Piaget. La nécessaire décentration du sujet

Jean Piaget
Jean Piaget 1896 – 1980

« Certes, quand la physique travaille sur des objets à notre échelle courante d’observations, on peut considérer son objet comme relativement indépendant du sujet. Il est vrai que cet objet n’est alors connu que grâce à des perceptions, qui comportent un aspect subjectif, et grâce à des calculs ou à une structuration métrique ou logico-mathématique, qui relèvent eux aussi d’activités du sujet. Mais il convient dès l’abord de distinguer le sujet individuel, centré sur ses organes des sens ou sur l’action propre, donc le « moi » ou sujet égocentrique source de déformations ou illusions possibles de nature « subjective » en ce premier sens du terme ; et le sujet décentré qui coordonne ses actions entre elles et avec celles d’autrui, qui mesure, calcule et déduit de façon vérifiable par chacun et dont les activités épistémiques sont donc communes à tous les sujets (…). Or, toute l’histoire de la physique est celle d’une décentralisation qui a réduit au minimum les déformations dues au sujet égocentrique pour la subordonner au maximum aux lois du sujet épistémique, ce qui revient à dire que l’objectivité est devenue possible et que l’objet a été rendu relativement indépendant des sujets. »

Piaget, Epistémologie des Sciences de l’homme

 

Alain. Socrate comme modèle de la modestie du sage

Alain
Alain 1858 -1951

« Ce qui est subjectif, c’est ce qui est isolé dans le sujet pensant, dans le Moi, et à quoi les semblables ne font pas écho. Nous passons notre temps à établir la communication entre nous et les autres, ce qui est saisir l’objectif. On voit que, dans un sens purifié, l’objectif désigne ce qui est commun à tous les sujets. L’objectif n’est donc pas nécessairement un objet du monde. Le plus objectif en nos connaissances, est cet esprit, commun qui s’est présenté si naturellement comme le soutien de nos pensées. Les logarithmes, déjà nommés, sont un exemple de pensées objectives, et non pas subjectives, quoi, qu’elles n’existent pas hors des sujets pensants. Souvent on ramène l’opposition entre le subjectif et l’objectif à la connaissance des choses. L’objectif est alors la chose que tout observateur rencontre la même ; c’est la science communicable et aussi la démontrable ; exemple, le calcul. Ce qui fait que nous manquons l’objectif, c’est que nous sommes trop attachés à nos sensations, à notre point de vue. Le point de vue appartient à toutes nos connaissances, et il est clair que chacun de nous à chaque moment, observe d’un poste qui n’est qu’à lui. De plus il y a en nous des affections vives ou passions, qui nous donnent besoin de savoir et d’instruire les autres, et qui font que nous oublions le point de vue et la sensation, c’est-à-dire toutes les réserves qu’il est sage de faire lorsque l’on affirme quelque chose. Chacun se vante d’être objectif, de parler objectivement. Mais aucun philosophe (ami de la sagesse) ne doit se croire lui-même sans réserve, et les conversations de Socrate, que Platon nous a conservées, nous donnent le modèle de la modestie du sage, qui se sait sujet à l’erreur et à la prévention. »

Alain, Eléments de philosophie

 

Camus. Une prise de conscience naît d’une révolte

Camus
Albert Camus 1913 – 1960

« Si confusément que ce soit, une prise de conscience naît du mouvement de révolte : la perception, soudain éclatante, qu’il y a dans l’homme quelque chose à quoi l’homme peut s’identifier, fût-ce pour un temps. Cette identification jusqu’ici n’était pas sentie réellement. Toutes les exactions antérieures au mouvement d’insurrection, l’esclave les souffrait. Souvent même, il avait reçu sans réagir des ordres plus révoltants que celui qui déclenche son refus. Il y apportait de la patience, les rejetant peut-être en lui-même, mais, puisqu’il se taisait, plus soucieux de son intérêt immédiat que conscient encore de son droit. Avec la perte de la patience, avec l’impatience, commence au contraire un mouvement qui peut s’étendre à tout ce qui, auparavant, était accepté. Cet élan est presque toujours rétroactif. L’esclave, à l’instant où il rejette l’ordre humiliant de son supérieur, rejette en même temps l’état d’esclave lui-même. Le mouvement de révolte le porte plus loin qu’il n’était dans le simple refus. Il dépasse même la limite qu’il fixait à son adversaire, demandant maintenant à être traité en égal. Ce qui était d’abord une résistance irréductible de l’homme devient l’homme tout entier qui s’identifie à elle et s’y résume. Cette part de lui-même qu’il voulait faire respecter, il la met alors au-dessus du reste et la proclame préférable à tout, même à la vie. Elle devient pour lui le bien suprême. »

Camus, L’Homme révolté

 

Hegel. D’où vient l’universalité du besoin d’art ?

Hegel
Hegel 1770 – 1831

« L’universalité du besoin d’art ne tient pas à autre chose qu’au fait que l’homme est un être pensant et doué de conscience. En tant que doué de conscience, l’homme doit se placer en face de ce qu’il est, de ce qu’il est d’une façon générale, et en faire un objet pour soi. Les choses de la nature se contentent d’être, elles sont simples, ne sont qu’une fois, mais l’homme, en tant que conscience, se dédouble : il est une fois, mais il est pour lui-même. Il chasse devant lui ce qu’il est ; il se contemple, se représente lui-même. Il faut donc chercher le besoin général qui provoque une œuvre d’art dans la pensée de l’homme, puisque l’œuvre d’art est un moyen à l’aide duquel l’homme extériorise ce qu’il est.

Cette conscience de lui-même, l’homme l’acquiert de deux manières : théoriquement, en prenant conscience de ce qu’il est intérieurement, de tous les mouvements de son âme, de toutes les nuances de ses sentiments, en cherchant à se représenter à lui-même, tel qu’il se découvre par la pensée, et à se reconnaître dans cette représentation qu’il offre à ses propres yeux. Mais l’homme est également engagé dans des rapports pratiques avec le monde extérieur, et de ces rapports naît également le besoin de transformer ce monde, comme lui-même, dans la mesure où il en fait partie, en lui imprimant son cachet personnel. Et il le fait, pour encore se reconnaître lui-même dans la forme des choses, pour jouir de lui-même comme d’une réalité extérieure. On saisit déjà cette tendance dans les premières impulsions de l’enfant : il veut voir des choses dont il soit lui-même l’auteur, et s’il lance des pierres dans l’eau, c’est pour voir ces cercles qui se forment et qui sont son œuvre dans laquelle il retrouve comme un reflet de lui-même. Ceci s’observe dans de multiples occasions et sous les formes les plus diverses, jusqu’à cette sorte de reproduction de soi-même qu’est une œuvre d’art. »

Hegel, Introduction à l’esthétique

 

Kant. « Posséder le Je dans sa propre représentation »

Le texte de Kant ci-dessous, lu en cours, montre une voie par laquelle l’être humain devient un sujet. Ici, le sujet définit sa fonction d’une certaine manière en entretenant avec lui-même un rapport. Kant affirme que le sujet peut se concevoir comme unique et identique à lui-même. En effet, d’une part, nul ne peut être lui à sa place, et d’autre part, il ne devient pas quelqu’un d’autre. Pour bien comprendre l’extrait de l’Anthropologie du point de vue pragmatique, il faut prendre garde à la confusion qui prendrait l’acte de penser de la prise de conscience de soi avec les mots « je » ou « moi » pour se désigner soi-même.

Kant, le philosophe de Koenigsberg
Emmanuel Kant 1724 – 1804

« Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans sa pensée; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l’entendement. 

Il faut remarquer que l’enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense. »

Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, §1.

Eléments pour une analyse du texte de Kant

Comment l’homme devient-il sujet ?

Cet extrait de l’Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant est une analyse de l’importance qu’a le pouvoir de dire « je » pour le sujet humain que nous propose ici Kant. En effet pour Kant ce pouvoir élève l’homme au dessus de tous les autres êtres vivants, il est à l’origine de la supériorité et de la dignité de l’homme, c’est par la conscience que l’homme devient un être moral, autrement dit un être capable de se penser lui-même et donc de s’interroger sur la nature et la valeur de ses actes.

En quoi consiste le pouvoir de se penser soi-même ?

Dans un premier temps (1°§) Kant affirme cette supériorité de l’homme sur les autres êtres vivants « Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. ». Par ce pouvoir l’homme se constitue comme sujet pensant capable de se saisir soi-même par un retour sur soi de la pensée. « Posséder le Je dans sa représentation », cette expression désigne la capacité qu’a l’homme de se penser lui-même, de se constituer à la fois comme sujet et comme objet de ses propres pensées, littéralement de se rendre présent à lui-même.

La question à laquelle nous devons maintenant répondre est donc maintenant celle de savoir pourquoi, selon Kant « ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre » ? Kant nous dit que c’est par ce pouvoir que l’homme devient « une personne », ce terme ne peut en effet désigner que l’homme, dans la mesure où il définit un être morale qui tire sa moralité du fait qu’il reste le même quels que soient les changements qu’il puisse subir au cours de son existence. Être une personne, cela signifie former une unité au-delà de la diversité des états psychologiques du sujet, c’est être un sujet conscient et un, sujet qui reste le même dans le temps du fait même de cette conscience.

« Grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne » L’homme est donc un être qui, parce qu’il est en mesure de se penser lui-même, reste toujours lui-même, quoiqu’il fasse ou qu’il pense, c’est pourquoi l’on considérera d’ailleurs qu’il est toujours responsable des actes qu’il a commis, même si ceux-ci sont passés et se sont produits à une époque durant laquelle le sujet se trouvait dans des conditions matérielles et psychologiques différentes ; peut-être ne le jugera-t-on pas de la même façon, mais il sera toujours considéré comme étant en mesure de répondre de ses actes (ce qui est d’ailleurs le sens littéral de la notion de responsabilité).

Cette unité de la personne humaine résultant de la conscience de soi, explique que Kant puisse affirmer de l’homme qu’il est : « un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ». En effet, l’homme n’est ni une chose, ni un animal, c’est un être vivant, mais qui, à la différence de l’animal, possède une dignité, c’est-à-dire qu’il ne se satisfait simplement de la seule satisfaction des besoins que lui impose la nature, il se doit de donner un sens et une valeur à son existence en poursuivant d’autres buts, en cherchant à réaliser des valeurs morales qui lui sont dictées par sa raison (générosité, courage, justice) et qu’il doit respecter lorsqu’il agit en étant le seul sujet de ses actions.

Certes, tous les hommes n’agissent pas conformément à ces valeurs, peut-être même sommes nous le plus souvent tentés d’agir en nous laissant dominer par nos intérêts égoïstes plutôt que par le respect des devoirs que nous dicte notre conscience ; mais n’est-ce pas précisément notre conscience qui nous donne la possibilité de faire le choix de résister à ces tentations, qui nous donne la liberté d’agir moralement ou non ? Et c’est précisément de cette liberté et des choix qu’elle rend possible que naît notre mérite qui fait notre dignité, ou au contraire si nous nous laissons dominer par des impulsions irrationnelles et déraisonnables, elle nous rend fautifs face à l’humanité qui est en nous et que nous n’avons pas respectée.

C’est la raison pour laquelle l’homme n’est pas une chose « comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise », c’est parce que la conscience lui donne ce pouvoir de dire je, cette capacité de se penser soi-même qui fait de lui un être libre et responsable et non un simple objet mû par les lois de la mécanique et la puissance aveugle de l’instinct, que l’homme est une personne, un sujet moral.

Cette capacité, tout homme la possède nous dit Kant, « et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans sa pensée; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l’entendement. »

Certaines langues peuvent ne pas utiliser un terme particulier pour dire je (lorsque par exemple la conjugaison permet de désigner l’auteur de l’action sans qu’il soit nécessaire d’adjoindre au verbe un pronom personnel), cependant le simple fait de pouvoir parler à la première personne est la preuve même que ce que nous appelons le «je» est présent dans l’esprit de tout homme.

« Car cette faculté (de penser) est l’entendement. », ce pouvoir désigne en effet la capacité qu’a l’homme de penser et de se penser et le mot «je» n’est qu’un terme commode pour désigner cette capacité. Cette capacité, bien qu’inscrite dans la nature de l’homme, n’apparaît pas spontanément dès sa naissance, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’enfant même lorsqu’il commence à parler n’est pas en mesure de s’exprimer à la première personne.

Genèse et naissance de la conscience de soi

Le pouvoir que possède le sujet humain de se penser lui-même n’existe initialement que sous forme de potentialité, il est présent en germe dans l’esprit de l’enfant et ne s’éveille que grâce aux stimulations du monde extérieur, c’est pourquoi : « l’enfant qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je »

En effet, comme le fait remarquer Kant, « avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) », autrement dit, même lorsqu’il sait parler, il ne se perçoit tout d’abord que comme un objet, cela signifie d’ailleurs que le fait de dire «je» ne provient pas seulement d’un progrès dans la maîtrise du langage, mais également d’un progrès sur le plan existentiel et psychologique.

Cette acquisition plutôt tardive (cet événement apparaît généralement vers l’âge de trois ans), se manifeste comme une sorte d’éveil du sujet à lui-même, éveil qui le fait entrer dans un univers nouveau duquel il ne pourra plus sortir, dans le mesure où il fait un saut qualitatif irréversible en ce qui concerne la perception qu’il a de lui-même et de sa place dans le monde.

« Et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. » Ce passage à la conscience de soi est donc décisif dans la mesure où l’enfant devient réellement humain, il accède ainsi à une perception de soi qui n’est plus immédiate et simplement sensible, mais qui se situe au niveau supérieur de la représentation par la pensée. Ainsi le sujet peut prendre une distance suffisante par rapport à lui-même afin de juger de la portée de ses actes et de ses pensées, ce qui fait de lui un sujet moral, ce qui définit son humanité.

La conscience de soi comme la condition de la liberté et donc de la dignité morale de la personne humaine

Pour conclure, disons que l’intérêt de ce texte est donc de montrer en quoi la conscience de soi est pour l’homme la condition de sa liberté et donc de sa dignité morale, « Posséder le Je dans sa représentation » c’est pouvoir se penser soi-même, prendre un recul par rapport à soi qui donne à l’homme la capacité de choisir, et ce pouvoir de choix fait que nous sommes nécessairement responsables de nos actes, que nous sommes en mesure d’échapper au déterminisme naturel pour poursuivre des fins dont seul l’homme peut reconnaître la valeur.

 

TL. S’affranchir de la toute-puissance de Dieu pour affirmer sa liberté ?

Rédaction d’Aurélie E, TL, à partir du cours du jour

La question est pour nous de savoir en quel sens l’homme peut-il être dit sujet. Est-il sujet libre, lui-même auteur de ses pensées et de ses actes, ou bien au contraire, est-il assujetti, contraint par des forces ou des déterminismes qui le dépassent ? Nous avons vu que l’on peut penser l’homme assujetti à la toute-puissance divine. Et si nous avons évoqué cette possibilité, c’est parce que c’est une position que l’on retrouve dans les différentes époques et les différentes cultures. Mais qu’en est-il exactement ? L’homme est-il réellement soumis à cette toute-puissance ? Cette position selon laquelle l’homme y serait assujetti n’a-t-elle pas de sens seulement si l’on n’est pas croyant. ? D’un certain point de vue, ne peut-on pas dire que Dieu assujettit par sa puissance ceux qui y croient ? Ainsi, inversement l’athéisme, en tant que négation de Dieu, n’est-il pas, d’une certaine manière affirmation de la liberté humaine ? Mais celle-ci ne se heurte-t-elle pas au déterminisme de la nature ? Qu’en est-il exactement ?

Etre libre sans Dieu ?

extrait de la couverture du livre de Frédéric Allouche

On peut être athée, on peut ne pas croire en Dieu, on peut le nier. Sartre, par exemple, niait l’existence de Dieu. Selon lui, Dieu est en quelque sorte un verrou qui nous empêche d’être libre. Selon Sartre [1], il vaut mieux nier Dieu que d’accepter l’idée du regard d’un Dieu sans cesse posé sur moi, autrement dit, mieux vaut choisir l’athéisme plutôt que la croyance en un Dieu insupportablement voyeur, croyance qui nie la liberté humaine. En effet, si Dieu est cet être inquisiteur, scrutant sans cesse nos pensées et nos actes, comment peut-on, dans ces conditions, penser la liberté humaine. Dieu, omniscient, omniprésent et omnipotent pèse sur ses sujets. En niant Dieu, on libère l’homme du joug divin, de ce regard sur lui en permanence cesse présent et pressant, de ce poids qui l’entrave. Ainsi, si Dieu n’existe pas ou si nous ne croyons pas en Dieu, l’assujettissement de l’homme à la toute-puissance divine n’a plus de sens. Donc, nier Dieu serait donc ainsi affirmer la liberté de l’homme. D’ailleurs, Dieu ne dépend-il pas en quelque sorte de la liberté humaine d’affirmer ou de nier son existence ? L’existence ou la non-existence de Dieu ne dépend-t-elle pas de la conscience qui l’affirme ou qui l’a nie? Que devient Dieu si l’on décide en conscience de pas y croire ? Ainsi, peut-on dire que l’absence de Dieu correspond à la liberté humaine, e d’autres termes si « Dieu n’existe pas alors tout est permis » [2]. Une remarque cependant ; nier revient-il à faire ce que l’on veut comme on veut quand on veut ? Pour le philosophe existentialiste, l’idée de considérer que Dieu n’existe pas ne doit pas pour autant conduire à affirmer l’irresponsabilité de l’homme, la liberté du faire n’importe quoi. Tout n’est pas permis, seulement il conviendra d’assumer pleinement ses choix et ses actes. Telle est donc l’objection qu’il est possible de poser à l’idée affirmant la tout-puissance transcendante de Dieu sur l’homme. Mais cette objection tient-elle vraiment ? S’affirmer comme sujet libre niant Dieu suffit-il pour s’affranchir de tout asservissement ?

L’athéisme rend-il l’homme libre ?

Déjà, il ne suffit pas de dire que Dieu n’existe pas pour qu’il n’existe pas. Ensuite, cette négation de  Dieu ne rend pas l’homme plus libre. Ce n’est pas en mettant en doute la toute-puissance de Dieu, ou en la niant que l’on affirme pour autant la toute-puissance de l’homme. En effet, on ne devient pas plus fort et on reste cet être fragile, décrit par le philosophe Pascal [3]. On ne devient pas moins sujet aux maladies, au vieillissement, moins mortel etc. Donc, finalement croire ou non en Dieu et à sa toute-puissance importe peu quant à la sujétion de l’homme. Donc, l’athéisme change-t-il vraiment, quelque chose à propos de la condition humaine ? De sa condition d’être misérable ? L’homme n’est-il pas soumis à la nature ? Quand bien même, on pourrait révoquer en doute la toute-puissance divine, pourrait-on en faire de même en ce qui concerne la faiblesse et la petitesse de l’homme, écrasé sous le poids des déterminismes de la nature ?

Le besoin de religion

Georges de La Tour La madeleine à la veilleuse

D’autre part, on constate qu’il n’y a pas de culture sans religion ou sans religiosité. Ainsi, quand bien même on ne croirait pas en Dieu, on ne peut cependant pas ignorer l’existence du fait religieux, son universalité. La société la plus laïque n’est pas exempte de religiosité. La question est de savoir comment expliquer l’universalité du phénomène religieux ? A quoi se raccroche cette religiosité ? Certainement à un besoin ! Et d’où vient ce besoin ? Ce besoin est lié à la condition humaine de l’homme. Confronté à toute sorte de choses qui le dépassent, l’homme est  en attente de réponses, de signesConfronté à la mort, la maladie, la souffrance, la religion lui apporte des réponses, des espoirs, du sens, des repères à une vie souvent dure pour lui. La religion est un appui.

Universalité du phénomène religieux

La religion offre à l’homme, d’une part, des réponses, des espoirs, des espérances, du sens, des repères, et d’autre part, des rites, des pratiques qui rassurent et donnent force à l’individu par la participation à une communauté, une Eglise [4]. Du coup, l’homme s’accroche à tous ces éléments et en devient grandement dépendant. On ne peut donc ignorer le poids du religieux. L’homme est assurément assujetti à la religion qui est omniprésente. Et si ce n’est à la religion institué, c’est dans ses formes les plus insidieuses, la superstition ou les sectes. On pourra peut-être nous objecter le glissement que nous venons d’opérer de Dieu à la religion et de la religion à la superstition et aux dérives sectaires. Ceci étant dit, cela ne change rien à l’assujettissement de l’homme, soit à la toute-puissance de Dieu (si l’on y croit) soit au religieux ou religiosité, on y échappe pas, qu’on le veuille ou non.

La religion comme « opium du peuple »

Quant à la religion, elle permet d’accepter notre condition misérable avec un discours rassurant et apaisant.  Comment, dans ces conditions, ne pas s’y laisser bercer.

Karl Marx – Städtmuseum de Trèves « La religion est l’opium du peuple »

Le philosophe, Marx [5], par exemple, disait que « la religion est comme l’opium » elle endort le peuple, l’esprit tourné vers la religion il ne se rend pas compte des soucis de la société. La religion lui permet de faire accepter comme une chance ce qui est misère, « heureux les pauvres… » mais en attendant, les pauvres demeurent pauvres et exploités et d’autres profitent des richesses d’un partage très inéquitable. Ceci étant dit, évoquons maintenant l’assujettissement de l’homme aux forces et aux déterminismes de la nature.

Dieu ou pas, religion ou pas, l’homme soumis aux déterminismes de la nature

On peut définir le déterminisme par l’expression selon laquelle les mêmes causent produisent les même effets dans les même circonstances. Tout dans la nature est soumis au déterminisme de la nature. Ainsi l’homme, tout comme les autres choses et êtres vivants, subit la loi des choses et des êtres, les lois de la nature. Il ne peut pas ne pas y être soumis. Il n’est pas un « empire dans un empire », il ne fait pas exception. Il est sous le joug de la nécessité. L’homme est fragile, faible il ne peut lutter contre tout ce déterminisme. Il est d’ailleurs le moins armé de tous les animaux. Dans l’Antiquité grecque, les Sophistes [6] pensaient cette idée que l’homme est le plus démuni de tous les animaux.  Au XVIIème siècle, les philosophes empiristes, avec Locke [7] en tête, pensaient que l’homme était « une table rase », « une page blanche vide de tout caractères ». Aujourd’hui, les neurosciences [8] affirment que lorsque enfant naît ces connections nerveuses ne sont pas achevées.

Rédaction d’Aurélie, relu par le professeur

Notes

[1] Sartre disait que « on n’a jamais été aussi libre sous l’occupation » Cette phrase signifie que peut importe les situations que nous vivons  nos somme entièrement libre d’être ce que l’on veut.

[2] Dostoïevski, Les frères Karamasov

[3] Pascal, Les pensées, lire le texte http://cyberphilo.net/2012/10/02/pascal-lhomme-le-plus-faible-de-la-nature/

[4] Ekklesia en grec signifie « communauté » et a donné « Eglise » en français

[5] Marx

[6] Le mythe d’Epiméthée et de Prométhée, dans le Protagoras de Platon : lire le texte http://cyberphilo.net/2012/10/02/letourderie-depimethee/

[7] Locke, Essai philosophique sur l’entendement humain : lire le texte http://cyberphilo.net/2012/10/02/locke-au-commencement-notre-ame-comme-une-table-rase/

[8] Les neurosciences attestent l’inachevement du cerveau du nouveau-né : lire l’article http://cyberphilo.net/2012/10/02/le-bebe-vient-au-monde-avec-un-cerveau-inacheve/