Alain. Socrate comme modèle de la modestie du sage

Alain
Alain 1858 -1951

« Ce qui est subjectif, c’est ce qui est isolé dans le sujet pensant, dans le Moi, et à quoi les semblables ne font pas écho. Nous passons notre temps à établir la communication entre nous et les autres, ce qui est saisir l’objectif. On voit que, dans un sens purifié, l’objectif désigne ce qui est commun à tous les sujets. L’objectif n’est donc pas nécessairement un objet du monde. Le plus objectif en nos connaissances, est cet esprit, commun qui s’est présenté si naturellement comme le soutien de nos pensées. Les logarithmes, déjà nommés, sont un exemple de pensées objectives, et non pas subjectives, quoi, qu’elles n’existent pas hors des sujets pensants. Souvent on ramène l’opposition entre le subjectif et l’objectif à la connaissance des choses. L’objectif est alors la chose que tout observateur rencontre la même ; c’est la science communicable et aussi la démontrable ; exemple, le calcul. Ce qui fait que nous manquons l’objectif, c’est que nous sommes trop attachés à nos sensations, à notre point de vue. Le point de vue appartient à toutes nos connaissances, et il est clair que chacun de nous à chaque moment, observe d’un poste qui n’est qu’à lui. De plus il y a en nous des affections vives ou passions, qui nous donnent besoin de savoir et d’instruire les autres, et qui font que nous oublions le point de vue et la sensation, c’est-à-dire toutes les réserves qu’il est sage de faire lorsque l’on affirme quelque chose. Chacun se vante d’être objectif, de parler objectivement. Mais aucun philosophe (ami de la sagesse) ne doit se croire lui-même sans réserve, et les conversations de Socrate, que Platon nous a conservées, nous donnent le modèle de la modestie du sage, qui se sait sujet à l’erreur et à la prévention. »

Alain, Eléments de philosophie