DESCARTES. « Qu’est-ce donc qui pourra être exprimé véritable ? »

Exercice proposé en travail en autonomie (sur le principe de la classe inversée) pour le groupe A de TL. Ce groupe est divisé en deux équipes. La première équipe devra réaliser une émission de radio philosophique à partir d’un travail sur un extrait de la deuxième méditation de Descartes.

Equipe 1

Descartes démontre, dans la deuxième méditation de Méditations métaphysiques, que le moi est une substance pensante. C’est par un doute hyperbolique qu’il remet en cause l’existence de toute chose : aussi bien les objets matériels que les vérités mathématiques voire l’existence de Dieu. Mais si toute croyance peut être révoqué en doute, l’expérience elle-même du doute est belle et bien réelle. En effet, je peux bien douter de l’existence de toutes choses, mais je ne peux pas douter du fait même que je doute. Or douter c’est penser. Je ne peux douter que je suis un sujet pensant. Je suis, j’existe en tant qu’être pensant. Notons que la pensée est l’ensemble des modifications qui touchent l’âme, à savoir douter, comprendre, vouloir, juger, concevoir etc. sont des modes de la pensée.
Ainsi j’aurai droit de concevoir de hautes espérances si je suis assez heureux pour trouver seulement une chose qui soit certaine et indubitable[1]. Je suppose donc que toutes les choses que je vois sont fausses ; je me persuade que rien n’a jamais été de tout ce que ma mémoire remplie de mensonges me représente ; je pense n’avoir aucun sens ; je crois que le corps, la figure, l’étendue[2], le mouvement et le lieu ne sont que des fictions de mon esprit. Qu’est-ce donc qui pourra être estimé véritable ? Peut-être rien autre chose, sinon qu’il n’y a rien au monde de certain. (…) Quel est l’objectif de Descartes ?
Mais je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucuns esprits, ni aucuns corps[3] ; ne me suis-je donc pas aussi persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose. Pourquoi puis-je douter de tout, sauf de mon existence ? Qu’est-ce qui justifie que « je suis » ?
Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours[4]. Il n’y a donc point de doute que je suis, s’il me trompe ; et qu’il me trompe tant qu’il voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. Pourquoi l’acte de douter de tout permet-il de démontrer que la réalité de la conscience est indubitable ?
De sorte qu’après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit. A quelles conditions la pensée « Je suis, j’existe » est-elle vraie ?
Mais je ne connais pas encore assez clairement quel je suis, moi qui suis certain que je suis ; de sorte que désormais il faut que je prenne soigneusement garde de ne prendre pas imprudemment quelque autre chose pour moi, et ainsi de ne me point méprendre dans cette connaissance que je soutiens être plus certaine et plus évidente que toutes celles que j’ai eues auparavant. Quelle différence y a-t-il entre le fait que je sois et ce que je suis ? Pourquoi est-il important d’entreprendre de déterminer ce que je suis ?
(…) Je suis, j’existe, cela est certain ; mais combien de temps ? autant de temps que je pense ; car peut-être même qu’il se pourrait faire, si je cessais totalement de penser, que je cesserais en même temps tout à fait d’être. Je n’admets maintenant rien qui ne soit nécessairement vrai ; je ne suis donc, précisément parlant, qu’une chose[5] qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou une raison[6], qui sont des termes dont la signification m’était auparavant inconnue. Or je suis une chose vraie et vraiment existante ; mais quelle chose ? Je l’ai dit : une chose qui pense. En quoi est-il possible de douter de mon existence lorsque je ne pense pas ? Comment le fait que je sois a-t-il permis de déterminer ce que je suis ?
René DESCARTES, Méditations métaphysiques, 1641, 2ème méditation

[1] Indubitable : dont on ne peut douter

[2] L’étendue correspond à la matière, l’ensemble des corps et se distingue de la pensée.

[3] Descartes tente de trouver ici une certitude absolue, une vérité parfaitement indubitable. A cette fin, il a commencé par douter de l’existence des choses corporels, puis de toutes les réalités immatérielles.

[4] Quel est donc cet être trompeur ? Il est le « malin génie », une entité tout à fait hypothétique convoquée par Descartes pour pousser à son extrémité son entreprise du doute. Dans cette fiction théorique, ce « malin génie », aussi rusé et trompeur que puissant, emploierait toute sa ruse pour tromper les esprits. En d’autres termes, il aurait créé l’illusion du monde dans le seul but de se jouer de nous.

[5] Chose ici pour Descartes désigne ce qui constitue la réalité. On peut distinguer dans la réalité, la chose étendue, c’est-à-dire ce qui est de l’ordre de la matière et de l’espace et la chose pensante, c’est-à-dire ce qui est de l’ordre de l’âme ou de l’esprit.

[6] Un esprit, un entendement ou une raison : l’esprit qualifie la nature de ce qui est indépendant de la matière et de l’espace. L’entendement et la raison sont des facultés de l’esprit : l’entendement désigne la faculté de comprendre et de produire des abstractions ; la raison celle de combiner entre eux des jugements, à partir du travail effectué par l’entendement.

Contenu de l’exercice inspiré du Manuel « Philosophie » Magnard. www.magnard.fr

Partie individuelle : 1°) Lire le texte en tenant de le comprendre en vous aidant de l’introduction et des notes. 2°) A partir de la structure du texte, répondez aux questions posées correspondant à chacune des parties du texte. 3°) Quelles réponses ce texte de Descartes permet-il de fournir aux questions suivantes :

  • Peut-on douter de tout ?
  • Suis-je ce que j’ai conscience d’être ?
  • Qu’est-ce qui fait l’identité du sujet ?

Partie en équipe : 1°) Partagez votre compréhension du texte. Y a-t-il des points de désaccords ? Le partage doit vous permettre de compléter, d’éclaircir, d’approfondir. 2°) Travaillez la mise au point d’un enregistrement d’une émission philosophique portant sur ce texte : Trouver un titre (philosophique ex : l’identité du sujet) ; partagez les rôles : 1 animateur, 1 lecteur et 4 intervenants / surtout ne pas donner l’impression de lire votre papier / Aidez-vous de la trame ci-dessous et rédigez un conducteur.

Titre et présentation Animateur : Bonjour, Vous écoutez PhiloWebRadio. Aujourd’hui, nous évoquerons la question de l’identité du sujet. Et pour ce faire nous aborderons un texte de Descartes, extrait de sa 2ème méditation métaphysique. [Présentation de la démarche de Descartes, son intention et le moyen d’y parvenir ainsi que le résultat de sa recherche]. Pour en parler, nous avons sur le plateau, ….
Lecture de la partie 1 Lecteur :
Question 1 Animateur L’animateur donne la parole à …
Réponse à la question 1 Intervenant 1  
Lecture de la partie 2 Lecteur  
Question 2 Animateur  
Réponse à la question 2 Intervenant 2  
Lecture de la partie 3 Lecteur  
Question 3 Animateur  
Réponse à la question 3 Intervenant 3  
Lecture de la partie 4 Lecteur  
Question 4 Animateur  
Réponse à la question 4 Intervenant 4  
Lecture de la partie 5 Lecteur  
Question 5 (question double) Animateur  
Réponse à la question 5 Intervenants 1 et 2  
Lecture de la partie 6 Lecteur  
Question 6 (question double) Animateur  
Réponse à la question 6  Intervenants 3 et 4  
Conclusion Animateur Nous arrivons au terme de cette émission, pour finir et pour résumer ici la pensée de Descartes, 1) pouvez-vous confirmer que l’on peut douter de tout, 2) ce qui fait, selon lui, l’identité du sujet et 3) Sommes-nous ce que nous avons conscience d’être ?
Réponses Intervenants Réponse pour clore l’émission
  Animateur Vous étiez sur PhiloWebRadio, merci pour votre attention

 

BAC 2016. Les sujets de philosophie pour la série L. Polynésie

philobac2016

Sujet 1

La politique est-elle une science ?

Sujet 2

Suffit-il de ne manquer de rien pour être heureux ?

Sujet 3

Expliquer le texte suivant :
« La langue est un instrument à penser. Les esprits que nous appelons paresseux, somnolents, inertes, sont vraisemblablement surtout incultes, et en ce sens qu’ils n’ont qu’un petit nombre de mots et d’expressions ; et c’est un trait de vulgarité bien frappant que l’emploi d’un mot à tout faire. Cette pauvreté est encore bien riche, comme les bavardages et les querelles le font voir ; toutefois la précipitation du débit et le retour des mêmes mots montrent bien que ce mécanisme n’est nullement dominé. L’expression « ne pas savoir ce qu’on dit » prend alors tout son sens. On observera ce bavardage dans tous les genres d’ivresse et de délire. Et je ne crois même point qu’il arrive à l’homme de déraisonner par d’autres causes ; l’emportement dans le discours fait de la folie avec des lieux communs. Aussi est-il vrai que le premier éclair de pensée, en tout homme et en tout enfant, est de trouver un sens à ce qu’il dit. Si étrange que cela soit, nous sommes dominés par la nécessité de parler sans savoir ce que nous allons dire ; et cet état sibyllin* est originaire en chacun ; l’enfant parle naturellement avant de penser, et il est compris des autres bien avant qu’il se comprenne lui-même. Penser c’est donc parler à soi. »

ALAIN, Humanités (1946)

* « sybillin » : dont le sens est obscur, énigmatique La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise

Révisions BAC 2016. Descartes : « Je pense, je suis »

 

René Descartes
René Descartes 1596 -1650

« J’avais dès longtemps remarqué que, pour les moeurs, il est besoin quelquefois de suivre des opinions qu’on sait être fort incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi qu’il a été dit ci-dessus; mais, pour ce qu’alors je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai qu’il fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne resterait point, après cela, quelque chose un ma créance, qui fût entièrement indubitable. Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je voulus supposer qu’il n’y avait aucune chose qui fût telle qu’ils nous la font imaginer. Et pour ce qu’il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie, et y font des paralogismes’, jugeant que j’étais sujet à faillir, autant qu’aucun autre, je rejetai comme fausses toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstrations. Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous dormons, sans qu’il y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je me résolus de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées en l’esprit, n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais ».

René Descartes, Discours de la Méthode (1637), IV’ partie,

Alain. La prise de conscience et ses paradoxes

Didier Maes,  Inspecteur Pédagogique Régional de Philosophie, nous explique un propos d’Alain qui n’a été publié qu’en 1955, soit 4 ans après la mort du philosophe. Texte difficile qui a été déjà donné comme sujet de baccalauréat.

Alain 1868-1951
Alain 1868-1951

« Dans le sommeil, je suis tout ; mais je n’en sais rien. La conscience suppose réflexion, division. La conscience n’est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet, Moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée. C’est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi. Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l’on se retrouvait tout entier, c’est alors qu’on ne se reconnaîtrait pas. Le passé est insuffisant, dépassé. Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. Ce moment-là même j’étais autre chose en espérance, en avenir. La conscience de soi est la conscience d’un devenir et d’une formation de soi irréversible, irréparable. Ce que je voulais, je le suis devenu. Voilà le lien entre le passé et le présent, pour le mal comme pour le bien.
Ainsi le moi est un refus d’être moi, qui en même temps conserve les moments dépassés. Se souvenir, c’est sauver ses souvenirs, c’est se témoigner qu’on les a dépassés. C’est les juger. Le passé, ce sont des expériences que je ne ferai plus. Un artiste reconnaît dans ses oeuvres qu’il ne s’était pas encore trouvé lui-même, qu’il ne s’était pas encore délivré ; mais il y retrouve un pressentiment de ce qui a suivi. C’est cet élan qui ordonne les souvenirs selon le temps. »

ALAIN, Manuscrits inédits


La prise de conscience et ses paradoxes… par projeteee

Pascal. L’homme le plus faible de la nature

Blaise Pascal 1623 – 1662

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.

Blaise Pascal, Pensées

Alain. « Penser, c’est dire non. »

Image« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non. Non à quoi ? Au monde, au tyran, au prêcheur ? Ce n’est que l’apparence. En tous ces cas-là, c’est à elle-même que la pensée dit non. Elle rompt l’heureux acquiescement. Elle se sépare d’elle-même. Elle combat contre elle-même. Il n’y a pas au monde d’autre combat. Ce qui fait que le monde me trompe par ses perspectives, ses brouillards, ses chocs détournés, c’est que je consens, c’est que je ne cherche pas autre chose. Et ce qui fait que le tyran est maître de moi, c’est que je respecte au lieu d’examiner. Même une doctrine vraie, elle tombe au faux par cette somnolence. C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. »

ALAIN, Propos sur les pouvoirs, « L’homme devant l’apparence« , 1924