Hegel. La philosophie comme « affaire sérieuse »

Hegel
Georg Wilhelm Friedrich Hegel 1770 – 1831

« Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une affaire sérieuse. Pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques prévaut la conviction qu’on ne les possède pas sans se donner la peine et sans faire l’effort de les apprendre et de les pratiquer. Si quiconque ayant des yeux et des doigts, à qui on fournit du cuir et un instrument, n’est pas pour cela en mesure de faire des souliers, de nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure nécessaire dans sa raison naturelle – comme si chacun ne possédait pas aussi dans son pied la mesure d’un soulier -. II semble que l’on fait consister proprement la possession de la philosophie dans le manque de connaissances et d’études, et que celles-ci finissent quand la philosophie commence. »

Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, préface, 1807

 

 

 

Aristote. L’étonnement comme origine de la philosophie

Aristote
Aristote 384 – 322 av. JC

C’est, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux spéculations philosophiques. Au début, leur étonnement porta sur les difficultés qui se présentaient les premières à l’esprit ; puis, s’avançant ainsi peu à peu, ils étendirent leur exploration à des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de la Lune, ceux du Soleil et des Étoiles, enfin la genèse de l’Univers. Or apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est reconnaître sa propre ignorance (c’est pourquoi même l’amour des mythes est, en quelque manière amour de la Sagesse, car le mythe est un assemblage de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut bien pour échapper à l’ignorance que les premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, c’est qu’évidemment ils poursuivaient le savoir en vue de la seule connaissance et non pour une fin utilitaire. Et ce qui s’est passé en réalité en fournit la preuve : presque toutes les nécessités de la vie, et les choses qui intéressent son bien-être et son agrément avaient reçu satisfaction, quand on commença à rechercher une discipline de ce genre. Je conclus que, manifestement, nous n’avons en vue, dans notre recherche, aucun intérêt étranger. Mais, de même que nous appelons libre celui qui est à lui-même sa fin et n’existe pas pour un autre, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit une discipline libérale, puisque seule elle est à elle-même sa propre fin.

Aristote, Métaphysique, Livre alpha

Karl Jaspers. Philosopher c’est être en route

Karl Jaspers 1880 - 1969
Karl Jaspers 1880 – 1969

« Le mot grec « philosophie » (philosophos) est formé par opposition à sophos. Il désigne celui qui aime le savoir, par différence avec celui qui, possédant le savoir, se nomme savant. Ce sens persiste encore aujourd’hui : l’essence de la philosophie, c’est la recherche de la vérité, non sa possession, même si elle se trahit elle-même, comme il arrive souvent, jusqu’à dégénérer en dogmatisme, en un savoir mis en formules, définitif, complet, transmissible par l’enseignement. Faire de la philosophie, c’est être en route. Les questions, en philosophie, sont plus essentielles que les réponses, et chaque réponse devient une nouvelle question. »

Karl Jaspers, Introduction à la philosophie

 

 

TL. Comment l’âme en vient-elle à recevoir des idées ?

Texte illustrant le cours sur la perception

Ci-dessous un texte du chef de fil de la philosophie empiriste, fameux texte dans lequel il affirme l’âme à l’origine comme une table rase, « tabula rasa » en latin. Dans le cadre de notre cours, cet extrait est particulièrement intéressant dans le sens où il répond à notre question de savoir comment faut-il penser l’articulation entre perception et jugement. Selon, Locke, la perception, manière de sentir et manière d’accompagner de jugements nos sensations, est à l’origine de nos idées. 
John Locke 1632-1704
John Locke 1632-1704

« Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement. »

John Locke, Essai sur l’entendement

TL et TES. Cours du vendredi 12 octobre 2012

Comme les cours ont été suspendus pour des raisons qui sont indépendantes de notre volonté et qu’il convient de préparer le prochain devoir surveillé qui portera sur un texte, je vous propose le cours du jour prévu en ligne ci-dessous.

Reprenons le texte d’Aristote, extrait de l’Ethique à Nicomaque, et au besoin relire le texte et le cheminement proposé dans le cours du 11 octobre 2012. Nous terminerons ici le travail préparatoire déjà commencé afin de pouvoir rédiger la version définitive de l’étude philosophique de ce texte.

Correction de l’exercice

A quelle thèse s’oppose Aristote dans ce texte ?

On ne voit pas dans ce texte, l’expression d’une thèse à laquelle s’oppose Aristote. Cependant, il semble évident qu’il s’oppose à l’opinion commune, à moins que cela soit l’opinion commune qui se heurte à la thèse d’Aristote. Quelle est cette opinion commune ? On considère comme évident l’idée du bonheur comme la satisfaction du désir, c’est-à-dire le bonheur comme l’équivalent du plaisir. Et pourquoi nous faudrait-il renoncer à des petits plaisirs, même éphémères et superficielles ? Ceux-ci n’agrémentent-ils pas nos vies ? Et pourquoi ne pas profiter de ces plaisirs dès lors qu’ils sont à portée de notre main ?

Que faut-il expliquer ?

Proposons-nous ici d’expliquer quelques concepts importants, bien et plaisir, désir et avantage. Nous donnerons une explication plus complète et détaillée ensuite dans un exemple d’étude rédigée.

  • Le bien est préférable au plaisir

On remarque que le bien, notion importante dans ce texte en ce qu’il est se présente comme terme d’une alternative concernant la vie heureuse et dont l’autre terme est le plaisir, n’est pas défini dans le texte. Tout au plus, Aristote en donne-t-il des exemples sur la fin du texte : « voir, se souvenir, savoir, posséder des vertus ». Aristote privilégie le bien au plaisir dans la quête du bonheur, il le valorise relativement au plaisir. Mais qu’est-ce qui fait selon Aristote cette valeur du bien ? Aristote ne nous le dit pas exactement. Il conviendra alors pour nous d’expliciter ce qu’Aristote suggère simplement. On pourra par exemple travailler cette notion de bien associée plus particulièrement à l’idée de vertu (voir l’opposition du bien au vice et son rapport à la morale), comme désignant une satisfaction profonde et stable par opposition au plaisir. C’est d’ailleurs la distinction du bien au plaisir opérée par l’auteur qui nous permettra d’expliquer cette notion de bien. Nous préciserons aussi, que le bien étant essentiel à l’être humain est ce qui se présente comme un avantage pour lui sur le plaisir.

  • Le plaisir est-il satisfaisant ?

Le plaisir est de manière générale considérée comme la satisfaction d’un désir. La question est de savoir si le plaisir est la satisfaction du désir, tout plaisir est-il pour autant désirable et ne désire-t-on que ce va procurer du plaisir ? Le texte part de l’idée commune selon laquelle nous recherchons le plaisir. Il ne s’agit pour Aristote d’affirmer ou de confirmer cette position qui apparaît évidente mais de la remettre en question, ce qui ne va pas sans susciter un certain étonnement. En effet, dans ce texte, notre philosophe remet en question une opinion plus que courante à propos du bonheur, celle qui consiste à le rechercher dans le plaisir, en cherchant à collectionner les plaisirs. Il opère une critique du plaisir, critique indirecte du plaisir. Celui-ci renvoie à l’idée de plaisir perçu comme satisfaction superficielle, éphémère, illusoire, incomplète. Autrement dit le plaisir s’il est une satisfaction, il s’agit d’une satisfaction insuffisante, d’une satisfaction insatisfaisante.

  • Doit-on renoncer aux plaisirs ?

Pour notre part, on peut ne pas déconsidérer le plaisir comme le fait l’auteur. En effet, le plaisirs, les petits plaisirs ne permettent-ils pas d’agrémenter notre existence, de la ponctuer de contentements. Et même si ces petits plaisirs se présentent comme de petits rien pourrait-on s’en passer pour mener une vie bien austère, stricte et rigide ? D’autre part, rechercher une existence entièrement comblé de bonheur par le bien, n’est-ce pas viser une existence incertaine, de poser une cible hors de portée ? Autrement dit les petits plaisirs ponctuant la vie ne sont-ils pas une forme de bonheur et finalement au fondement d’un bonheur possible ? En fait, il n’est pas du tout certain qu’Aristote soit en désaccord avec ce que nous venons de dire, il ne mène pas dans cet texte une campagne anti-plaisir. Non, il ne faudrait pas conclure trop hâtivement que la morale d’Aristote dans ce texte est de condamner le plaisir, on voit bien qu’il suggère l’idée que le plaisir accompagne le bien, mais on ne recherche pas ce dernier parce qu’il est accompagné de plaisir, mais parce qu’il est le bien, seule chose vraiment désirable. D’ailleurs le bien n’est pas nécessairement accompagné de plaisir, et pourtant il est toujours recherché. En fait, Aristote tient seulement à nous mettre en garde contre ce que l’on peut appeler un hédonisme facile, l’hédonisme étant la recherche du plaisir. Il ne convient pas, selon lui, de chercher tête baissée à satisfaire les désirs comme ils arrivent. Nous savons par exemple que l’adulte ne peut pas se satisfaire de plaisirs d’enfants et que des plaisirs déshonorants ne peuvent être désirables. Les plaisirs qui accompagnent la vertu par exemple ne sont-ils pas préférables, et, de ce fait, cela ne signifie-t-il pas que le bien est ce qui comble davantage plutôt que le plaisir et qu’il est ce qui doit être rechercher pour mener une existence heureuse ?

  • Quel est l’objet du désir ?

Le désir est également une notion importante. On définit généralement un désir comme un état qui se fait ressentir comme un manque, une insatisfaction. Le désir est donc vu comme une tension vers un objet dont on imagine qu’il sera source de satisfaction. On peut prendre, pour illustrer cette définition, l’exemple du besoin telle que la faim : La faim étant le désir de se nourrir est ressentie comme un manque que l’on comblera par l’acte de manger. Cet acte procure du plaisir. Dans ce texte, il est à remarquer qu’Aristote prend le désir dans une extension beaucoup plus large. Quel est l’objet du désir pour lui ? Il définit le désir comme ce qui est à l’origine de la recherche du bonheur, il en est la motivation. Ce n’est pas dit dans le texte, mais sans doute faut-il le savoir, la philosophie d’Aristote est un eudémonisme. C’est-à-dire ? Aristote met le bonheur au centre de l’existence de l’homme, il est son but ultime. Autrement dit, le véritable objet du désir de l’homme pour notre philosophe est le bonheur. Toutes nos actions, de manière directe ou indirecte, sont motivées par ce désir fondamental. Et, si le plaisir est la satisfaction d’un désir, il ne comble cependant pas tout le désir et tous les désirs. En effet, et c’est là d’ailleurs que la philosophie d’Aristote extraite de ce texte est intéressante, c’est que nous pouvons désirer des biens qui ne nous font pas forcément plaisir, de même que nous pouvons ne pas désirer ce qui nous fait plaisir, le bonheur étant la finalité ultime de notre existence. N’est-ce pas être sage et sensé que de savoir et rechercher ce qui est bien, c’est-à-dire de savoir ce qui convient à la vie heureuse, plutôt que de rechercher à tout prix tout plaisir ? Le bien n’est-il pas ce qui nous est avantageux ?

  • L’avantage est accordé au bien plutôt qu’au plaisir

Pour bien comprendre la différence bien / plaisir, sans doute nous faut-il étudier l’exemple donné en début de texte qui compare l’ami et le flatteur, ce que nous ferons ultérieurement, et, saisir ce que sont les avantages dont parle Aristote dans son texte, ce que nous allons faire maintenant. La notion d’avantage est sans aucun doute à relier à celle de bien. On peut même parler de synonymie entre ces deux termes. L’avantage est ce qui caractérise le bien par rapport au plaisir. Alors que le bien nous apporte quelque chose de fondamental, le plaisir, quant à lui, peut se révéler, désavantageux. Le plaisir peut en effet être contraire à nos intérêts humains. Le bien nous comble, il a une capacité de complétude que n’a pas l’éphémère et partiel plaisir.

Après avoir analysé les notions importantes et avoir rendu compte les articulations, il conviendrait d’intégrer ces explications en reprenant l’ordre du texte et travaillant les différents exemples que l’auteur donne.

TL et TES. Quelle place pour le plaisir dans la vie heureuse ?

Préparation du Devoir-Surveillé n°1

Le sujet-texte

Expliquez le texte suivant :

Image« Le fait que l’ami est autre que le flatteur semble montrer clairement que le plaisir n’est pas un bien, ou qu’il y a des plaisirs spécifiquement différents. L’ami, en effet, paraît rechercher notre compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir, et à ce dernier on adresse des reproches et à l’autre des éloges, en raison des fins différentes pour lesquelles ils nous fréquentent. En outre, nul homme ne choisirait de vivre en conservant durant toute son existence l’intelligence d’un petit enfant, même s’il continuait à jouir le plus possible des plaisirs de l’enfance ; nul ne choisirait non plus de ressentir du plaisir en accomplissant un acte particulièrement déshonorant, même s’il ne devait jamais en résulter pour lui de conséquence pénible. Et il y a aussi bien des avantages que nous mettrions tout notre empressement à obtenir, même s’ils ne nous apportaient aucun plaisir, comme voir, se souvenir, savoir, posséder les vertus. Qu’en fait des plaisirs accompagnent nécessairement ces avantages ne fait pour nous aucune différence, puisque nous les choisirions quand bien même ils ne seraient pour nous la source d’aucun plaisir. Qu’ainsi donc le plaisir ne soit pas le bien, ni que tout plaisir soit désirable, c’est là une chose, semble-t-il, bien évidente. »

Aristote, Ethique à Nicomaque

La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

Exercices :

  • Prendre connaissance du texte
  • Procéder au travail préparatoire de l’étude de texte
  • Exploiter le travail préparatoire
Manuscrit du XIIIè siècle
Ethique à Nicomaque

Compte-rendu de la séance avec les TL

Une séance similaire a eu lieu avec la classe de TES

On a commencé par un rappel de la nécessité d’effectuer un travail préparatoire avant de se lancer dans un quelconque commentaire du texte. Ce travail préparatoire est constitué de questions auxquelles il faut tâcher de répondre.  Quel est le thème ? Quelle est la question à laquelle répond l’auteur dans ce texte ? Quelle en est la réponse ? (sa thèse ou l’idée directrice) Comment l’auteur dit-il ce qu’il dit ? (étude de la structure logique et mise en évidence de l’argumentation de l’auteur) A quelle position s’oppose l’auteur ? (Cette thèse opposée peut-être explicite ou implicite) Qu’est-ce qui mérite d’être expliquer ? (parce que c’est essentiel à la compréhension du texte, parce qu’il s’agit de notions importantes qu’il faut définir et rendre compte de leur articulation…) Ces questions sont toujours les mêmes quelque soit le texte à étudier. S’ajoutent à ces questions celles qui s’adressent plus particulièrement au texte donné. Elles sont celles qui permettent d’interroger le texte, de creuser le problème qu’il soulève, d’interpeller l’auteur sur tel ou tel point, sur une difficulté… Ce travail préparatoire s’effectue tant que l’idée d’une version définitive de l’étude n’apparaît pas claire et précise. En temps limité (4h), ce travail préparatoire peut prendre facilement deux heures. Les deux autres heures seront destinées à la rédaction de l’étude détaillée. L’étude rendue doit comporter évidemment une introduction, un développement structuré et d’une conclusion. L’introduction présente le texte en montrant de quoi il est question, quel est le problème qu’il soulève et la position et l’argumentation de l’auteur. Le développement a pour but d’analyser le texte de la manière la plus détaillée possible. Et à la question du plan à adopter dans le développement, nous répondrons par celui du texte ; autrement dit, on tachera de suivre l’ordre des idées de l’auteur. Et la conclusion tâchera de dresser le bilan de l’étude menée. La proposition du jour est de réaliser un travail qui tend vers la version définitive de l’étude de texte. Le texte soumis à l’étude est un extrait de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote.

La première lecture nous a conduit à lister des quelques mots semblant ressortir du texte et à quelques questions. Ces mots sont « ami », « plaisir », « flatteur », « enfance ». Nous remarquons que ces mots ne joue pas le même rôle. Et les questions : « qu’est-ce qu’un ami ? » ; « Le plaisir est-il indispensable ? » ; « Est-il de l’ordre du besoin ? »

« Ami », « flatteur » et « enfance » se réfèrent chacun à une réalité concrète, alors que « plaisir » est plutôt de l’ordre de l’idée abstraite. L’idée abstraite doit nous permettre en principe de penser la réalité concrète. La conceptualisation philosophique est construction d’idées abstraites articulées pour penser le concret, ce sans quoi la philosophie risquerait de se retrouver complètement déconnectée de la réalité. Ceci étant dit, on comprend que, dans ce texte d’Aristote, le mot plaisir doit en principe permettre de penser une idée et les mots amis, flatteur et enfance relever de l’exemple. Les lectures suivantes devront pouvoir certainement compléter la liste des mots et préciser cette distinction abstrait / concret en se posant la question : qu’est-ce qui relève de l’idée et qu’est-ce qui relève de l’exemple ? quel est le lien entre l’idée et l’exemple ?

En ce qui concerne les quelques questions qui sont apparues lors de cette première lecture, la première « qu’est-ce qu’un ami ? » est vite abandonnée comme étant la question du texte. En effet, sans vouloir préjuger à l’avance de sa pertinence par ailleurs, ni d’ailleurs dans ce texte, la question importe peu ici, cependant la position d’Aristote au sujet de l’amitié devra être étudiée. Pourquoi parle-t-il de l’amitié ? qu’est-ce qu’il en dit ? dans quel but ? D’ailleurs, il conviendra de se poser les mêmes questions par rapport au flatteur et à l’amitié. En revanche, on peut dors et déjà retenir l’autre questions, à savoir, « Le plaisir est-il indispensable ? est-il de l’ordre du besoin ? »  Cette question a le mérite de nous plonger déjà au coeur même du texte. Nous ne savons pas encore cependant, s’il s’agit de la question du texte.  Il est à remarquer que tout ce que nous pouvons dire à l’occasion de cette exploration du texte et lors de la constitution préparatoire à l’étude de texte reste provisoire et demande à être vérifié, travaillé, approfondie. L’important est de s’accrocher sur ce que l’on pense avoir compris et de manière concentrique d’élargir l’exploration du texte, en déplaçant si l’on peut dire le projecteur. Il faut donc poursuivre la lecture, approfondir notre compréhension.

Les lectures suivantes ont permis d’élargir la liste des mots importants et surtout des associations importantes : Même si le mot bonheur n’apparaît pas dans ce texte on voit bien que l’idée de bonheur est bien présente. Associé à « existence » le bonheur permet d’évoquer l’idée d’existence heureuse. La question de la place du plaisir dans l’existence heureuse survient. Le bonheur semble être l’enjeu du texte, un objectif d’Aristote dans ce texte. Il conviendra certainement de préciser ce point. Face à cette question, l’opinion commune répondrait, semble-t-il, que le plaisir est indispensable : pas de bonheur sans plaisir. Le plaisir est constitutif du bonheur. La question sera de savoir ce qu’il en est de la position d’Aristote à ce propos.

En outre, on a remarqué qu’Aristote dans ce texte opère souvent par mise en rapport. Par exemple, il met en rapport l’ami et le flatteur parallèlement au rapport bien et plaisir. Au passage remarquons ce terme de « bien » qui est capital dans ce texte ; il faudra être en mesure de bien le définir. Il est à remarquer qu’Aristote s’oppose à l’opinion commune évoquée précédemment que seul le plaisir est désirable et permet le bonheur. Il soutient au contraire l’idée selon laquelle le bien est ce qui doit être recherché, le bien étant supérieur au plaisir. « Le plaisir n’est pas un bien » dit-il. Il le montre en disant : « L’ami, en effet, paraît rechercher notre compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir ».

Ces premières lectures ont permis une première approche du texte. Il nous semble avoir une bonne intuition du texte. Il nous faut maintenant aller plus en profondeur en tentant de rendre compte du thème, du problème  et de la thèse.

La thèse centrale semble être le plaisir mais on voit bien qu’il est aussi question du bien et du désir. Pour être plus précis, disons que ce texte a pour objectif de démontrer que le bien-être de l’homme, son bonheur, celui qui doit être recherché, visé, désiré, est à comprendre non pas comme plaisir mais comme bien. Reformulons, le texte parle d’un bonheur entendu non comme la satisfaction du désir mais comme la quête du bien moral. Finalement, le rapport entre le bonheur et la morale est la thématique générale du texte d’Aristote. Ainsi, la question à laquelle semble répondre l’auteur est la suivante : comment être heureux ? Et pour donner à cette question tout son caractère problématique, reformulons-là sous la forme d’une alternative : faut-il satisfaire ses désirs ou bien chercher à accomplir le bien pour être heureux ?

 Il apparaît qu’Aristote cherche à distinguer plaisir et bien dans le seul but de critiquer la recherche superficielle du plaisir et ainsi de proposer un modèle de bonheur bien plus abouti. A la fin de l’extrait, il dit que si le plaisir n’est pas le bien, ni que tout plaisir est désirable, « c’est là une chose bien évidente ». Pour notre philosophe, la recherche du plaisir ne comble pas notre désir d’être heureux et le bonheur consiste plutôt à rechercher le bien. Le bien est, selon lui, seul capable de nous satisfaire de manière autant stable que complète, à la différence du plaisir très ponctuel, superficiel, changeant et éphémère. Le bien sied donc bien mieux au bonheur que le plaisir. Il s’agira pour nous de savoir comment il faut comprendre ce rapport entre le bien et le plaisir et leur lien respectif avec le bonheur. En fait tout le problème que soulève Aristote dans cet extrait est de savoir si le seul plaisir peut nous rendre heureux ou bien si l’on doit le chercher ailleurs,dans la recherche du bien. Mais ce bien, de quoi s’agit-il au juste ? et d’autre part, si le plaisir n’est pas le bonheur, alors quelle place doit-on lui accorder dans notre existence ? Devons-nous tout bonnement y renoncer ? Devons-nous sacrifier tout tendance vers le plaisir pour s’adonner à la seule recherche du bien ? Toutes ces questions permettent de creuser le problème et de bien comprendre la position de l’auteur en vue de l’expliquer.

Maintenant que nous pensons avoir compris l’idée générale d’Aristote dans cet extrait, cherchons à savoir comment il dit ce qu’il dit, à mettre en évidence son argumentation. Pour ce faire, nous allons procéder à l’étude de la structure logique.

On peut distinguer trois parties dans ce texte : Dans un premier temps, [« Le fait que l’ami est autre que le flatteur => et pour lesquelles ils nous fréquentent« ] Aristote annonce sa thèse en posant la distinction bien / plaisir. Pour ce faire, il utilise un exemple, celui de l’ami qui se différencie du flatteur. Alors que l’ami recherche notre compagnie pour notre bien, le flatteur c’est pour bien d’autre raison, en l’occurrence, pour le plaisir. Par ce procédé, on comprend déjà que le bien est préférable au plaisir. Dans un deuxième temps, [« En outre, nul homme ne choisirait => conséquence pénible« .] il met en évidence la possibilité de ne pas rechercher le plaisir. Pour ce faire, il utilise un raisonnement proche du raisonnement par l’absurde : qui voudrait du plaisir d’enfant ou du plaisir déshonorant ? Il est donc des plaisirs qui ne sont pas désirables. Dans un troisième temps, [« Et il y a aussi bien des avantages => bien évidente« ] il met cette fois-ci en évidence la possibilité de désirer autre chose que le plaisir. Cet autre chose étant le bien. Pour ce faire, Aristote prend des exemples de biens voir, se souvenir, savoir, posséder des vertus. Et quand bien même ces biens ne nous procureraient aucun plaisir il nous sont bien  plus avantageux. Ce texte se termine (dernière phrase) par cette idée considérée désormais comme une évidence que des biens sont plus désirables que le plaisir.

La séance pris fin avec des consignes pour terminer le travail préparatoire :

  • A quelle thèse Aristote s’oppose-t-il dans ce texte ?
  • Qu’est-ce qui, dans ce texte, doit être expliqué ? 

Pascal. L’homme le plus faible de la nature

Blaise Pascal 1623 – 1662

L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée. C’est de là qu’il faut nous relever et non de l’espace et de la durée, que nous ne saurions remplir. Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale. Ce n’est point de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais c’est du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point; par la pensée, je le comprends.

Blaise Pascal, Pensées

Locke. Au commencement, notre âme comme une table rase

John Locke 1632-1704

Supposons donc qu’au commencement l’âme est ce qu’on appelle une table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle qu’elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-elle cette prodigieuse quantité que l’imagination de l’homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D’où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela je réponds en un mot, de l’expérience : c’est là le fondement de toutes nos connaissances, et c’est de là qu’elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes, fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d’où découlent toutes les idées que nous avons, ou que nous pouvons avoir naturellement.

John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Livre II, Chap. I, § 2

L’étourderie d’Epiméthée

L’homme est le plus démuni de tous les animaux. C’est ce que pensaient les sophistes et c’est ce que semble suggérer le mythe d’Epiméthée, dont nous en trouvons l’expression dans le Protagoras de Platon.

Atlas de la mythologie, « Épiméthée », Éditions Atlas, UE, 2003

« Il fut jadis un temps où les dieux existaient, mais non les espèces mortelles. Quand le temps que le destin avait assigné à leur création fut venu, les dieux les façonnèrent dans les entrailles de la terre d’un mélange de terre et de feu et des éléments qui s’allient au feu et à la terre.

Quand le moment de les amener à la lumière approcha, ils chargèrent Prométhée et Epiméthée de les pourvoir et d’attribuer à chacun des qualités appropriées. Mais Epiméthée demanda à Prométhée de lui laisser faire seul le partage. « Quand je l’aurai fini, dit-il, tu viendras l’examiner ». Sa demande accordée il fit le partage, et, en le faisant, il attribua aux uns la force sans la vitesse, aux autres la vitesse sans la force ; il donna des armes à ceux-ci, les refusa à ceux-là, mais il imagina pour eux d’autres moyens de conservation ; car à ceux d’entre eux qu’il logeait dans un corps de petite taille, il donna des ailes pour fuir ou un refuge souterrain ; pour ceux qui avaient l’avantage d’une grande taille, leur grandeur suffit à les conserver, et il appliqua ce procédé de compensation à tous les animaux. Ces mesures de précaution étaient destinées à prévenir la disparition des races. Mais quand il leur eut fourni les moyens d’échapper à une destruction mutuelle, il voulut les aider à supporter les saisons de Zeus ; il imagina pour cela de les revêtir de poils épais et de peaux serrées, suffisantes pour les garantir du froid, capables aussi de les protéger contre la chaleur et destinées enfin à servir, pour le temps du sommeil, de couvertures naturelles, propres à chacun d’eux ; il leur donna en outre comme chaussures, soit des sabots de cornes, soit des peaux calleuses et dépourvues de sang, ensuite il leur fournit des aliments variés suivant les espèces, aux uns l’herbe du sol, aux autres les fruits des arbres, aux autres des racines ; à quelques-uns mêmes il donna d’autres animaux à manger ; mais il limita leur fécondité et multiplia celle de leur victime pour assurer le salut de la race.

Cependant Epiméthée, qui n’était pas très réfléchi avait sans y prendre garde dépensé pour les animaux toutes les facultés dont il disposait et il lui restait la race humaine à pourvoir, et il ne savait que faire. »

Platon, Protagoras, traduction Chambry

TSTI2d. Qu’est-ce qui caractérise l’homme ? Comment le définir ?

Maurice Merleau-Ponty 1906-1961

« Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler table une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions[1].

Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque[2] qui pourraient servir à définir l’homme. »

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la Perception, 1945.

Questions de compréhension

1)      Expliquez les sens des termes « naturels » et « conventionnel ».

2)      Expliquez l’affirmation suivante : « Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. » A quelle conception répandue s’oppose ici Merleau-Ponty » ?

3)      Expliquez l’affirmation : « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme ». Comment ces deux aspects peuvent-ils être indissociables dans toute personne ? Vous proposerez deux exemples précis pour illustrer votre réponse.

4)      En quoi consistent ce « détournement » et cet « échappement » qui pourrait définir l’homme ?

5)      Dégagez, en deux ou trois lignes, l’idée principale de ce texte

Questions de réflexion

6)      Pour quelle raison « la paternité » est-elle une « institution » ? Donnez d’autres exemples de processus naturels qui sont également organisés selon des « conventions ».

7)      Quel est ce « monde culturel » évoqué par l’auteur ? De quoi est-il constitué ? Comment est-il transmis de génération en génération ?


[1] Règles sociales et organisation des rapports humains établies par des hommes.

[2] Ce qui possède plusieurs significations ; ici, le « génie » de l’homme consiste à donner un sens à des éléments biologiques.