Programme Séries Technologiques

PROGRAMME D’ENSEIGNEMENT DE LA PHILOSOPHIE
EN CLASSES TERMINALES DES SERIES TECHNOLOGIQUES
Projet présenté par le Groupe d’Experts pour les Programmes Scolaires relatifs à la Philosophie, constitué sous la présidence de Michel Fichant, Professeur à l’Université de Paris IV

I. Présentation

I. 1.

L’enseignement de la philosophie en classes terminales a pour objectif de favoriser l’accès de chaque élève à l’exercice réfléchi du jugement, et de lui offrir une culture philosophique initiale. Ces deux finalités sont substantiellement unies. Une culture n’est proprement philosophique que dans la mesure où elle se trouve constamment investie dans la position des problèmes et dans l’essai méthodique de leurs formulations et de leurs solutions possibles ; l’exercice du jugement n’a de valeur que pour autant qu’il s’applique à des contenus déterminés et qu’il est éclairé par les acquis de la culture, notamment dans les domaines des sciences, des religions et des arts.

La culture philosophique à acquérir durant l’année de terminale repose elle-même sur la formation scolaire antérieure, dont l’enseignement de la philosophie mobilise de nombreux éléments, notamment pour la maîtrise de l’expression et de l’argumentation, la culture littéraire, les savoirs dispensés dans les disciplines professionnelles et scientifiques et la connaissance de l’histoire. Ouvert aux acquis des autres disciplines, cet enseignement vise dans l’ensemble de ses démarches à développer chez les élèves l’aptitude à l’analyse, le goût des notions exactes et le sens de la responsabilité intellectuelle. Il contribue ainsi à former des esprits autonomes, avertis de la complexité du réel et capables de mettre en œuvre une conscience critique du monde contemporain.

Dispensé durant une seule année, à la fin du cycle secondaire, et sanctionné par les épreuves d’un examen national, l’enseignement de la philosophie en classes terminales présente un caractère élémentaire qui exclut par principe une visée encyclopédique. Il ne saurait être question d’examiner dans l’espace d’une année scolaire tous les problèmes philosophiques que l’on peut légitimement poser, ou qui se posent de quelque manière à chaque homme sur lui-même, sur le monde, sur la société, etc. Il ne peut pas non plus s’agir de parcourir toutes les étapes de l’histoire de la philosophie, ni de répertorier toutes les orientations doctrinales qui s’y sont élaborées. Il convient donc d’indiquer clairement à la fois les thèmes sur lesquels porte l’enseignement et les compétences que les élèves doivent acquérir pour maîtriser et exploiter ce qu’ils ont appris. Le programme délimite ainsi le champ d’étude commun aux élèves des séries technologiques.

I. 2.

Dans les classes terminales conduisant aux baccalauréats des séries technologiques, les programmes se composent d’une liste de notions et d’une liste d’auteurs. Les notions définissent les champs de problèmes abordés dans l’enseignement, et les auteurs fournissent les textes, en nombre limité, qui viendront à l’appui de l’analyse des notions et de l’examen des problèmes.

C’est dans cette étude que seront acquises et développées les compétences définies au Titre III ci-dessous. Le professeur déterminera la démarche qui lui paraîtra le mieux correspondre aux exigences de son cours et aux besoins de ses élèves.

La liste des notions et celle des auteurs ne proposent pas un champ indéterminé de sujets de débats ouverts et extensibles à volonté. Elles n’imposent pas non plus un inventaire supposé complet de thèmes d’étude que l’élève pourrait maîtriser du dehors par l’acquisition de connaissances spéciales, soit en histoire de la philosophie, soit en tout autre domaine du savoir. Elles déterminent un cadre pour l’apprentissage de la réflexion philosophique, fondé sur l’acquisition de connaissances rationnelles et l’appropriation du sens des textes.

II.1. Notions et repères.

Le choix d’un nombre restreint de notions n’a d’autre principe que d’identifier les plus communes et les mieux partagées. Les notions retenues doivent constituer un ensemble suffisamment cohérent et homogène pour que leur traitement fasse toujours ressortir leurs liens organiques de dépendance et d’association. L’intelligence et le traitement des problèmes que les notions permettent de poser doivent être guidés par un certain nombre de repères explicites.

II.1.1. Notions.

Cette partie du programme se compose de trois notions capitales, ouvrant trois domaines aux directions fondamentales de la recherche. Ces trois notions occupent la première colonne du tableau ci-dessous.

La deuxième colonne est constituée d’autres notions isolées ou couplées dont le traitement permet de spécifier et de déterminer quelques-uns des problèmes les plus importants correspondant aux trois domaines fondamentaux.

Les notions de deuxième colonne sont elles-mêmes susceptibles d’être abordées sur plusieurs registres : ainsi pour les échanges, pour l’expérience, ou pour la raison et la croyance, titres auquel pourront être abordées des questions d’épistémologie et de métaphysique aussi bien que les divers aspects du “fait religieux”.

La mise en correspondance des notions de la deuxième colonne avec celles de la première et la présentation de certaines notions en couple n’impliquent aucune orientation doctrinale ; elles déterminent l’une et l’autre une priorité dans l’ordre des problèmes que ces notions permettent de formuler.

Les notions figurant dans l’une et l’autre colonnes ne constituent pas nécessairement, dans l’économie du cours élaboré par le professeur, des têtes de chapitre. L’ordre dans lequel elles sont abordées relève de la liberté philosophique et de la responsabilité du professeur, pourvu que toutes soient examinées.

II.1.2. Repères.

L’étude méthodique des notions est précisée et enrichie par des repères auxquels le professeur fait référence dans la conduite de son enseignement. Il y a lieu de les formuler explicitement, pour en faciliter l’appropriation par les élèves. Un petit nombre de ceux dont l’usage est le plus constant et le plus formateur est répertorié, par ordre alphabétique, sous le tableau des notions.

Chacun de ces repères présente deux caractéristiques : il s’agit, d’une part, de distinctions lexicales opératoires en philosophie, dont la reconnaissance précise est supposée par la pratique et la mise en forme d’une pensée rigoureuse, et, d’autre part, de distinctions conceptuelles accréditées dans la tradition et, à ce titre, constitutives d’une culture philosophique élémentaire.

Les distinctions ainsi spécifiées présentent un caractère opératoire et, à des degrés variables, transversal, qui permet de les mobiliser progressivement, en relation avec l’examen des notions et l’étude des œuvres, ainsi que dans les divers exercices proposés aux élèves. Par exemple, la distinction cause/fin peut être impliquée dans l’examen de notions telles que l’art et la technique, les échanges, le bonheur, etc., ou la distinction persuader/convaincre peut intervenir dans celui de notions telles que la vérité, la raison et la croyance, la justice et la loi, etc.

C’est aussi pourquoi ces repères ne feront en aucun cas l’objet d’un enseignement séparé ni ne constitueront des parties de cours ; le professeur déterminera à quelles occasions et dans quels contextes il en fera le mieux acquérir par les élèves l’usage pertinent, qui ne saurait se réduire à un apprentissage mécanique de définitions.

Notions :
La culture – L’art et la technique – Les échanges
La vérité – La raison et la croyance – L’expérience
La liberté – La justice et la loi – Le bonheur
Repères :
Absolu / relatif – Abstrait / concret – Cause/fin – Contingent / nécessaire / possible – En fait / en droit – Expliquer/comprendre – Identité / égalité / différence – Légal / légitime – Objectif / subjectif – Obligation / contrainte –Persuader / convaincre – Principe / conséquence – En théorie / en pratique – Universel / général / particulier / singulier

II.2. Auteurs

L’étude de textes choisis dans les œuvres des auteurs majeurs est un élément constitutif de toute culture philosophique, même élémentaire. Il ne s’agit pas, au travers d’un survol historique, de recueillir une information factuelle sur des doctrines ou des courants d’idées, mais bien d’enrichir la réflexion de l’élève sur les problèmes philosophiques par une connaissance directe de leurs formulations et de leurs développements les plus authentiques. C’est pourquoi le professeur ne dissociera pas l’explication et le commentaire de textes du traitement des notions figurant au programme.

L’étude des textes, dont le choix est laissé à l’appréciation du professeur, sera adaptée à l’horaire de la classe. Dans les classes des séries technologiques, elle pourra porter sur un ensemble de textes courts soutenant de façon topique l’analyse d’une notion ou l’examen d’un problème ; elle ne prendra donc pas nécessairement la forme d’une analyse suivie et systématique d’une œuvre. Bien entendu, le professeur peut toujours utiliser dans son enseignement des écrits d’auteurs qui ne figurent pas sur cette liste, y compris en les empruntant à la littérature ou aux sciences humaines.

Platon ; Aristote ; Épicure ; Lucrèce ; Sénèque ; Cicéron ; Épictète ; Marc Aurèle ; Sextus Empiricus ; Plotin ; Augustin ; Averroès ; Anselme ; Thomas d’Aquin ; Guillaume d’Ockham.

Machiavel ; Montaigne ; Bacon ; Hobbes ; Descartes ; Pascal ; Spinoza ; Locke ; Malebranche ; Leibniz ; Vico ; Berkeley ; Condillac ; Montesquieu ; Hume ; Rousseau ; Diderot ; Kant.

Hegel ; Schopenhauer ; Tocqueville ; Comte ; Cournot ; Mill ; Kierkegaard ; Marx ; Nietzsche ; Freud ; Durkheim ; Husserl ; Bergson ; Alain ; Russell ; Bachelard ; Heidegger ; Wittgenstein ; Popper ; Sartre ; Arendt ; Merleau-Ponty ; Levinas ; Foucault.

 

III. Apprentissage de la réflexion philosophique

Les formes de discours écrit les plus appropriées pour évaluer le travail des élèves en philosophie sont la dissertation et l’explication de texte. La préparation et la pratique de ces exercices dans les classes terminales des séries technologiques tiennent compte à la fois de l’horaire imparti à l’enseignement de la discipline et de la culture scolaire commune aux élèves de ces séries.

La dissertation est l’étude méthodique et progressive des diverses dimensions d’une question donnée. A partir d’une première définition de l’intérêt de cette question et de la formulation du ou des problèmes qui s’y trouvent impliqués, l’élève développe une analyse suivie et cohérente correspondant à ces problèmes, analyse étayée d’exemples et mobilisant avec le discernement nécessaire les connaissances et les instruments conceptuels à sa disposition.

L’explication s’attache à dégager les enjeux philosophiques et la démarche caractéristique d’un texte de longueur restreinte. En interrogeant de manière systématique la lettre de ce texte, elle précise le sens et la fonction conceptuelle des termes employés, met en évidence les éléments implicites du propos et décompose les moments de l’argumentation, sans jamais séparer l’analyse formelle d’un souci de compréhension de fond, portant sur le problème traité et sur l’intérêt philosophique de la position construite et assumée par l’auteur.

Dissertation et explication de texte sont deux exercices complets, qui reposent d’abord sur l’acquisition d’un certain nombre de normes générales du travail intellectuel, telles que l’obligation d’exprimer ses idées sous la forme la plus simple et la plus nuancée possible, celle de n’introduire que des termes dont on est en mesure de justifier l’emploi, celle de préciser parmi les sens d’un mot celui qui est pertinent pour le raisonnement que l’on conduit, etc. Les deux exercices permettent de former et de vérifier l’aptitude de l’élève à utiliser les concepts élaborés et les réflexions développées, ainsi qu’à transposer dans un travail philosophique personnel et vivant les connaissances acquises par l’étude des notions et des œuvres. La maîtrise des distinctions contenues dans la liste des repères (II.1.2) aide l’élève à analyser et à comprendre les sujets et les textes proposés à la réflexion et à construire un propos conceptuellement organisé.

Les exigences associées à ces exercices, tels qu’ils sont proposés et enseignés en classe terminale, ne portent donc ni sur des règles purement formelles, ni sur la démonstration d’une culture et d’une capacité intellectuelle hors de portée. Elles se ramènent aux conditions élémentaires de la réflexion, et à la demande faite à l’élève d’assumer de manière personnelle et entière la responsabilité de la construction et du détail de son propos.

La réalisation de cet objectif dans les classes terminales des séries technologiques comporte des conditions spécifiques de réussite.

Les capacités à développer par les élèves sur le plan méthodologique consistent principalement à introduire à un problème, à mener ou analyser un raisonnement, à apprécier la valeur d’un argument, à exposer et discuter une thèse pertinente par rapport à un problème bien défini, à rechercher un exemple illustrant un concept ou une difficulté, à établir ou restituer une transition entre deux idées, à élaborer une conclusion.

La manière dont les élèves s’approprient ces capacités sera régulièrement vérifiée au cours de l’année scolaire, que ce soit sous forme écrite ou sous forme orale, dans le cadre de devoirs complets ou d’exercices correspondant particulièrement à l’une ou l’autre d’entre elles. L’amélioration de l’expression et la maîtrise de la langue y feront l’objet d’une attention constante.

Le professeur doit aussi trouver les médiations et les modes de participation qui permettent aux élèves de comprendre le sens et l’intérêt pour eux des questions traitées. Il est ainsi amené à articuler avec la réflexion philosophique les compétences spécifiques acquises par les élèves. En particulier, il veillera précisément à tenir compte, dans le traitement des notions du programme, dans le choix des textes étudiés et dans la définition des sujets d’exercices proposés aux élèves, de leur orientation dans tel ou tel domaine de compétence technologique.

La liberté pédagogique est d’autant plus nécessaire que la réussite des élèves peut être favorisée par des formes de travail qui ne s’en tiennent pas au seul cadre de la leçon. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de fournir une liste exhaustive des démarches propres à la réflexion philosophique, ni par conséquent une définition limitative des conditions méthodologiques de son exercice. Le professeur s’attachera à en faire percevoir le bénéfice aux élèves, non seulement pour l’amélioration de leurs résultats scolaires, mais plus généralement pour la maîtrise de leur propre pensée et pour son expression la plus claire et convaincante.

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