bois faisaient corps avec le bateau? Elles étaient pourtant de même couleur que lui, elles s’ajustaient bien sur sa superstructure.» Mais ces raisons de bien percevoir n’étaient pas données comme raisons avant la perception correcte. L’unité de l’objet est fondée sur le pressentiment d’un ordre imminent qui va donner réponse à des questions seulement latentes dans le paysage, elle résout un problème qui n’était posé que sous la forme d’une vague inquiétude.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, introduction, II, 1945.


Notes

[1] Locke, 1632 – 1704, chef de file des empiristes, affirme que l’âme est semblable à une table de cire sur laquelle s’imprime ce qui vient de l’extérieur. L’impression remarquée sur cette table s’appelle la perception.

[2] Leibniz, 1646-1716, est représenté dans ce dialogue par Théophile qui apporte une distinction qui affaiblit la théorie empiriste de Locke. La perception est le plus souvent inconsciente. Elle ne dépend pas tant de l’intensité de l’impression sensible que de l’attention de l’esprit à sa composition : une vague de petites perceptions qui finit par nous affecter.

[3] Maurice Merleau-Ponty, 1908 – 1961, réalise une description du vécu : Ce que nous percevons effectivement et ce que nous ne percevons pas encore. Percevoir, ce n’est pas enregistrer des données ; c’est corriger sans cesse c’est ce qui a été sélectionné par nous.

[4] Phénomène désigne ce qui apparaît à la conscience, le dévoilement d’une chose.

[5] Signifie joindre certaines informations sensibles pour créer une unité d’ensemble.

[6] Sur le point de se produire

[7] Permet de faire des associations quand deux choses sont proches dans le temps ou dans l’espace.

TL. Comment l’âme en vient-elle à recevoir des idées ?

Texte illustrant le cours sur la perception

Ci-dessous un texte du chef de fil de la philosophie empiriste, fameux texte dans lequel il affirme l’âme à l’origine comme une table rase, « tabula rasa » en latin. Dans le cadre de notre cours, cet extrait est particulièrement intéressant dans le sens où il répond à notre question de savoir comment faut-il penser l’articulation entre perception et jugement. Selon, Locke, la perception, manière de sentir et manière d’accompagner de jugements nos sensations, est à l’origine de nos idées. 
John Locke 1632-1704
John Locke 1632-1704

« Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. »

John Locke, Essai sur l’entendement