Camus. Une prise de conscience naît d’une révolte

Camus
Albert Camus 1913 – 1960

« Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu’il y a dans l’homme quelque chose à quoi l’homme peut s’identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu’ici n’était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d’insurrection, l’esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu’il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l’impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s’étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. Cet élan est presque toujours rétroactif. L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu’il n’était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu’il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d’abord une résistance irréductible de l’homme devient l’homme tout entier qui s’identifie à elle et s’y résume. Cette part de lui-même qu’il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. »

Camus, L’Homme révolté

 

Hegel. D’où vient l’universalité du besoin d’art ?

Hegel
Hegel 1770 – 1831

« L’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme doit se placer en face de ce qu’il est, de ce qu’il est d’une façon générale, et en faire un objet pour soi. Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que conscience, se dédouble : il est une fois, mais il est pour lui-même. Il chasse devant lui ce qu’il est ; il se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque une œuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est.

Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait, pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art. »

Hegel, Introduction à l’esthétique

 

TSTI2d. Qu’est-ce qui caractérise l’homme ? Comment le définir ?

Maurice Merleau-Ponty 1906-1961

« Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions[1].

Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque[2] qui pourraient servir à définir l’homme. »

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, 1945.

Questions de compréhension

1)      Expliquez les sens des termes « naturels » et « conventionnel ».

2)      Expliquez l’affirmation suivante : « Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. » A quelle conception répandue s’oppose ici Merleau-Ponty » ?

3)      Expliquez l’affirmation : « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme ». Comment ces deux aspects peuvent-ils être indissociables dans toute personne ? Vous proposerez deux exemples précis pour illustrer votre réponse.

4)      En quoi consistent ce « détournement » et cet « échappement » qui pourrait définir l’homme ?

5)      Dégagez, en deux ou trois lignes, l’idée principale de ce texte

Questions de réflexion

6)      Pour quelle raison « la paternité » est-elle une « institution » ? Donnez d’autres exemples de processus naturels qui sont également organisés selon des « conventions ».

7)      Quel est ce « monde culturel » évoqué par l’auteur ? De quoi est-il constitué ? Comment est-il transmis de génération en génération ?


[1] Règles sociales et organisation des rapports humains établies par des hommes.

[2] Ce qui possède plusieurs significations ; ici, le « génie » de l’homme consiste à donner un sens à des éléments biologiques.

Que lire pendant les vacances ?

E. Meissonier, « Le liseur blanc »

A l’intention de mes futurs élèves de terminale

Patience ! La philosophie, c’est pour bientôt !

La grande nouveauté de votre rentrée prochaine en classe de terminale, c’est évidemment la philosophie. Bien souvent en cours d’année scolaire, certains expriment le regret de ne pas avoir été initiés plus tôt à cette matière nouvelle. Aussi, une excellente approche est de lire quelques livres pouvant ouvrir à la réflexion philosophique.

Ainsi, vous je vous propose une toute petite sélection d’ouvrages pouvant vous accompagner durant ces vacances que je vous souhaite aussi bonnes qu’enrichissantes.

Jeanne Hersch, L’étonnement philosophique, Une histoire de la philosophie, Gallimard, collection Folio essais

Jostein Gaarder, Le Monde de Sophie, Roman sur l’histoire de la philosophie, Seuil, collection Points

Jean-Paul Jouary, Philosopher, et si c’était facile ? Milan

Balthasar Thomass, Etre heureux avec Spinoza, Eyrolles, collection « Vivre en philosophie »

Anthologie présentée par Guillaume de Gurbert, Si la philosophie m’était contée, de Platon à Gilles Deleuze, Librio

En outre, si vous avez déjà votre manuel, ne frustrez surtout pas votre curiosité, laissez-là vagabonder parmi les textes des plus grands philosophes que l’histoire humaine a pu reconnaître et précieusement garder.

Excellentes vacances à tous et à bientôt,