Peut-on définir la conscience ?

Texte comme support du cours donné en amphi et comme sujet d’entraînement à l’étude de texte.

Faire un le travail préparatoire à l’étude de texte sur cet extrait de la Conscience et la Vie de Bergson et rédiger une introduction. Exercice donné aux élèves de TS

Remarques :

– si ce texte apparaît trop long pour constituer un sujet type bac, il donne cependant l’occasion de s’entraîner à l’étude de texte, de travailler la notion de conscience et de réviser le cours.

– Vous pouvez trouver un extrait plus long de la conférence donnée par Bergson dans l’Anthologie.

« Mais, qu’est-ce que la conscience ? Vous pensez bien que je ne vais pas définir une chose aussi concrète, aussi constamment présente à l’expérience de chacun de nous. Mais sans donner de la conscience une définition qui serait moins claire qu’elle, je puis la caractériser par son trait le plus apparent : conscience signifie d’abord mémoire. La mémoire peut manquer d’ampleur ; elle peut n’embrasser qu’une faible partie du passé ; elle peut ne retenir que ce qui vient d’arriver ; mais la mémoire est là, ou bien alors la conscience n’y est pas. Une conscience qui ne conserverait rien de son passé, qui s’oublierait sans cesse elle-même, périrait et renaîtrait à chaque instant : comment définir autrement l’inconscience ? Toute conscience est donc mémoire − conservation et accumulation du passé dans le présent.

      Mais toute conscience est anticipation de l’avenir. Considérez la direction de votre esprit à n’importe quel moment : vous trouverez qu’il s’occupe de ce qui est, mais en vue surtout de ce qui va être. L’attention est une attente, et il n’y a pas de conscience sans une certaine attention à la vie. L’avenir est là ; il nous appelle, ou plutôt il nous tire à lui : cette traction ininterrompue, qui nous fait avancer sur la route du temps, est cause aussi que nous agissons continuellement. Toute action est un empiétement sur l’avenir.

      Retenir ce qui n’est déjà plus, anticiper sur ce qui n’est pas encore, voilà donc la première fonction de la conscience. Il n’y aurait pas pour elle de présent, si le présent se réduisait à l’instant mathématique. Cet instant n’est que la limite, purement théorique, qui sépare le passé de l’avenir ; il peut à la rigueur être conçu, il n’est jamais perçu ; quand nous croyons le surprendre, il est déjà loin de nous. Ce que nous percevons en fait, c’est une certaine épaisseur de durée qui se compose de deux parties : notre passé immédiat et notre avenir imminent. Sur ce passé nous sommes appuyés, sur cet avenir nous sommes penchés ; s’appuyer et se pencher ainsi est le propre d’un être conscient. Disons donc, si vous voulez, que la conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. »

Bergson, La Conscience et la Vie dans l’Energie Spirituelle, 1910

Séance 1 de préparation à l’oral

rousseaucontratRetour sur le livre 1 du Contrat Social de Rousseau à travers une série de questions de compréhension et de réflexion.

Ces questions, qui ont fait l’objet d’un commentaire en classe, doivent être travaillés personnellement. Elles peuvent être des questions posées par l’examinateur ou bien des questions qu’il convient de se poser pour l’étude d’extraits.

En outre, répondre aux questions nécessite que l’on définisse les notions et que l’on structure sa sa réponse.

Questions de compréhension

  1. Quel est, à la lecture du préambule, l’objet du Contrat Social ?
  2. Que signifie la formule : « l’homme est né libre et partout il est dans les fers »?
  3. Pourquoi Rousseau distingue-t-il l’obéissance par contrainte et l’obéissance par devoir ?
  4. Que veut dire Rousseau lorsqu’il affirme que l’ordre est u droit sacré qui sert de fondement à tous les autres »?
  5. Sur quoi se fonde l’ordre social ?
  6. Que veut montrer Rousseau au chapitre 2 ?
  7. En quoi l’étude succincte des premières sociétés est-elle nécessaire à la démonstration de Rousseau ? Pourquoi ne s’y attarde-t-il pas ?
  8. Quel sens prend la notion de peuple au chapitre 5 ?
  9. Quel lien logique peut-on faire entre le contenu des chapitres 2, 3, 4 et celui du chapitre 5 ?
  10. En quoi le caractère hypothétique du discours de Rousseau est-il essentiel ?
  11. Le pacte social vise-t-il d’abord la défense de l’intérêt bien compris de chaque associé ou la réalisation du bien commun ?
  12. Comment Rousseau définit-il la liberté ? En quoi est-elle la condition du pacte social ?
  13. Peut-on comparer le peuple à un organisme vivant ? Quelles sont les limites de cette métaphore ?
  14. Qui sont les contractants du pacte social ? En quoi le pacte social est-il un contrat d’une nature spéciale ?
  15. Quelles sont les conséquences pratiques du pacte social
  16. Selon Rousseau, qui est le détenteur légitime de la souveraineté ?

Questions de réflexion

  1. Peut-on avec raison reprocher avec Rousseau le caractère utopique, voire idéaliste, de son propos ? Plus généralement, toute théorie politique ne souffre-t-elle pas d’abord d’être une théorie ?
  2. Pourquoi Rousseau met-il de côté la question de savoir comme s’est fait le changement qui a conduit l’homme à perdre sa liberté native ?
  3. Tout ordre social juste suppose-t-il la liberté des citoyens ?
  4. Faut-il lier liberté et obéissance ?
  5. Faut-il opposer la force et le droit ?
  6. Pourquoi ne peut-on aliéner volontairement sa liberté ?
  7. Tout droit procède-t-il nécessairement de conventions ?
  8. L’avis de la majorité suffit-il à légitimer une décision d’ordre politique ?
  9. Qu’est-ce qui pousse les hommes à entrer en société ?
  10. Faut-il considérer la communauté politique sur le modèle de la machine ou sur le modèle du corps vivant ?
  11. Le contrat social est-il la seule manière de légitimer l’ordre social ?
  12. Quelles sont les conditions nécessaires à l’établissement du droit de propriété ?

Exercices pour la séance 2

 

Exercice 1

Texte 1 : Préambule, le chapitre I Sujet de ce premier Livre et chapitre II Des premières Sociétés du Livre premier du Contrat social.

  1. Lire le Préambule, le chapitre I Sujet de ce premier Livre et chapitre II Des premières Sociétés du Livre premier du Contrat social.
  2. Analyser le chapitre I
  3. Etudier les étapes de l’argumentation de Rousseau dans le chapitre II.

Exercice 2

Texte 2 : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. => il ne signifie ici rien du tout. »

  1. Retrouver l’extrait dans le Livre I du Contrat social et lire le texte de telle manière à pouvoir répondre aux questions suivantes :
  2. Dans quel le contexte se situe cet extrait, cf. les chapitres 1 et 2 du Livre I ?
  3. Quelle est la question à laquelle Rousseau répond dans ce texte ?
  4. Quelle est sa thèse, c’est-à-dire qu’elle est la réponse qu’il donne à cette question ?
  5. Quelles sont les étapes de l’argumentation de Rousseau ?
  6. A quel philosophe, Rousseau s’oppose-t-il ici ?
  7. Quels sont les notions et expressions qui devront donner lieu à une attention particulière dans l’analyse ?

Oral de contrôle. Séances de révisions programmées

Bonjour à tous,

Voilà trois jours que vous avez terminé votre série d’épreuves comptant pour le premier tour du baccalauréat. J’espère de tout coeur que cela s’est bien passé pour vous tous et que vous serez récompensés d’ici peu de votre travail fourni et que vous pourrez entamer vos vacances le coeur léger et des projets plein la tête. Il n’y a plus qu’à attendre, car désormais, « les jeux sont faits », « les dés sont jetés » comme dirait Sartre. Il n’y a plus qu’à attendre et assumer, ce n’est pas forcément facile, l’attente est parfois angoissante. Maintenant, si vous êtes dans la certitude de la réussite, alors dans votre tête vous êtes déjà libérés.
Cependant, vous n’êtes pas sans savoir que vous avez une deuxième chance d’obtenir votre examen lors d’un deuxième tour, si au premier vous avez obtenu entre 8/20 et 10/20. Mais pour saisir cette chance encore faut-il mettre tous les atouts de son côté en préparant cet oral dit de contrôle. A cette fin, il convient de se remettre à la tâche, de travailler et de réviser. Eh oui encore et encore ! Quand vous aurez vos résultats, le 4 juillet, vous n’aurez plus de temps pour vous préparer, si ce n’est le weekend précédent votre épreuve, ce qui sera insuffisant. Alors pour éviter toute panique et précipitation, je vous invite d’ores et déjà à préparer cet éventuel oral, en étudiant notamment les disciplines pour lesquelles vous avez un doute quant à votre réussite.
Il y a trois critères à prendre en compte dans le choix des deux disciplines pour l’oral de contrôle :
1) la note obtenue à l’écrit dans la matière
2) le coefficient de la discipline
3) le travail effectué durant l’année dans la matière
C’est donc une question de stratégie. Mais en amont, la stratégie qui prévaut n’est pas d’attendre le dernier moment mais bel et bien de parer à toute éventualité.
Maintenant, en ce qui concerne la philosophie, je vous propose des séances de révision à partir de la semaine prochaine :
  • Lundi 30 juin : de 8h à 12h : Révision Rousseau, Du Contrat social
  • Mardi 1er juillet : de 8h à 12h : Révision Rousseau, Du Contrat social
  • Mercredi 2 juillet : pas de séance, je suis de jury de bac
  • Jeudi 3 juillet  : de 8h à 12h : Révision Bergson, La conscience et la vie (séance spéciale TL)
  • Vendredi 4 juillet : Résultats du bac.
  • Samedi 5 juillet : sous réserve, organisation d’un oral blanc avec les élèves concernés
Dernière chose, je vous demande de me dire par mail si vous comptez venir à ces séances. Je ne veux pas me déplacer pour rien et cela me permettra de préparer les séances. En outre, je demande aux élèves volontaires de venir avec le livre et en ayant au moins relu l’oeuvre. Les séances ne seront efficaces et profitables que si on est tous sur la même longueur d’ondes. L’objet de ces séances est de faire des exercices de préparation à l’oral.
Si vous avez des questions je me ferai un plaisir de vous répondre.
Faites passer ce mail entre vous.
Dans l’attente, je vous souhaite une bonne suite de journée.

Votre prof de philo

Quelles différences faites-vous entre une oeuvre d’art et un objet quelconque ?

Nous venons de commencer notre réflexion sur l’art, aussi je vous propose de réfléchir sur la question suivante :

« Quelles différences faites-vous entre une oeuvre d’art et un objet quelconque ? »

Pour démarrer, je vous donne une proposition : ce qui différencie l’oeuvre d’art et un objet quelconque c’est sa beauté ; si l’objet quelconque est en principe utile (ou non d’ailleurs !), l’oeuvre d’art est belle. L’oeuvre d’art et l’objet quelconque se distingue par leur finalité. Qu’est-ce que cela vous donne à penser ? Quels arguments peuvent permettre de corroborer cette proposition ? Celle-ci est-elle indépassable ?

Amour. Mot qui désigne à la fois une passion et un sentiment

Ci-dessous le cours complété sur l’amour.

moi-et-l-autre amourLe texte d’Alain que nous allons aborder nous permet d’envisager plusieurs notions au programme.

Quelques remarques avant de commencer. Nous sommes toujours dans notre enquête concernant l’homme comme sujet. En ce que dans l’amour le sujet aimant a pour objet aimé un autre sujet. Une réflexion sur l’amour est une réflexion sur les relations intersubjectives. Par l’étude de ce texte nous abordons par conséquent également les relations avec autrui. En outre, la notion de désir est centrale dans une réflexion sur l’amour. L’amour est désir de manière générale. On peut même supposer sans trop se tromper que tout désir est amour. Si je désire aller à la pêche c’est que j’aime la pêche. Mais dans le désir amoureux de quoi le désir est-il le désir exactement ? Désir de l’autre ou désir de l’amour voire désir de désir ? Soi ou l’autre ?

D’autre part, dans ce texte, il y a d’autres notions que l’on va rencontrer : la raison par opposition à la passion, l’esprit à travers la notion d’âme par opposition au corps (matière), le bonheur, la liberté, la morale et le devoir dans le sens de responsabilité.

Tout cela pour dire la richesse de ce texte.

Proposons-nous dans un premier temps de lire le texte :

Alain
Alain 1858 -1951

« AMOUR. Ce mot désigne à la fois une passion et un sentiment. Le départ de l’amour, et à chaque fois qu’on l’éprouve, est toujours un genre d’allégresse lié à la présence ou au souvenir d’une personne. On peut craindre cette allégresse et on la craint toujours un peu, puisqu’elle dépend d’autrui. La moindre réflexion développe cette terreur, qui vient de ce qu’une personne peut à son gré nous inonder de bonheur et nous retirer tout bonheur. D’où de folles entreprises par lesquelles nous cherchons à prendre pouvoir à notre tour sur cette personne ; et les mouvements de passion qu’elle éprouve elle-même ne manquent pas de rendre encore plus incertaine la situation de l’autre. Les échanges de signes arrivent à une sorte de folie, où il entre de la haine, un regret de cette haine, un regret de l’amour, enfin mille extravagances de pensée et d’action. Le mariage et les enfants terminent cette effervescence. De toute façon le courage d’aimer (sentiment du libre arbitre) nous tire de cet état de passion, qui est misérable, par le sentiment plus ou moins explicite d’être fidèle, c’est-à-dire de juger favorablement dans le doute, de découvrir en l’objet aimé de nouvelles perfections, et de se rendre soi-même digne de cet objet. Cet amour, qui est la vérité de l’amour, s’élève comme on voit du corps à l’âme, et même fait naître l’âme… »

ALAIN, Les Arts et les Dieux, Définitions

Que nous révèle la lecture du texte.

Tout d’abord, sur un plan strictement méthodologique, il convient de rappeler que la lecture du texte est évidemment primordiale, et, ce qu’il faut entendre par lecture n’est pas un simple survol destiné à simplement repérer de quoi parle le texte pour ensuite pouvoir « broder », comme on dit. Repérer que le thème du texte est l’amour et ensuite développer sur ce thème ne peut évidemment donner lieu à l’étude philosophique de texte attendue.

Il faut lire le texte crayon en main et se mettre en mesure de répondre aux questions qui constituent ce que nous avons appelé le travail préparatoire.

Ajoutons une remarque qui n’est pas sans importance, des copies manifestent encore cette fâcheuse confusion : il ne faut pas confondre travail préparatoire à l’étude de texte et la version définitive de l’étude de texte, celle-ci étant rédigée dans les règles, le travail préparatoire étant évidemment de l’ordre de la recherche et de l’organisation alors que la version définitive de l’étude de l’ordre de l’exposition.

Pour notre part, et pour le texte d’Alain ici proposé, nous élaborerons notre travail de lecture et de préparation à l’étude de texte à travers les deux questions suivantes :

a)      Quel est le point de départ de l’amour ?

b)      Trouvez les oppositions « passion/sentiment en faisant un tableau.

Mais avant de commencer, je voudrais faire deux remarques, remarques à partir d’intervention d’élèves qui ont été faite aujourd’hui en cours.

La première remarque : Pourquoi Alain parle d' »objet aimé » ? Ne devrait-il pas plutôt parler de « personne aimée » ? La personne n’est pas un objet.

Réponse : Oui la personne n’est pas un objet si on entend par objet, une chose que l’on peut posséder. D’ailleurs à ce propos Alain dans ce texte ne dit pas autre chose. Chercher à posséder l’autre, ce serait la réduire à l’état de chose. Comment peut-on alors raisonnablement penser qu’il s’agit encore d’amour. On peut posséder une voiture mais pas une personne humaine, à moins d’en faire un esclave. D’ailleurs pour réduire un être à l’état d’esclave, il faudrait justement pas la considérer comme une personne, il faudrait même la déchoir de cette dignité. Impossible que l’autre, mon esclave puisse être mon égal. Il en est de même en amour, dans l’amour dit possessif, réduire l’autre à l’état de chose pour le posséder, c’est l’enfermer. Pour comprendre ce que dit Alain dans l’expression « objet aimé », il faut prendre « objet » dans un tout autre sens. Objet ici s’oppose à sujet. Il y a moi, le sujet qui aime et il y a l’autre, l’objet aimé. Il se trouve, c’est vrai que l’autre est également un sujet. Il faut comprendre objet dans la relation sujet / objet, objet étant un sujet, mais un autre sujet que moi-même. Un moi qui n’est pas moi pour reprendre l’expression de Sartre.

Deuxième remarque : Alain semble faire l’apologie du mariage et des enfants.

Réponse : On pourrait effectivement le croire. Sans trop entrer dans les détails, car c’est un point que nous allons aborder, disons que pour Alain, au mariage qui est un engagement et avec les enfants, qui sont le fruit de l’amour, un amour ici productif, on s’éloigne totalement de l’état misérable qu’est celui de l’état de passion. Alain ne dit pas que pour aimer vraiment, il faut se marier et avoir des enfants. Mais se marier, c’est s’engager. Dans la passion amoureuse, il n’y a pas d’engagement, et nous pourrons voir pourquoi plus tard. Et les enfants appellent à la raison des parents qui deviennent des êtres responsables. En outre, les enfants nous rendent attentifs à l’autre. On est loin du tumulte et de effervescence, de l' »ébullition » comme a dit un élève si caractéristique de l’état de passion. Le mariage et les enfants assagissent pourrait-on dire.

Ces deux remarques étant faites, on peut commencer le travail préparatoire à l’étude de texte. Une première lecture nous donne à voir un texte qui nous parle de la notion d’amour. Tel est apparemment le thème du texte. En effet, Alain commence par nous donner une définition du terme (« AMOUR. Ce mot désignant à la fois une passion et un sentiment ») pour ensuite, nous dresser une sorte de généalogie de l’amour. Si le mot désigne à la fois passion et sentiment, cela ne veut pas dire que l’analyse doit nous montrer un mélange, une mixture de sentiment et de passion dans l’amour. Alain, dans ce texte, fait une distinction conceptuelle rigoureuse entre l’amour-passion et l’amour-sentiment, tout en décrivant une évolution possible de l’un vers l’autre. Autrement dit, Alain n’en reste pas à une analyse de vocabulaire mais s’intéresse à la réalité même de l’amour dans la vie, en montrant comment en matière d’amour les « choses » s’engendrent.

Pour en rendre compte, nous devons, pour notre part, commencer par étudier le point de départ à partir duquel l’amour se déclenche et évolue.

Quel est le point de départ de l’amour ?

« Le départ de l’amour » c’est l’amour à sa naissance. Et, l’amour à sa naissance est amour indifférencié qui ni passion, ni sentiment. Si nous nous en tenons à la définition du mot donné par Alain lui-même, peut-être n’est-ce pas encore l’amour, mais ce à partir de quoi l’amour naît. C’est la rencontre. Une rencontre particulière. Elle a la particularité de provoquer de la « l’allégresse ». L’allégresse, le mot employé par Alain est fort, et il nous faudra d’ailleurs l’analyser, il s’agit d’un « genre d’allégresse » mais allons jusqu’au bout de l’idée de notre auteur, à cette allégresse peut s’ajouter une légère crainte. L’amour qui débute par une rencontre est toujours un genre d’allégresse que l’on peut craindre et que l’on craint toujours un peu. Rencontre = genre d’allégresse + légère crainte : idée qui peut nous sembler étrange qui ne peut manquer de nous étonner et qu’il convient d’étudier au plus près.

Tout d’abord, que signifie allégresse ? L’allégresse est une joie, une grande joie. Il s’agit d’une joie très vive. Elle se manifeste extérieurement. Il s’agit donc de quelque chose qui nous augmente. Et quelle en est la raison ? Parce qu’il s’agit d’une joie liée à l’existence d’autrui, à la rencontre avec l’autre. Rien à voir avec l’obtention d’un objet matériel qui peut susciter un contentement ! Grâce à la rencontre, je ne suis plus seul, c’est donc grâce à l’autre que je ressens cette joie. Cette joie est en sorte une grâce, un cadeau quasi-divin qui me vient d’autrui.

Mais alors pourquoi Alain parle-t-il de cette crainte qui accompagne toujours un peu l’allégresse ? Si je ressens cette joie vive et intense grâce à l’autre, je suis certes heureux, mais ce bonheur, justement en tant qu’il vient de l’autre, il est imparfait. Cette joie est quelque peu entachée. Elle n’est pas pleine, complète. Elle est certes un bien, mais ce bien je le trouve hors de moi ; autrement dit, je sais qu’un rien peut me l’enlever. Je peux craindre que cette allégresse s’échappe car, en fait, je suis à la merci de l’autre.

Il convient de remarquer que la crainte, pour Alain, est neutre, elle n’est ni bonne ni mauvaise : elle est, c’est un fait. Inutile et vain alors de dire qu’il ne faut pas avoir peur. La crainte est une émotion, un « pathos » au sens aristotélicien. Cela dit, si la crainte est un fait, toute idée qui va graviter autour de celle-ci va la faire évoluer vers quelque chose qui risque de ne plus être neutre.

En effet, pour Alain, l’amour implique un risque de crainte. Et, ajoute-t-il, lorsque cette crainte devient terreur par le fait de la réflexion, naît la passion. A force de réfléchir, de « gamberger » comme on dit familièrement, de faire retour sur l’imperfection de cette joie, de la dépendance de cette joie à l’autre, la crainte de la voir s’échapper… cette émotion de crainte tout à fait « naturel » et neutre se transforme en terreur.

La terreur est une peur d’une extrême intensité qui bouleverse, voire paralyse. L’esprit se terrorise lui-même en réfléchissant en ressassant cette crainte. Cette terreur peut donc se comprendre comme la peur de la peur, et, en cela, elle est une évolution non naturelle de l’amour. Il s’agit d’une peur panique face au danger de perdre le bonheur. C’est à partir de cette terreur que naît, selon notre auteur, l’amour-passion. Et quelle est donc l’évolution naturelle de l’amour ? Le véritable amour c’est le sentiment : l’amour-sentiment.

Alain, dans ce texte oppose la passion qui est la « mauvaise » réaction face à la rencontre avec l’autre alors que le sentiment est la « bonne » réaction.

La distinction passion / sentiment

Proposons-nous de lire le texte en relevant les oppositions, puisque c’est sur celle-ci que se construit la suite de l’argumentation d’Alain.

 

PASSION

SENTIMENT

Est une « mauvaise » réaction au danger, celui de perdre le bonheur reçu par la rencontre avec l’autre ; il s’agit de la peur d’aimer : « terreur » ; « d’où de folles entreprises » Est la bonne réaction, et si comme on dit la peur n’évite pas le danger, l’amour sentiment est, contrairement à la passion amoureuse est « courage d’aimer ».
Le but de ces « folles entreprises » est de chercher à « prendre pouvoir » sur l’autre ; l’amour-passion est amour-possession ou amour qui fait de la prise de pouvoir sur l’autre son objectif, son délire. Ce courage d’aimer s’exprime par l’acte du don, du don de soi : donner et se donner, « se rendre soi-même digne de cet objet » (de l’autre aimé)
L’amour-passion est un état : je suis amoureux. « état de passion qui est misérable » L’amour-sentiment est un acte : j’aime.
Quelle est la cause de la passion ? La réflexion = calcul, défiance… Je me méfie de l’autre. La réflexion transforme la crainte en terreur. Jalousie. L’amour-sentiment fait serment inconditionnel : j’aime l’autre sans poser de condition. La confiance à son égard est totale. J’accorde toute ma confiance à l’autre.
Comment se manifeste la passion ? J’interprète tout chez l’autre. Il s’agit d’un délire d’interprétation : « échanges de signes ». Ici, on tombe dans une sorte d’engrenage. Absence de liberté, sorte d’esclavage. Aucune interprétation dans l’amour sentiment. Je juge favorablement dans le doute (même dans le doute !) ; je découvre en l’objet aimé de nouvelles perfections.
La passion amoureuse se cantonne au niveau du corps ; le corps, ici, étant l’équivalent de la machine, la liberté est devenue impossible. L’amour sentiment est « sentiment du libre-arbitre « ; la volonté est non-contrainte. Ce sentiment de libre-arbitre fait naître l’âme.
Le pôle de la passion c’est MOIJe veux être aimé ; je veux séduire « folles entreprises » => prise de pouvoir sur cette personne ; elle est prise comme moyen…Amour qui tue l’amour. Le pôle du sentiment c’est l’AUTREC’est l’autre que j’aime : « cet amour qui est la vérité de l’amour ».Ici amour véritable.

Cette lecture du texte, nous permet de voir que pour Alain, la passion est un désordre égoïste alors que le sentiment est amour noble, et qu’il est plus facile de tomber dans le piège de la passion amoureuse par peur d’aimer que d’avoir le courage d’aimer véritablement.

Nous pouvons ainsi formuler le problème que soulève cet extrait de la manière suivante : qu’est-ce qui fait qu’il est si difficile d’aimer véritablement quelqu’un ?

Sans doute pour compléter ce travail préparatoire il conviendrait de reprendre chacune des notions importantes et de les analyser, cependant, nous ferons ici, l’économie de ce travail pour passer directement à l’élaboration de la version définitive de l’étude philosophique de ce texte et éviter trop de redites. Pour terminer, ce travail préparatoire nous devrions travailler notre jugement à l’égard des idées de l’auteur, à sa position face au problème. Pour la même raison, nous l’évoquerons dans la version définitive de notre étude. Nous pouvons tout de même affirmer que nous pouvons comprendre le texte comme critique de la passion amoureuse, or, n’est-ce pas elle qui fait rêver ou qui donne les plus belles histoires d’amour ?

Exemple d’introduction possible.

Qu’est-ce qui fait qu’il est difficile d’aimer véritablement quelqu’un ? C’est le problème traité par Alain dans ce texte. Selon lui, aimer véritablement quelqu’un, c’est avoir le « courage » de donner, or on préfère, d’ordinaire, avant tout, recevoir. Ce qui fait alors la difficulté d’aimer c’est une réaction purement passionnelle qui n’est autre que l’égoïsme, l’égocentrisme, alors que c’est, selon les termes de l’auteur, « le courage d’aimer qui nous tire de l’état de passion, qui est misérable». En définissant l’amour comme un mot désignant « à la fois une passion et un sentiment », Alain nous explique que la « passion » étant anti-amour (je veux être aimé) s’oppose au « sentiment », le véritable amour (c’est l’autre que j’aime). Pourtant, les plus belles histoires d’amour ne sont-elles pas les histoires de passions amoureuses ?

Proposition d’une base de travail pour la rédaction de l’analyse du texte.

Définir « aimer »

Partons de la définition d’aimer. Comment définir ce verbe ? On peut le définir d’une part par la bienveillance, aimer c’est vouloir le bien de l’autre, et, d’autre part, c’est trouver un bien en l’autre, c’est-à-dire hors de soi.

Une contradiction.

Cela dit, définir ainsi aimer ne va pas sans poser problème. N’y a-t-il pas là, en effet, une contradiction ? Comment puis-je vouloir le bien de ce dont je dépends ? Alain, dans ce texte, nous donne à voir, tour à tour, les deux positions possibles par rapport à cette contradiction : la passion et le sentiment :

La passion résout la contradiction.

Tout d’abord, la passion résout la contradiction en ne voulant plus le bien de l’autre, mais seulement le sien propre. On pourrait dire qu’il s’agit du refus de la pauvreté et faire référence au thème platonicien d’Eros. Dans le cas de la passion, comme dirait Sartre « aimer, c’est vouloir être aimer », on le voit la bienveillance disparaît : c’est l’amour possessif.

Le sentiment accepte la contradiction.

Ensuite, le sentiment quant à lui, qui semble tenir du miracle étant, au contraire, la pauvreté acceptée, ne résout pas la contradiction. En fait, il n’y a pas de contradiction pour cet amour, qui est le véritable amour : le bien suprême étant celui de l’être aimé. Cet amour est altruiste contrairement à l’amour-passion, égoïste, égocentrique.

  • La joie que procure la rencontre
  • La crainte qui accompagne cette joie

La naissance de la passion.

La légère crainte évoquée précédemment devient terreur par le fait de la réflexion. La terreur étant la peur de la peur. Il s’agit là d’une évolution non naturelle de l’amour. Qui dit réflexion dit hésitation, résolution, retour sur soi. C’est la réflexion qui fait naître la passion, et, ce qui en ressort c’est l’égoïsme, l’égocentrisme. En effet, on ne s’intéresse pas vraiment à l’autre, on recherche bien davantage son bonheur, on est plutôt préoccuper de conserver coûte que coûte cette joie que procure la rencontre avec l’autre.

Caractère de la passion.

Le caractère essentiel de la passion souligné par Alain dans ce texte est la folie. La folie est la perte du sens de la réalité. Cette folie s’exprime, selon l’auteur, sous forme d’un double délire : le délire de la possession et le délire de l’interprétation. Et, par là on comprend bien que cette folie caractéristique de la passion amoureuse est en fait anti-amour.

Le délire de la possession.

Ici, l’amour s’énonce en terme de pouvoir, donc, forcément en termes de conflit, de guerre : je découvre que l’autre a un pouvoir, pouvoir de me laisser ou de me reprendre ma joie. Je comprends que ma joie ne m’appartient pas. Donc, pour faire cesser cette peur de voir se volatiliser cette joie, il faut que je prenne moi-même le pouvoir si l’autre, il faut que je parte à la conquête de ce territoire ! Mais comment ? Par la séduction !

(une question, implicite pour l’instant mais qui pourra faire l’objet d’une réflexion ultérieurement lors de l’évaluation critique de l’étude de texte : si la séduction arrive à ses fins, pourrai-je alors être certain que j’aime vraiment ? N’aimerai-je pas plutôt une image ? Un objet ? Avec Sartre, on peut penser que par la séduction, l’autre devient un objet.)

Le délire de l’interprétation.

Dans la relation amoureuse, il y a naturellement des échanges de signes, comme les gestes et les paroles. Mais, dans les conditions que l’on vient de décrire, on comprend immédiatement que ces signes deviennent signes à interpréter. Vouloir tout interpréter revient à avoir peur d’aimer, pour notre philosophe. Selon lui, la passion correspond à la peur d’aimer. En effet, on veut être sûr et certain de l’autre. Autrement dit, le passionné veut bien se donner à condition que l’autre se donne. On est en quelque sorte dans cette politique du « toi d’abord ! ». La passion dans ces conditions est bel et bien anti-amour : le passionné prête alors que le véritable amour est, en principe, un véritable don.

Dans le délire d’interprétation, on observe l’autre, il ne peut en ressortir qu’une ambivalence d’amour et de haine. Tout devient signe : tout comportement devient raison et non cause.

Ne suis-je pas capable d’interpréter le comportement de l’autre (une mauvaise humeur par exemple) comme m’étant directement adressé et en déduisant qu’aujourd’hui il ne m’aime pas. Une remarque en passant à ce propos, Raymond Ruyer, dans son art d’être toujours content, disait qu’il faut cesser d’interpréter la mauvaise humeur de l’autre et de la considérer comme mauvaise volonté.

Toujours est-il, dans cet état de passion, l’amour n’est que solitude à deux. En fait, on ne connaît pas l’autre. On n’a jamais cherché à le connaître. Le pôle de la passion étant soi.

« Le mariage et les enfants terminent cette effervescence (…) »

Notons le verbe « terminer » qui, indique dans le contexte la fin du rêve. Rêve, ici est à prendre par opposition à réalité. Dans certaines histoires d’amour, on termine ainsi « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfant », pour signifier qu’il n’y a plus rien à raconter. Dans la passion amoureuse, nous pouvons bien nous l’imaginer, à partir de ce double délire décrit précédemment, qu’il se passe toujours quelque chose. Quand se termine la passion amoureuse, il n’y a plus rien à dire : « fin de l’histoire ». D’un point de vue littéraire et romanesque c’est quand Tristan et Iseult ne sont plus intéressants.

Cela dit, il ne faut sans doute pas accorder trop d’importance à cette phrase, en affirmant que le philosophe Alain fait une apologie moralisatrice ou moralisante du mariage. Disons que l’auteur veut nous montrer que c’est par un retour à la réalité, loin de cette folie que l’on aime véritablement. Avec le mariage et les enfants on est obligé par la force des choses de faire face à la réalité. Il y a une exigence de responsabilité qui s’impose. Par exemple, l’enfant oblige à être plus attentif au conjoint. On renonce à dire moi.

Le courage d’aimer.

  • Renoncer à prendre => fin du délire de possession
  • Faire confiance => fin du délire de l’interprétation
  • Renoncer à dire moi => fin de l’incommunicabilité

Ces trois points supposent du courage. Il s’agit en effet là, à la fois, d’un acte de liberté et de prise de conscience de cette liberté. L’amour n’est pas un état mais un acte, car il s’agit d’une relation vraie, une ouverture à l’autre, aux projets ensemble et à la vie.

Explication du serment.

La notion de serment n’est peut-être pas facile à cerner. Un angle possible pour la comprendre et de l’opposer à un autre acte qui semble être du même genre : la prophétie. Alors que la prophétie se conjugue sur le mode de la prédiction : « je serai », le serment lui est plutôt sur le mode de l’engagement : « je ferai ». Il s’agit d’une promesse forte, d’une parole qui engage, d’une parole qui est déjà un acte (cf. Austin). Par le serment on jure de faire et non pas d’être, en cela, le serment implique une parole efficace.

On comprend dès lors, dans ces conditions, que l’amour n’est pas chose faite mais chose à faire. (Nous sommes ici dans une perspective anti-Gidienne si l’on peut dire. Nourriture terrestre : je m’enchaîne par le serment.) Le serment pour Alain, loin de m’enchaîner, est un acte de liberté qui me rend libre car je fais en sorte que je sois l’auteur de ma vie, en refusant par exemple de « vivre comme une girouette ». Par le serment, ma parole sera plus forte que les évènements.

Mais quelle est la teneur de ce serment ?

Un serment de fidélité.

Ce serment est un serment de fidélité. Et, qu’est-ce qu’être fidèle ? Alain répond : c’est « juger favorablement dans le doute », même dans le doute. On est bien loin ici des échanges de signe, des folles entreprises, des extravagances de toute sorte et du délire de l’interprétation qui caractérisent la folie passionnelle d’une manière générale, la jalousie, plus particulièrement. Etre fidèle, c’est bien sûr ne pas tromper, ne pas trahir l’autre, mais c’est aussi faire confiance à l’autre de manière inconditionnelle. Faire ainsi confiance à l’autre, c’est peut-être prendre un risque, mais nous dit Alain, c’est un risque qui grandit.

Découvrir en l’autre aimé de nouvelles perfections

Faire confiance à l’autre c’est découvrir en l’autre aimé de nouvelles perfections. La fidélité est un enrichissement en ce que cela change tout le temps en profondeur. Chez Don Juan, ce qui change n’est que la surface, le superficiel, d’où sa pauvreté en définitive. Don Juan qui a cherché sans cesse à enrichir son tableau de chasse se retrouve bien pauvre et dans une grande misère affective.

« Découvrir » c’est susciter en l’autre ce qu’il y a de meilleur, pour qu’il tire ce meilleur qu’il a en lui ; c’est croire en l’embellissement de l’autre, c’est croire qu’il n’est pas tel pour l’éternité mais qu’il peut s’améliorer.

La contradiction est résolue.

Ici, se trouve la réconciliation entre l’amour bienveillance et trouver son bien.

Le véritable amour fait naître l’âme. Il conviendrait d’expliciter cette idée…

 

La conscience de soi suppose-t-elle autrui ?

Etant donné qu’un certain nombre d’heure de cours ont dû être annulés ces derniers temps pour des rencontres concernant l’orientation post-bac, je vous donne sous cette forme, en remplacement, un exemple de réflexion sur le sujet suivant : « La conscience de soi suppose-t-elle autrui ? »

Je vous invite à le travailler. L’exercice que je vous propose est de partir du sujet, de l’analyser pour le comprendre afin de savoir ce dont il est question, de tenter de montrer en quoi cette question pose problème et de construire une problématique et un plan. Ensuite, travailler l’exemple proposé et rédiger en développant le tout ou une partie la dissertation. Vous pouvez en outre laisser en commentaire ci-dessous vos remarques ou vos questions.

Enfin, vous pourrez ranger ce travail dans le cours sur autrui : « les relations intersubjectives ».

Exemple d’introduction :

autre-soi-meme

A première vue, être conscient de soi, c’est éprouver un certain sentiment de son propre être ; en effet, je sais que je suis et je peux chercher à savoir ce que je suis, qui je suis. Dès lors, la question de savoir si la conscience de soi suppose autrui ne semble pas se poser, puisque autrui paraît absent de ce mouvement de la conscience vers elle-même. Cependant, autrui, tout comme moi, est tout autant que moi capable d’être conscient de soi. En effet, je ne suis pas conscient, entre autres choses, qu’il est une conscience de soi, et que cette conscience de soi, en retour, peut aussi me penser ? C’est pourquoi, il apparaît tout à fait légitime de se demander, d’une part, si les « consciences de soi » sont aussi séparées qu’il semblait à première vue et si, d’autre part, la conscience de soi ne suppose pas celle d’autrui pour être ce qu’elle est.

Exemple de cheminement possible :

I. La conscience est-elle solitaire ?

[Le « je » est 1er / autrui apparaît en 2d]

  • Je fais l’expérience de ma seule conscience, l’existence de ma conscience et de ma seule conscience est la seule et unique certitude absolue ; cf. le caractère indubitable de la conscience de soi et le caractère seulement vraisemblable de tout ce qui n’est pas conscience de soi (Descartes)
  • la conscience de soi est séparée des autres ; cf. le solipsisme, thèse selon laquelle la conscience est une monade sans porte ni fenêtre sur le monde extérieur donc d’autrui (remarque Descartes ne s’enferme pas dans ce solipsisme)
  • si une connaissance d’autrui et possible ce n’est que par inférence analogique : c’est parce que je fais l’expérience de l’existence de ma seule conscience que je suppose que l’autre en tant qu’il me ressemble (le corps) est tout comme moi un être conscient et qu’il peut connaître les mêmes faits de conscience que moi. Ce raisonnement par analogie est forcément insuffisant, car il ramène autrui à ce que je suis et ne permet pas de le saisir tel qu’il est c’est-à-dire dans son altérité.
  • D’autre part, si la conscience est ainsi solitaire elle ne peut être une conscience de soi authentique, n’est-ce pas en effet par la médiation d’autrui, que je découvre qui je suis ?

II. La nécessaire reconnaissance de soi par autrui.

[L’autre est 1er et c’est par lui que le « je » se saisit comme conscience de soi]

  • La connaissance de sa propre conscience n’est pas accessible à un travail d’introspection, elle m’est au contraire révélée par autrui ; même Robinson sur son île suppose autrui…
  • D’une part, ce que je suis c’est ce que je suis devenu par la rencontre d’autrui ; je ne serais rien sans les autres ; seul au monde, je ne suis rien ; cf. la genèse de la conscience de soi chez l’enfant ; cf. le rôle primordial de l’éducation…
  • D’autre part, ne suis-je pas comme autrui me voit ? cf. Sartre : « L’autre est indispensable à mon existence aussi bien qu’à la reconnaissance que j’ai de moi » l’Existentialisme est un humanisme ; étude du cas de la honte cf. Sartre L’Etre et le Néant.
  • « Autrui est le médiateur indispensable entre moi-même et moi-même » Sartre, l’Existentialisme est un humanisme.

III. La conscience de soi et autrui suppose la relation.

[Ce qui est 1er c’est l’intersubjectivité]

  • Si la conscience de soi suppose autrui, c’est alors dans la relation que chacun se révèle
  • De quelle nature est cette relation ? Le plus souvent elle est d’ordre conflictuel. C’est dans la rivalité que chacun cherche à être reconnu par l’autre; cf. la compétition à l’école ; la concurrence économique ; la passion amoureuse etc…. cf. la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel.
  • Mais dans ce cas, chacun cherche à avoir « le dessus » sur l’autre, par delà la rivalité, on peut penser une relation qui se fonde sur la sympathie ; cf. l’amitié, chez Aristote par exemple ; cf. le courant personnaliste au XXe siècle ; cf. Merleau-Ponty à propos du dialogue véritable qui fait naître entre moi et l’autre un 3ème terme.
  • C’est la relation authentique qui rend possible un « nous » cf. la notion de communauté

Exemple de conclusion :

Dire que la conscience de soi ne suppose pas autrui est une illusion, car elle n’est rien sans les autres. Cette illusion provient du fait que l’introspection suppose l’existence d’une conscience déjà constituée et ainsi cherche en fait à s’isoler en s’enfermant sur elle-même pour se saisir. Or, nous avons vu que la conscience de soi est redevable de la présence d’autrui pour sa constitution. En fait, c’est dans la relation intersubjective que chaque conscience peut se révéler, d’abord dans la rivalité, dans laquelle chacune cherche à être reconnue par les autres, ensuite et plus fondamentalement, dans la sympathie, qui rend possible la réciprocité. En somme, il n’y a de « je » que parce qu’il y a un « tu » ; mais il n’y a de « je » et de « tu » que par un « nous ».

Sujet percevant, objet perçu

Le monde. Nous croyons le percevoir immédiatement. Il semble se donner à nous tel qu’il est. Brutalement il s’impose. Passif, je suis. Aussi, percevoir ne serait rien d’autre que récolter des informations sensibles. Voir, entendre, toucher, goûter… voilà l’accès aux choses, au monde. Rencontre du sujet à l’objet, telle est la perception.

Sujets, c’est vers tel objet ou vers tel autre que nous pouvons orienter notre attention. Je quitte la fenêtre des yeux pour regarder mon professeur de philosophie, je me consacre désormais pleinement à son cours, délaissant les bruits divers et épars du lycée.

Par la perception, j’accède à la réalité et j’en perçois plus au moins de détails en fonction de l’orientation que je fais prendre à ma perception.

illusion d'optique

Mais recevons-nous passivement les informations sensibles sur la réalité ? Comment comprendre cette impression de mouvement ? Présence du contraste noir et blanc, les formes circulaires, nous percevons un mouvement qui n’existe pas. Notre cerveau induit en erreur et nos yeux bougent, ce mouvement de rotation d’arcs de cercle, une pure illusion. Victimes des illusions de la perception,  c’est vers elle que nous nous tournons pour l’accuser. Mais qu’est-elle réellement ?

Rassemblant les sensations reçues par nos organes de la vue, de l’ouïe, du toucher, du goût et de l’odorat, la perception saisie des différences et des différences. Une figure contenue dans une autre fait apparaître un rapport de grandeur. Je perçois cette figure plus petite que celle qui le contient. La perception est ainsi un produit de la sensation.

Quelque chose apparaît à quelqu’un. La perception est rencontre. Un entre-deux. Enlevons-la perception, la chose existe toujours en elle-même, mais quelle est sa réalité relativement au sujet. Je marche, j’approche du petit port. A l’entrée, je perçois un fromager, je le vois. Il m’apparaît là majestueux. Je peux maintenant dire, il y a un fromager majestueux à l’entrée du petit port. Il a certes toujours été là. Il existait avant que je le perçoive. Maintenant, il existe pour moi. C’est grâce à la perception que je suis, moi sujet percevant, mis en contact avec lui, objet perçu.

Sujet percevant, je suis. Mais alors ne suis-je pas passif dans la perception du monde. N’est-ce pas lui qui s’impose ? La perception comme une activité, mais comment cela ? J’entends les battements d’ailes du colibri. A force d’observer le petit animal butineur, mon ouïe est devenue experte. Je perçois son battement rapide et léger.

Comment connaissons-nous le réel ? Par les informations sensibles. C’est par elles que nous croyons avoir un accès immédiat à la réalité. La question est donc de savoir si la perception consiste simplement à recevoir des informations sensibles ou à les organiser. En un mot, la perception se confond-elle avec la sensation ? Quelle est la part d’activité du sujet dans la perception ?

Exercice : « Percevoir, est-ce sentir ? » Rédigez une progression en vous aidant des trois textes ci-dessous et en tentant de répondre à la question de savoir si percevoir, c’est sentir.

Texte 1 [1]

LockeC’est la première idée simple de réflexion.

La perception est la première faculté de l’esprit mobilisée sur les idées ; elle est aussi l’idée la première et la plus simple obtenue par réflexion, et certains la nomment pensée en général. Pourtant la pensée au sens propre du terme en français signifie cette opération de l’esprit sur ses idées où l’esprit est actif et où il considère quelque chose avec un certain niveau d’attention volontaire ; dans la pure et simple perception, l’esprit est pour la plus grande part passif seulement et, ce qu’il perçoit, il ne peut s’empêcher de le percevoir. [ … ]

Il est certain que si une altération produite dans le corps n’atteint pas l’esprit, si une impression produite sur l’extérieur n’est pas remarquée intérieurement, il n’y a aucune perception. Le feu peut brûler notre corps sans autre effet que s’il brûlait une bûche, sauf si le mouvement est porté jusqu’au cerveau et si la sensation de chaleur ou l’idée de douleur sont produites dans l’esprit, ce qui constitue la perception effective.

John Locke, Essai sur l’entendement humain, Livres I et II, 1690.

Texte 2 [2]

leibnizPHILALÈTHE.- J’avoue que, lorsque l’esprit est fortement occupé à contempler certains objets, il ne s’aperçoit en aucune manière de l’impression que certains corps font sur l’organe de l’ouïe, bien que l’impression soit assez forte, mais il n’en provient aucune perception, si l’âme n’en prend aucune connaissance.

THÉOPHILE. – J’aimerais mieux distinguer entre perception et s’apercevoir. La perception de la lumière ou de la couleur, par exemple, dont nous nous apercevons, est composée de quantité de petites perceptions, dont nous ne nous apercevons pas, et un bruit dont nous avons perception, mais où nous ne prenons point garde, devient aperceptible par une petite addition ou augmentation. Car si ce qui précède ne faisait rien sur l’âme, cette petite addition n’y ferait rien encore et le tout ne ferait rien non plus.

Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain, Chap. IX, 1703

Texte 3 [3]

Merleau PontySi nous nous en tenons aux phénomènes[4], l’unité de la chose dans la perception n’est pas construite par association[5] mais, condition de l’association, elle précède les recoupements qui la vérifient et la déterminent, elle se précède elle-même. Si je marche sur une plage vers un bateau échoué et que la cheminée ou la mâture se confonde avec la forêt qui borde la dune, il y aura un moment où ces détails rejoindront le bateau et s’y souderont. À mesure que j’approchais, je n’ai pas perçu des ressemblances ou des proximités qui enfin auraient réuni dans un dessin continu la superstructure d’un bateau. J’ai seulement éprouvé que l’aspect de l’objet allait changer, que quelque chose était imminent[6] dans cette tension comme l’orage est imminent dans les nuages. Soudain le spectacle s’est réorganisé donnant satisfaction à mon attente imprécise. Après coup, je reconnais, comme des justifications du changement, la ressemblance et la contiguïté[7] de ce que j’appelle les « stimuli » – c’est-à-dire les phénomènes les plus déterminés, obtenus à courte distance – et donc je compose le monde « vrai». « Comment n’ai-je pas vu que ces pièces de bois faisaient corps avec le bateau? Elles étaient pourtant de même couleur que lui, elles s’ajustaient bien sur sa superstructure.» Mais ces raisons de bien percevoir n’étaient pas données comme raisons avant la perception correcte. L’unité de l’objet est fondée sur le pressentiment d’un ordre imminent qui va donner réponse à des questions seulement latentes dans le paysage, elle résout un problème qui n’était posé que sous la forme d’une vague inquiétude.

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, introduction, II, 1945.


Notes

[1] Locke, 1632 – 1704, chef de file des empiristes, affirme que l’âme est semblable à une table de cire sur laquelle s’imprime ce qui vient de l’extérieur. L’impression remarquée sur cette table s’appelle la perception.

[2] Leibniz, 1646-1716, est représenté dans ce dialogue par Théophile qui apporte une distinction qui affaiblit la théorie empiriste de Locke. La perception est le plus souvent inconsciente. Elle ne dépend pas tant de l’intensité de l’impression sensible que de l’attention de l’esprit à sa composition : une vague de petites perceptions qui finit par nous affecter.

[3] Maurice Merleau-Ponty, 1908 – 1961, réalise une description du vécu : Ce que nous percevons effectivement et ce que nous ne percevons pas encore. Percevoir, ce n’est pas enregistrer des données ; c’est corriger sans cesse c’est ce qui a été sélectionné par nous.

[4] Phénomène désigne ce qui apparaît à la conscience, le dévoilement d’une chose.

[5] Signifie joindre certaines informations sensibles pour créer une unité d’ensemble.

[6] Sur le point de se produire

[7] Permet de faire des associations quand deux choses sont proches dans le temps ou dans l’espace.